Syrie : un « cessez-le-feu », quel « cessez-le-feu » ?
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Cf2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement), 1 mars 2016
Syrie : un « cessez-le-feu », quel « cessez-le-feu » ?
Alain Rodier
Une « cessation des hostilités » est entrée en vigueur en Syrie le vendredi 26 février à minuit. Dans les jours qui ont précédé, les belligérants ont donc considérablement intensifié leurs efforts militaires afin de se retrouver en position de force le 27 février au matin. Les forces gouvernementales syriennes, appuyées par le Hezbollah libanais, les milices chiites irakiennes et afghanes, et surtout par l'aviation russe, ont multiplié les opérations offensives sur l'ensemble des fronts du nord au dud du pays. Toutefois, elles ont rencontré des succès mitigés car les rebelles ont également jeté toutes leurs forces dans les combats.
La bataille d'Alep
La bataille d'Alep a connu des retournements de situation spectaculaires. Alors qu'à l'automne 2015, les forces gouvernementales étaient quasi assiégées dans les quartiers ouest de la ville - la voie de ravitaillement vers Hama au sud étant coupée épisodiquement, particulièrement par des raids du groupe Etat islamique (EI) -, les données ont été bouleversées avec l'offensive généralisée qui a débuté en février avec l'appui massif de l'aviation russe et, surtout, grâce à la coordination des opérations menée avec les Forces démocratiques syriennes (FDS), dont le noyau central sont les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), le bras armé du Parti de l'union démocratique (PYD[1]). Ces dernières ont lancé une offensive depuis Afrin vers l'ouest pour participer à la coupure du « corridor d'Azaz » par lequel transite l'aide apportée aux rebelles depuis la Turquie. Afin que la ville d'Azaz ne tombe pas aux mains des FDS, des centaines de « volontaires » y ont été dépêchés en urgence depuis la Turquie voisine. Ainsi, de la position d'assiégées, les forces gouvernementales sont devenues « assiégeantes », grignotant du terrain vers l'est et le sud d'Alep.
Et puis catastrophe : le 22 février, l'EI, qui semble avoir coordonné ses opérations avec d'autres mouvements rebelles - dont le Front Al-Nosra (une première à cette échelle) - est parvenu à couper une nouvelle fois l'axe de ravitaillement gouvernemental vers Hama, au sud du lac Jabboul, en s'emparant d'une dizaine de villages dont Rasm Al-Nafal et Khanasser. Les gouvernementaux d'Alep se sont alors retrouvés une nouvelle fois en position d'assiégés !
De vigoureuses contre-attaques ont été alors déclenchées grâce à des renforts[2] venus des autres fronts de la région d'Alep lesquels, en conséquence, ont été dégarnis, stoppant net la progression locale des forces gouvernementales. Le 26, l'axe nord-sud était libéré et les villages conquis précédemment par les insurgés étant libérés.
Mais dans le reste du pays, les forces gouvernementales ne progressaient plus que très modérément subissant, même des sérieuses contre-offensives : de la part de Daech à proximité de la ville symbole de Palmyre ; et du Jaysh al-Fatah appuyé par les Turcs, au nord de la ville de Rabia (dans le nord de la province de Lattaquié), reprise aux rebelles de l'ASL le 26 janvier 2016. Ainsi, le risque de reprise des combats dans la région d'Alep est très élevé, si ce n'est certain.
L'accord de cessation des hostilités
L'accord de « cessation des hostilités » négocié entre Russes et Américains, et approuvé par la résolution 2268 du 26 février 2016 de l'ONU, prévoit un cessez-le-feu entre les belligérants à l'exception du groupe Etat Islamique (EI) et du Front Al-Nosra. Les Nations Unies devraient désigner dans les jours qui viennent les autres formations considérées comme « terroristes » ,car seuls 97 groupes (sur une estimation de plus de 1000) ont accepté la trêve. Un « Haut comité aux négociationd » regroupant 36 mouvements rebelles s'est joint à cet accord, mais uniquement pour une période de deux semaines. Une nouvelle réunion devrait se tenir le 7 mars si la trêve est « globalement » respectée.
Des groupes de travail sont chargés de délimiter les territoires de chacun, d'assurer les communications entre les différents protagonistes, de vérifier les allégations de rupture de la trêve et de faire le point des infractions constatées, puis de proposer les sanctions. Ces groupes sont installés à Moscou, Washington, Amman, Lattaquié et Genève.
En fait, seules quelques zones devraient connaître une cessation des hostilités effective : du nord au sud, les provinces de Hama, d'Homs, la région de Qalamoun - au nord-ouest de Damas - et Deraa. Par contre, les combats devraient se poursuivre dans la région d'Alep, au nord de Lattaquié et en limite des régions kurdes.
Le « plan B » de John Kerry
Signe des limites du projet russo-américain, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, évoque un « plan B ». Peu d'informations circulent sur la nature exacte de l'alternative envisagée car Washington reste volontairement discret sur le sujet, même Moscou n'en n'étant pas informé, du moins officiellement[3].
En effet, si les affrontements généralisés reprennaient, replongeant la Syrie dans le chaos et la violence, il n'est pas exclu que les États-Unis acceptent la demande insistante du président Recep Tayyip Erdogan de création d'une « zone tampon » à l'intérieur du territoire syrien, le long de la frontière turque, entre la région d'Afrin à l'ouest et l'Euphrate à l'est, sur une profondeur de 10 à 30 kilomètres. Pour Washington, il suffit de donner l'autorisation à Ankara de faire entrer ses forces terrestres dans cette région. 15 000 à 20 000 hommes et des centaines de blindés de la 2e Armée turque sont actuellement l'arme au pied le long de la frontière. Le facteur nouveau serait le soutien direct de l'aviation américaine - vraisemblablement accompagnée d'aéronefs turcs et saoudiens - à cette opération. Son objectif serait d'interdire à l'aviation russe de contre-attaquer en créant une « zone d'exclusion aérienne » au dessus de la « zone tampon ». C'est là que risque d'escalade est le plus important. Est-ce que Moscou est prêt à le prendre ? Seul le président Vladimir Poutine le sait.
Cette solution, totalement illégale sur le plan des lois internationales, présente tout de même un avantage : la possibilité de créer une « zone d'accueil » pour les populations fuyant les combats en y établissant d'immenses camps de réfugiés avec l'aide de la communauté internationale. Cela permettrait d'éviter que ces déplacés n'entrent en Turquie pour ensuite rejoindre l'Europe.
Par contre, cela entérine la partition de la Syrie qui, de toute façon, semble inéluctable à terme. A l'ouest, les Alaouites et autres minorités, au Nord, la « zone tampon/exclusion aérienne », encadrée par un Kurdistan autonome et un Sunnistan au sud-est. Cette dernière entité serait dirigée par Daech. Il serait éventuellement possible de changer cet état de fait en soutenant les forces sunnites « modérées », en réalité, celles qui ne veulent plus voir Daech aux commandes. En effet, Daech n'est pas extrêmement populaire en Syrie - à la différence de l'Irak - car une grande majorité de ses adeptes sont des étrangers (Irakiens, Caucasiens, Saoudiens, etc.).
Le président Barack Obama a prévenu le gouvernement syrien et ses alliés russes : « le monde vous regarde !». En réalité, tout le monde retient son souffle en attendant de savoir qui va craquer le premier. Et l'autre question importante est : comment va se poursuivre la lutte contre Daech et le Front Al-Nosra qui ont eu l'intelligence de se mélanger avec les autres groupes rebelles[4] .
Notes:
1. Paradoxalement, les FDS sont directement soutenues - à la grande fureur du président turc Erdogan - par les Américains dans le nord-est du pays. Ces derniers espèrent que les FDS reprendront Raqqa, la « capitale » de l'Etat islamique. Mais il semble que leur objectif est tout autre : l'unification d'un Kurdistan syrien indépendant (le Rojava) tout le long de la frontière syro-irakienne.
2. Dont les Tiger Forces du célébre major-général Suheil Al-Hassan.
3. Si les services de renseignement extérieurs russes - le SVR, héritier du Premier directorat du KGB - font bien leur travail -, Moscou doit avoir une petite idée du contenu du « plan B ».
4. Pour Daech, essentiellement sur les lignes de contact avec l'armée syrienne.