Irak: de quoi Dah’ech (ISIS) est-il le nom ?
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espritcors@ire, 19 juin 2014
Irak: de quoi Dah’ech (ISIS) est-il le nom ?
René Naba
I - Les objectifs de l’ISIS
L’assaut de Dahe’ch (ISIS) contre la zone pétrolifère du nord de l’Irak répond à un triple objectif: se constituer un trésor de guerre dans la perspective d’un tarissement du flux financier wahhabite, prendre des gages vis-à-vis de la Turquie dans la perspective d’une éventuelle fermeture des frontières de transit vers la Syrie, peser sur un éventuel rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, à cinq jours de la visite officielle du vice- ministre iranien des affaires étrangères au Royaume saoudien.
La prise d’un butin de 450 millions de dollars des banques de Mossoul, faisant de Dah’ech la plus riche organisation terroriste au Monde, la prise de ressortissants turcs en otage dans une zone où la Turquie dispose de cinq consulats, le massacre de soldats chiites, constituent autant d’éléments qui pourraient donner crédit à une telle interprétation du surge djihadiste en Irak.
En mauvaise posture en Syrie, en conflit ouvert avec les autres formations djihadistes de Syrie, Dahe’ch a voulu se repositionner sur l’échiquier régional en partant à l’assaut du nord de l’Irak, zone Kurdophone certes, mais pétrolière et sunnite. De surcroit le lieu d’une forte implantation israélienne et des forces libanaises, les anciennes milices chrétiennes de Samir Geagea et les phalangistes d’Amine Gemayel.
Coïncidant avec la reprise des négociations bilatérales entre Iraniens et Américains, d’une part, entre Iraniens et Français, d’autre part, ce coup de pied dans la fourmilière, à cinq jours du premier déplacement d’un officiel iranien en Arabie depuis le déclenchement de la guerre de Syrie, pourrait constituer, dans le jeu trouble saoudien, un message subliminal à Téhéran sur sa capacité de nuisance régionale et faire planer le risque de partition du pays.
II - L’Etat islamique en Irak et au Levant (ISIS), fruit d’une copulation ancillaire entre djihadistes et anciens baasistes
Fruit de la copulation ancillaire entre Al Qaida et d’anciens dirigeants baasistes happés par la tentation d’un alignement sectaire, le commandement de l’ISIS, dont l’acronyme en arabe est Da’ech, est exclusivement irakien.
Autour du noyau central se sont greffés des membres des tribus sunnites d‘Irak lésés par la disparition de Saddam Hussein, des Frères Musulmans irakiens, des Nachkabandistes. Une structure hétéroclite, scellée par une alliance contre nature entre Izzat Ibrahim ad Doury, ancien vice-président du Conseil de la Révolution irakienne et successeur de Saddam Hussein à la tête de la guérilla anti-américaine en Irak, et son ancien bourreau, le Prince saoudien Bandar Ben Sultan, un des artisans de la destruction de l’Irak et des assises du pouvoir baasiste sunnite dans ce pays, en vue de restaurer le primat sunnite à Bagdad, dans l’ancienne capitale abbasside.
Une démarche qui révèle la fragilité des convictions idéologiques des dirigeants arabes. Une insulte à la mémoire des nombreux morts d’Irak et du Monde arabe. Moussa Koussa, l’ancien chef des services secrets libyens, a opéré la même mutation au service du Prince saoudien pour la zone Maghreb-Sahel.
III – Les barbares aux portes des vieilles civilisations
Ainsi que le démontre l’assaut du nord Irak, la rapine, les butins et les prises de guerre ont constitué le mode opératoire privilégié de l’ISIS. L’Etat Islamique relève d’un commandement irakien qui a fait ses preuves en Irak contre les Américains, alors que Jabhat al-Nosra est une structure panislamique, sunnite, sous la houlette d’Al Qaida, particulièrement active en Syrie.
Trois des grandes capitales de la conquête arabe des premiers temps de l’Islam échappent au contrôle des sunnites : Jérusalem, sous occupation israélienne, Damas, sous contrôle alaouite et Bagdad, sous contrôle kurdo-chiite. Il est devenu urgent pour les wahhabites, de crainte d’être démasqués, de laver cette souillure infligée par leur politique d’alignement inconditionnel sur les Etats-Unis, le principal protecteur d’Israël- l’ennemi officiel du Monde arabe que les palestiniens et leurs alliés à travers le Monde considèrent comme l’usurpateur de la Palestine.
Les barbares sont aux portes des pays de vieilles civilisations, aux portes de Bagdad et d’Alep, qu’ils ont déjà saccagés, les Arabes par leur veulerie, et les pays occidentaux, par leur morgue, doivent assumer les conséquences de leurs incohérences.
Favoriser inconditionnellement l’instrumentalisation de la religion musulmane à des fins stratégiques, afin de provoquer l’implosion de l’Union soviétique, (Guerre d’Afghanistan décennie 1980), détourner le combat arabe de la Palestine vers l’Asie,
Cautionner la forme la plus rétrograde et la plus répressive de l’islam, le wahhabisme, et soutenir inconditionnellement le délire djihadiste de leur enfant chéri, Bandar Ben sultan, au-delà de toute mesure, sans la moindre retenue, pour assurer la pérennité des roitelets du Golfe, sur les débris du monde arabe,
Faire de l’Arabie saoudite, ce royaume des ténèbres, l’allié privilégié de la grande démocratie américaine, et de la France, la Patrie des droits de l’homme,
Instrumentaliser des binationaux pour une fonction supplétive à une politique de prédation économique du monde arabe, aboutit à de telles monstruosités, qui signent la pathologie atlantiste en même temps que pétro-monarchique.
Les appels à la guerre sainte lancés tant l’Ayatollah Ali Sistani (chiite) que par le Mufti de l’Otan, le téléprédicateur Youssef Al Qaradawi ne feront qu’accentuer le carnage, dans une guerre ou des Arabes s’entretueront sans la moindre perte ni occidentale, ni iranienne, ni israélienne.
La Syrie de la décennie 2010 a rempli une fonction analogue à celle de l’Afghanistan de la décennie 1980. Une guerre dont l’objet a été de dériver le combat pour la libération de la Palestine et de le déporter à 5 000 km du champ de bataille. Dans la pure tradition de la guerre froide soviéto-américaine. Trois ans de combat en Syrie ont permis à Israël d’achever de phagocyter la totalité de la Palestine.
Un défouloir absolu du djihadisme erratique que les pétromonarchies préfèrent sacrifier sur le théâtre des opérations extérieures plutôt que le réprimer sur le sol national, avec son cortège de représailles. Un dérivatif au combat pour la libération de la Palestine, la «grande oubliée du printemps arabe.
A contre-courant du flux de la mondialisation, la guerre de Syrie aura été la première opération de délocalisation sud nord d’une «révolution» en ce que ses meneurs auront été des porteurs de nationalité occidentale, salariés de l’ancienne administration coloniale. Des supplétifs, ivres de notoriété et de vanité.
Le surgeon de l’ISIS apparait dans un tel contexte comme un coup de semonce aux Arabes, afin qu’ils cessent d’être des pantins désarticulés, complices de leur sujétion et de leur cupidité.