Haaretz - 18 mai 2010

L’ami
par Gideon Levy

Comme l’a montré la rencontre de cette semaine entre Elie Wiesel et Obama, avec des amis comme ça Israël n’a pas besoin d’ennemis.

Vous les colons de Pisgat Ze’ev, vous qui vous êtes imposés à Shekh Jarrah, vous qui convoitez Silwan, vous qui vous êtes infiltrés dans les quartiers musulmans, et vous aussi, Nir Barkat, Maire de cette ville nationaliste, pouvez cesser de vous inquiéter : Jérusalem toute entière vous appartient pour toujours. Le prix Nobel de la paix, Elie Wiesel a été à la Maison Blanche voir son ami, Barack Obama, en mission pour un autre ami, Benjamin Netanyahu, et en sortant il a dit qu’il avait bon espoir qu’Obama suive son conseil de reporter les pourparlers sur Jérusalem.
Avec des amis comme ça, Israël n’a pas besoin d’ennemis. Soixante deux ans après avoir déclaré son indépendance, Israël a encore besoin de colporteurs juifs influents -parfois Wiesel et parfois Ron Lauder- pour aller intercéder après du Noble Maître. Quarante trois ans après le début de l’Occupation, tous ces gens unissent leurs efforts dans un seul but : la maintenir.
Il n’y a pas beaucoup de Juifs qui, comme Wiesel, trouvent porte ouverte à la Maison Blanche et que le Président écoute. Et que fait Wiesel de cette chance unique ? Il demande à Obama de reporter les pourparlers sur Jérusalem. Il ne lui parle pas de la nécessité de mettre fin à l’occupation, ni d’établir une paix juste (et un Israël juste), ni de l’horrible injustice qui est faite aux Palestiniens. Non, il lui parle de maintenir l’occupation.
Et lorsqu’il est invité à déjeuner par le Président, au lieu de profiter de son soit disant ascendant moral pour supplier son hôte de ne plus tolérer la mauvaise volonté d’Israël, il marchande un report. Il l’a fait apparemment pour le bien d’un pays dont le Premier Ministre, il y a juste un an, a fait un discours sur la solution de deux états mais n’a rien fait depuis pour la mettre en œuvre. Un pays que la Syrie supplie presque de faire la paix et un pays contre qui les Palestiniens ont arrêté depuis longtemps de perpétrer des attentats. Mais ce pays refuse de faire la paix. Et voyant tout cela qu’est-ce que cet ami recommande ? de reporter. De reporter et reporter encore, comme Netanyahu qui l’a envoyé lui a demandé de le faire.
Cet homme dont le comité du prix Nobel a dit :" C’est un messager pour l’humanité ; son message est un message de paix, de pardon et de dignité humaine", fait juste le contraire. Pas de paix, pas de pardon, pas de dignité humaine, en tous cas pas pour les Palestiniens. Après la ridicule campagne de publicité américaine faisant valoir que Jérusalem est citée dans la Bible (plus de 600 fois) et pas une seule fois dans le Coran, peut-être que malheureusement le Président du changement va écouter l’avis de son ami, le survivant de l’Holocauste, et détruire toute chance de paix.
Wiesel fera le nécessaire et Obama reportera. Environ un quart de million de Palestiniens vivront sous occupation israélienne encore une génération. Un quart de million ? Non, trois millions et demi parce que pour Obama, Wiesel et en fait tout le monde, il est clair qu’il n’y aura pas de paix si on ne divise pas Jérusalem.
Et qu’en sera-t-il si Obama reporte les pourparlers sur Jérusalem comme le lui demande son ami ? Et les reporter jusqu’à quand ? Encore 43 ans ? Ou peut-être 430 ans ? Et qu’arrivera-t-il en attendant ? 100 000 colons de plus ? Le Hamas au gouvernement en Cisjordanie aussi ? Et pourquoi ? Parce que Jérusalem n’est pas mentionnée dans le Coran, les Palestiniens qui y vivent n’ont pas le droit de décider de leur sort ?
Et qu’en est-il de la sainteté de Jérusalem, troisième ville sainte de l’Islam après la Mecque et Medina ? Quel est le rapport entre la sainteté et l’indépendance, de toutes façons ? Que se passera-t-il si les pourparlers sont reportés et qu’ils parlent de l’eau comme le souhaite Netanyahu ? Aucune de ces questions n’a été posée a l’ami.
Comme c’est triste que ce soient ces gens-là qui soient considérés par les Juifs comme des modèles ! On dirait qu’ils croient que le soutien automatique et aveugle à Israël et ses caprices est le signe d’une vraie amitié - que maintenir l’occupation sert les buts d’Israël et ne menace pas son avenir. Ils écoutent leur conscience et dénoncent les injustices dans le reste du Monde, mais quant il s’agit d’Israël, on dirait qu’un voile leur tombe sur les yeux et on ne les entend plus.
Si j’étais Elie Wiesel un illustre survivant de l’Holocauste, un lauréat du prix Nobel, je dirais à mon ami de la Maison Blanche, au nom de la paix, de l’avenir d’Israël et de la paix dans le monde : "Je vous en prie, Monsieur le Président, soyez ferme. Israël dépend de vous plus que jamais. Il est si isolé que sans le soutien américain il disparaîtrait. C’est pourquoi, Monsieur le Président", je dirais à Obama, en mangeant la nourriture kosher qu’on me servirait, "soyez un vrai ami pour Israël et évitez lui la catastrophe".


Traduction par D. Muselet pour le Grand Soir


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