Le Grand Soir, 19 janvier 2015


"Je suis Raif", combattant de la liberté d’expression condamné à 1 000 coups de fouet

en Arabie saoudite, alliée de l’Occident



La présence à Paris dimanche d’un ministre saoudien pour dire « Je suis Charlie » : 9.5 sur l’échelle de l’hypocrisie ambiante. Au même moment, à Riyad, un jeune blogueur est condamné aux peines les plus barbares pour le plus simple usage de la liberté d’expression


Il est difficile de choisir un coupable qui porte autant sur son visage l’innocence. Ses traits angéliques sont brandis dans des portraits par ses enfants accablés par la peur de perdre leur père. Son combat pour la liberté est porté par sa femme, qui alerte sur son sort depuis son exil canadien.


Lapidation pour un blogueur « libre-penseur »

Raif Badaoui, 31 ans, est détenu depuis 2012 par le régime saoudien. Il a été condamné à 1 000 coups de fouet livrés sur la place publique, à 10 ans de prison ainsi qu’à une amende de 1 millions de rials (soit 250 000 €). Quel crime a bien pu commettre Raif ?

Celui de tenir un site d’orientation politique démocratique (« Free Saudi liberals »), défendant la liberté d’expression, la libération des prisonniers politiques et l’ouverture d’un débat sur les questions politiques en Arabie saoudite.

Il critiquait sur son blog les grands du Royaume, dont des figures religieuses comme le Grand Mufti d’Arabie saoudite, et tournait en dérision la police religieuse de la monarchie saoudienne, la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice.


Crimes d’apostasie, blasphème, lèse-majesté : le Moyen-âge en 2015

Dans un premier temps, l’accusation avait réclamé la peine de mort pour « apostasie », soit l’abandon de l’Islam. Finalement, c’est le crime d’ « insulte à l’Islam » qui a été reçu. Derrière l’accusation de « blasphème », c’est bien plus un « lèse-majesté » dont il s’agit.

La monarchie saoudienne s’appuie sur une vision fondamentaliste de l’Islam, le wahhabisme, accompagnant sa politique de diffusion du terrorisme islamiste dans le monde.

Elle constituait jusqu’alors une interprétation fort minoritaire de cette religion. Elle n’a connu une renaissance que dans les années 1930 en Arabie même, avec l’installation de la dynastie Saoud, patronnée par la puissance coloniale britannique puis soutenu par l’allié américain.

Une peine barbare en tout cas, pour un crime obscurantiste. Les 50 premiers coups de fouet ont été donnés vendredi dernier dans sa ville natale de Jeddah, devant une mosquée.

Une foule de plusieurs centaines de personnes ont rythmé les coups de fouet d’applaudissements, de sifflets d’encouragement et de cris « Allah Akbar » (Dieu est grand).

Selon ce qu’un témoin a conté à Amnesty international, « Raif était menotté et enchaîné mais son visage n’était pas couvert. Un officier de police s’est approché avec un grand bâton et a commencé à le frapper. Raif a levé sa tête vers le ciel, fermant ses yeux et cambrant son dos. Il n’a rien dit, mais vous pouviez voir sur son visage et son corps qu’il souffrait le martyr ».

Ce vendredi, il doit subir une seconde salve de 50 coups de fouet à Djeddah, un rituel qui devrait continuer pour les 19 prochaines semaines. Sa femme, Ensaf Haidar, désormais exilée à Montréal a déclaré – après l’avoir eu au téléphone – qu’elle n’était pas sûr qu’il résisterait à un second supplice.

« Raif m’a dit qu’il avait énormément souffert après sa flagellation, sa santé est précaire », a-t-elle confié à Amnesty.


Son avocat condamné à 15 ans de prison pour sa défense des droits humains

Son avocat, Walid Abou al-Khair a lui aussi été condamné en juillet à 15 ans de prison pour avoir dénoncé les violations des droits de l’Homme en Arabie saoudite. Il s’agit, prétextant le contexte anti-terroriste (un comble), de réprimer toute dissidence interne, fut-elle modérément libérale.

Une semaine après la condamnation officielle par Riyad des attentats de Paris, après la présence d’un ministre saoudien à la manifestation officielle de dimanche dernier, ce piétinement de la liberté d’expression crée un certain malaise, dans le monde arabe. Les caricatures ont fleuri sur le web.

Une montrant un homme ressemblant à Raif fouetté alors qu’à côté le bourreau criait, des fleurs plein la bouche, « l’Arabie saoudite condamne les attaques contre la liberté d’expression à Paris ». Une autre image montrait un crayon lacéré de coups de fouet.


Notre allié saoudien : champion du monde de la peine de mort et du terrorisme

C’est un secret de polichinelle, l’Arabie saoudite a armé les factions islamistes en Syrie contre le régime d’Assad, dans une émulation morbide avec le Qatar, usant des facilités offertes par la Jordanie et la Turquie, avec la bénédiction de ses alliés américains, français et britanniques.

Ce n’est pas un secret du tout, la Charia est appliqué sous une forme extrêmement rigoriste. Sont considérés comme crimes passibles de la lapidation, la mutilation ou la décapitation : sodomie, athéisme, trafic de drogue (y compris cannabis), fornication, blasphème ou sorcellerie (sic).

L’Arabie saoudite détient le record du nombre de condamnations à mort avec 89 décapitations en 2014 prononcées par la monarchie absolue. La loi du talion y est appliquée, elle a ainsi conduit l’an dernier à la condamnation d’un jeune homme … à la paralysie après une agression durant son adolescence qui avait conduit tragiquement à la paralysie de sa victime.

Ce que dénonçait Raif, c’était la police des mœurs, les « mutaween » (pieux) qui patrouillent dans les rues s’assurant du code vestimentaire, de la stricte séparation entre hommes et femmes, du respect des prières dictées par leur interprétation particulière de la Charia.

Le gouvernement encourage la délation de ses concitoyens. Un tribunal saoudien vient tout juste de condamner cinq hommes à 32 ans de prison et 4 500 coups de fouet pour avoir organisé une … Fête illégale de Saint-Valentin avec des femmes avec lesquelles ils auraient dansé et bu.

2015 sera l’année de la dénonciation de l’hypocrisie. Au moment où on nous demande de rejoindre l’ « Union sacrée » nationale pour une « Sainte-Alliance » internationale menée par la France, les États-Unis, appuyant l’Arabie saoudite, le Qatar, Israel, les premiers soutiens et acteurs du terrorisme international. Aujourd’hui, « nous sommes tous Raif ».

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