Gaza, un an après l'agression israélienne
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Nurit Peled-Elhanan, grande activiste de la paix en Israël, a perdu sa fille de 14 ans dans un attentat kamikaze palestinien. Et pourtant, un an après la guerre de Gaza, elle fustige la politique de l’Etat hébreu
Gaza, un an après l’agression israélienne
par Nurit Peled Elhanan, professeur de littérature comparée à l’université hébraïque de Jérusalem et activiste de la paix en israël. Discours prononcé lors d’une marche de protestation à Tel Aviv, le 2 janvier 2010.
Aurait-on posé aux enfants israéliens des écoles maternelles la question : «Qu’as-tu appris à l’école cette année, mon cher petit garçon ?» Différentes réponses auraient pu être données. Un enfant éclairé et à l’esprit critique aurait pu répondre : «J’ai appris que le soleil brille toujours, que l’amandier fleurit et que les bouchers tuent, et aucun juge ne les condamne.»(1) Et l’enfant qui est moins habitué à théoriser aurait pu se réjouir en disant : «J’ai appris comment berner les Américains, décevoir les Palestiniens, tuer des Arabes, expulser des familles de leurs maisons et maudire quiconque me dit que je suis un sale morveux quand j’ai été un sale morveux et j’ai appris que le peuple juif est vivant et que Gilad Shalit est vivant, lui aussi. Encore.» (2) Et le nouveau petit immigrant à qui il tarde terriblement d’être intégré et de faire partie de la société pourrait dire : «J’ai appris qui détester, j’ai appris qui doit être tué et sur qui je peux cracher et je suis toujours prêt pour ce boulot quel que soit le moment où vous m’appellerez.»
Un enfant sioniste-religieux qui va dans un jardin d’enfants entouré d’une clôture et bien gardé dans une colonie pourrait dire : «J’ai appris à être un bon sioniste, à aimer la Terre, à mourir et à tuer pour sa sauvegarde, à en expulser les envahisseurs, à tuer leurs enfants, à détruire leurs maisons et à ne jamais oublier qu’à toutes les générations et à chacune d’entre elles, des persécuteurs se lèveront pour nous annihiler et que tous les non-juifs sont les mêmes, qu’ils sont tous des antisémites qui doivent être supprimés. Et le plus important est que le soleil continue à briller, que l’amandier continue à fleurir et bientôt, nous irons faire des plantations sur toutes les montagnes de Judée et de Samarie et nous garderons bien les jeunes arbres contre ces hordes de bergers qui ont envahi notre pays pendant les 2000 ans où nous n’avons pas été là pour veiller sur lui.»
Cette année, nos enfants ont appris que tuer un non-juif, quel que soit son âge, est un grand commandement. Et cela, ils ne l’ont pas seulement appris des rabbins, mais aussi des soldats qui sans cesse fanfaronnent à propos de ce qu’ils ont fait. Et cela a été bien exprimé par Damian Kirilik quand la police l’a arrêté et accusé du meurtre de toute la famille Oshrenko (3). Presque tranquillement, il a demandé aux enquêteurs de la police : Pourquoi faites-vous tant d’histoires pour le meurtre d’enfants ? Damian Kirilik est un nouvel immigrant qui ne comprend pas les nuances sophistiquées des enseignements des rabbins pour tuer les enfants non-juifs. Mais cet assassin du dehors a vite compris l’idée générale. C’est qu’il est arrivé dans un endroit où le meurtre des enfants est pris avec beaucoup de légèreté.
Nos enfants ont appris cette année que tous les qualificatifs dégradants que les antisémites attribuent aux juifs sont aujourd’hui manifestes parmi nos leaders : fraude et duperie, cupidité et meurtres d’enfants. Au moment où il est accusé de trafic d’organes transplantés, le gouvernement d’Israël, imperturbable, s’engage dans le trafic d’êtres humains tout entiers, pour le moment. On peut prévoir pour bientôt, et pour de nombreuses années, alors que de nombreuses voitures arborent l’auto-collant : «Gilad, né pour être libre» (4), que les capitaines de ce bateau-pirate qui est Israël continueront leurs machinations et marchanderont encore pour savoir combien de kilos de chair juive, probablement rétrécie, peut être commercialisée contre combien de chair palestinienne, qui n’est sans doute plus ce qu’elle était, comme nous l’avons appris dans les informations à propos des vols de peau et de cornée au Centre Forensic d’Abu Kabir(5).
Et ils continueront de tuer au nom de Gilad et d’affamer et d’étrangler au nom de Gilad pour annihiler le peuple palestinien, lentement mais sûrement, et par la même occasion, ils vont encourager les «mauvaises herbes» palestiniennes qui toujours légitiment la poursuite des assassinats.
Comme dans toute société pourrie et corrompue le mot «valeurs» ressurgit encore et encore dans chaque discours de chaque politicien, spécialement de ceux qui sont inculpés. Les valeurs du sionisme, les valeurs du judaïsme et les valeurs de l’armée israélienne. Les valeurs du sionisme ont bien été remarquées cette année dans leur pleine gloire à l’occasion de l’expulsion des familles de leurs maisons à Sheikh Jarrah. Les valeurs de la Démocratie et la force du Droit s’expriment pleinement pour les Palestiniens suspectés d’actes violents et assassinés sans autre forme de procès dans leurs maisons en présence de leurs enfants pendant que des terroristes juifs jouissent d’une complète impunité face au système judiciaire.
C’est cela que nos enfants apprennent dans l’Etat juif démocratique. On peut donc s’étonner du choc supposé, exprimé face à la violence dans les écoles et les discothèques, dans les rues et sur les routes. Après tout, cette violence n’est rien d’autre que la mise en pratique des valeurs de l’armée, un cours d’entraînement de base pour les activités et les opérations qui sont à l’horizon pour ces jeunes. C’est l’occasion qu’ont ces jeunes de montrer ce qu’ils ont appris de leurs parents et de leurs grands frères, de leurs professeurs et de leurs guides. Le seul problème qui, apparemment, perturbe les autorités, tant celles de l’éducation que celles du maintien de l’ordre, est qu’il n’y a pas de Palestiniens dans les écoles juives et dans les discothèques juives et dans les rues juives. A cause de ce manque les jeunes juifs dirigent leur violence les uns contre les autres et cela ne devrait pas arriver, un juif ne devrait pas blesser un autre juif. La violence devrait être canalisée et régulée, guidée par l’obéissance aveugle aux lois raciales et dirigée seulement et exclusivement à l’encontre de ceux qui ne sont pas juifs.
Et nous qui manifestons chaque semaine, chaque mois, à chaque carnage et à chaque anniversaire de chaque carnage, quelle est notre force ? Aucune. Le deuil et l’échec sont notre lot dans ce pays. Jeudi 31 décembre, nous sommes restés aux portes de Gaza, disciplinés et obéissants aux conditions des autorisations de la police, heureux de nous voir les uns les autres et de constater que nous sommes vivants et scandant d’une voix forte des slogans devant un parterre de policiers et de soldats semblables à des robots , complètement incapables de comprendre ce que nous étions en train de dire. Mais nous n’avons pas fait tomber le Mur. Nous n’avons pas réussi à sauver ne serait-ce qu’un seul enfant de l’épidémie de méningite qui ravage Gaza depuis plusieurs mois.
Que pouvons-nous faire avec notre impuissance et nos échecs ? Que pouvons-nous faire dans un système éducatif qui demande à ses diplômés une identification absolue avec les combattants de la guérilla juive qui furent exécutés avant 1848 par les Britanniques sous l’inculpation de «terrorisme» et au même moment une identification totale à leurs bourreaux ? De s’identifier aux victimes d’Auschwitz et en même temps de se comporter avec une indifférence cruelle envers la souffrance de quiconque n’appartient pas à notre race ? Qu’est-ce que les militants de Paix peuvent bien faire dans un pays dirigé par l’armée dont les écoles sont infestées de criminels de guerre venant injecter leur enseignement et où les élèves sont obligés d’expérimenter une semaine prémilitaire de «Gadna» (brigades de jeunes) et d’écouter les récits héroïques des criminels du carnage de Gaza et pour qui toutes les possibilités offertes, qu’elles soient psychologiques, sociales ou éducatives ont pour but de faire d’eux des rouages de la machine à tuer ?
Ce sont nos propres fils et nos propres filles et nous n’avons aucun accès au système qui dirige leurs vies. Où est l’espace qui nous est laissé pour instiller en eux une ou deux de nos propres valeurs ? Quelles valeurs de beauté et de bonté pouvons– nous glisser dans un tel appareil sophistiqué de lavage de cerveaux et de distorsion du réel ?
Il semble que la seule valeur que nous ayons encore le pouvoir d’instiller et qui ait encore du sens est la valeur du refus. Apprendre à dire non. Enseigner à nos enfants qui n’ont pas encore été empoisonnés à résister au lavage de cerveaux, à rejeter les virus qui sont injectés dans leurs esprits. C’est une tâche dure, une tâche de Sisyphe, mais le seul chemin pour réaffirmer notre humanité. Dire non au mal, non à la duplicité, non à la tromperie, non au trafic d’êtres humains, non au racisme qui se répand ici comme un incendie sauvage, un racisme qui ne s’arrête ni au checkpoint de Kalandia ni au checkpoint d’Erez mais qui s’étend comme un cancer jusqu’aux centres honteux d’absorption des immigrants, aux écoles qui proclament l’intégration et pratiquent la ségrégation, à toutes les cultures et à toutes les croyances dans ce pays. Si nous n’apprenons pas à refuser et à rejeter le mal, les lois et les contraintes du mal, nous nous retrouverons nous rejetant et nous refusant nous-mêmes et notre vérité intérieure la plus essentielle. Nous devons refuser le sentiment de faire partie d’une minorité disparue, refuser la peur, l’appréhension et l’aliénation qui nous sont imposées, refuser d’en être complices.
Seul le refus peut sauver de la capitulation, de la faillite, du désespoir. Nous sommes ici aujourd’hui comme des étrangers, comme une minorité d’étrangers haïs et persécutés. Mais, ensemble, avec nos amis qui cherchent la Paix de l’autre côté du Mur, de l’autre côté des barrières de barbelés, nous pouvons devenir une majorité. Seul le refus de capituler devant les murs et les checkpoints peut ouvrir les portes de notre ghetto afin que nous puissions jeter à bas les murs de leurs ghettos. Pour voir enfin qu’il y a un monde extérieur, qu’il y a des régions tout autour que le Fond national juif n’a pas détruites, qu’il y a une culture et qu’il y a des peuples et que ça vaut la peine de les rencontrer, de les connaître et d’en faire des amis, d’apprendre d’eux des choses sur ce pays où nous vivons comme des étrangers résidents et nous rappeler que cette terre peut être une terre d’une beauté sans égale.(7)
(1) Une référence au poème célèbre de Bialik sur le Pogrom de Kishinev en 1903.
(2) «AM YISRAEL HAI» (le peuple juif vit), une parole traditionnelle souvent utilisée dans un contexte nationaliste.
(3) Voir: http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1256799068438&pagename=JPArticle%2FShowFull
(4) Le slogan «Ron Arad, né pour être libre» se réfère au pilote israélien Ron Arad. Pour sa libération le gouvernement israélien refusa de libérer des prisonniers palestiniens et libanais et il est considéré comme étant définitivement perdu.
(5) Voir: http://www.guardian.co.uk/world/2009/dec/2israeli-pathologists-harvested-organs
(6) Les leaders des colonies se dissocient des actes d’extrême violence envers les Palestiniens en définissant ceux qui les perpétrent comme «les mauvaises herbes de notre jardin».
(7) Le terme hébreu utilisé «Yefe Nof» est tiré du poème de nostalgie envers Jérusalem, écrit par le poète médiéval espagnol Yehuda Halévy : «O séjour de beauté sans égale/ joie de la terre entière».