Egypte, recrudescence de la violence
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Cf2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement), novembre 2017
Egypte, recrudescence de la violence
Alain Rodier
Si les actions de la Wilaya Sinaï de l’« Etat Islamique » sont bien connues car souvent médiatisées, l’insécurité est aussi très présente dans l’ouest de l’Egypte (le désert libyque ou désert de Libye) qui représente les deux tiers de la superficie du pays. Là, elle est à la fois le fait du groupe égyptien Al-Mourabitoune, d’autres cellules dépendant plus ou moins directement d’Al-Qaida « canal historique » et de Daech. Ainsi, huit attaques majeures y ont eu lieu en l’espace de trois ans, causant la mort d’une soixantaine de personnes.
La dernière en date a eu lieu le 20 octobre 2017. Une embuscade montée par des terroristes non formellement identifiés contre des forces de sécurité égyptiennes près de l’oasis d’Al-Wahat el-Bahriya, situé à 135 kilomètres au sud-ouest du Caire, a provoqué la mort de quinze militaires et d’un policier.
Le président Abdel Fatah al-Sissi a réagi en limogeant, le 28 octobre, le chef d’état-major des forces armées, le général Mahmoud Ibrahim Hegazi. Il l’a remplacé par son homonyme, le général Mohamed Farid Hegazi1. Simultanément, le ministre de l’Intérieur, Magdy Abdel-Ghaffar, a démis de ses fonctions le général Mahmoud Shaarawy, le chef de l’Agence nationale de sécurité (Keta El Amn El Watani) chargée du renseignement intérieur2, ainsi que deux de ses adjoints, les généraux Hisham El-Iraqi et Ibrahim El-Masry, chargés du gouvernorat de Gizeh. Les reproches qui leur sont faits sont un manque de coordination entre les forces de police et l’armée, et surtout, des déficiences dans le renseignement intérieur3. Par ailleurs les forces de police sont insuffisamment équipées pour faire face à des activistes surarmés.
Le Groupe Al-Mourabitoune d'Hisham al-Ashmawy
Le Caire considère Hisham al-Ashmawy comme l’activiste salafiste-djihadiste le plus actif à l’heure actuelle dans le pays. Né en 1978, il est sorti de l’académie militaire égyptienne en 2000. Il rejoint les forces spéciales et sert au Sinaï, mais son engagement religieux attire rapidement l’attention de ses supérieurs. Il est muté en 2005 dans un poste administratif. En 2006, un de ses proches est arrêté et meurt en détention. Al-Ashmawy s’isole alors complètement et son attitude provoque sa mise en congé de l’armée en 20074. Il se lance alors dans le commerce de pièces de rechange d’automobiles et de vêtements. Durant le printemps arabe de 2011, il disparaît complètement des radars des services de sécurité et rejoint le groupe Ansar Bait-al-Maqdis (Ansar Jerusalem) qui vient d’être créé par des militants salafistes alliés à des tribus bédouines du Sinaï. L’objectif prioritaire de ce groupe est alors Israël bine qu eles actions qu’il mène sont essentiellement dirigées contre des infrastructures, particulièrement pétrolières.
Lorsque le président Mohamed Morsi est renversé par son chef d’état-major des armées, le général Sissi, le 3 juillet 2013, Ansar Bait-al-Maqdis s’en prend violement aux représentants de l’ordre dans le Sinaï. En raison de son passé militaire, Ashmawy devient un de leurs leaders opérationnels, plus particulièrement chargé de la tactique et de la formation des activistes. Sa première opération marquante date du 19 juillet 2014, lorsque ses hommes attaquent un poste de contrôle à Qaram Al-Qawadis, dans le Nord-Sinaï. Plus de trente soldats sont tués et la vidéo de l’assaut circule alors sur le net. C’est à peu près à cette époque qu’il rejoint la ville de Derna en Libye, où il noue des relations avec Ansar al-Charia, groupe qui dépend d’Al-Qaida « canal historique ».
Le 10 novembre 2014, Ansar Baït al-Maqdis fait allégeance à Abou Bakr al-Bagdadi ; mais Ashmawy reste fidèle à Al-Qaida « canal historique » créant son propre groupe qu’il appelle Al-Mourabitoune. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il prend le même nom que la katiba de Mokhtar Belmokhtar, le célèbre émir algérien proche d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) alors présent sur zone. Ashmawy est alors rejoint par d’autres représentants des forces de l’ordre égyptiennes. Parallèlement, il utilise un certain Abdelkader al-Najili – alias Abou-Moaz El-Tikriti – comme intermédiaire pour acquérir des armes, particulièrement via le port de Syrte (Libye). Cet individu appartient à Daech mais les affaires restent les affaires…
Dès décembre 2014, Ashmawy lance des opérations transfrontalières dans l’ouest de l’Egypte. A cette occasion, il aurait été blessé et amputé d’une jambe, ce qui lui interdirait désormais de mener personnellement des opérations sur le terrain. Il se contenterait de les planifier et de fournir les moyens logistiques nécessaires à leur exécution. Néanmoins, Le 29 juin 2015, l’assassinat du procureur général Hisham Barakat, à Héliopolis près du Caire, lui est attribué; mais le pouvoir égyptien a peut-être tendance à attribuer à Ashmawy des actions qu’il n’a pas commanditées.
En effet, Al-Qaida « canal historique » aurait des camps d’entraînement en Libye où seraient constituées des cellules appelées « Al-‘Aedoon ». Elles seraient envoyées en Egypte afin de s’implanter dans l’ouest du pays, mais aussi en Haute Egypte. Il est vraisemblable que chaque groupe ayant reçu une formation en Libye bénéficie d’une totale liberté d’action dans la zone qui lui a été assignée. La frontière longue de 1 100 kilomètres entre les deux pays reste poreuse faute de moyens suffisants pour la contrôler et surtout parce que l’armée libyenne – les forces du maréchal Khalifa Haftar – sont pour l’instant occupées ailleurs. Il est donc facile aux activistes la traverser et de recevoir des ravitaillements. Pour eux, la principale menace vient des airs, le président Sissi affirmant que 1 200 véhicules terroristes ont été détruits en trois ans.
Daech est toujours très présent en Egypte
Après une année 2016 relativement calme dans l’ouest égyptien, 2017 a connu un regain d’activités terroristes. Toutefois, celles-ci ne sont pas toutes le fait du groupe Al-Mourabitoune ni des cellules « Al-‘Aedoon ». Ces deux mouvements sont en effet concurrencés par un groupe dénommé « Les Soldats du califat » qui serait derrière l’attaque d’un bus se rendant au monastère de Saint Samuel le Confesseur, dans le gouvernorat d’Al-Minya, le 26 mai 2017. Vingt-huit chrétiens ont été massacrés lors de cette action. Ce groupe serait commandé par Izzat Ahmed et Amro Saad, deux activistes de Daech bien connus des autorités égyptiennes. Ils auraient recruté une douzaine de jeunes de la région d’Al-Minya, dont les deux kamikazes – Mamdouh Amin et Mahmoud Hassan Moubarak – qui ont mené les attaques du 9 avril 2017 contre les églises d’Alexandrie (dix sept tués5) et de Tanta (28 tués).
Le nord du Sinaï continue d’être la principale zone d’action des terroristes de Daech, les autorités égyptiennes ne parvenant pas à contrôler cette région semi-désertique et peu peuplée. Les hommes de Daech bénéficie de la coopération plus ou moins forcée[6 . En guide d’avertissement, des exécutions d’« espions » sont régulièrement médiatisées.] des tribus bédouines locales qui sont traditionnellement en opposition avec le pouvoir central du Caire. Pour le moment, les autorités n’ont pas noté l’arrivée de djihadistes venant de l’extérieur, notamment du front syro-irakien où Daech se trouve en difficulté.
Conclusions
La situation sécuritaire en Egypte reste très préoccupante. Si les activistes salafistes-djihadistes ne sont pas très nombreux, ils bénéficient d’atouts qui leur permettent de perdurer et de mener des actions spectaculaires :
– des bases arrières en Libye et vraisemblablement à Gaza, qui leur permettent de s’approvisionner en armes et munitions et leur offrent des zones de repos sécurisées ;
– une population minée par la doctrine des Frères musulmans qui, s’ils n’apparaissent pas sur le devant de la scène par crainte de la répression, gardent une influence doctrinale et sociale majeure, contre laquelle les autorités ont du mal à lutter ;
– des forces de l’ordre peu motivées et mal entraînées, même si l’encadrement a un bon niveau … quand il n’est pas corrompu;
– des moyens qui restent limités malgré l’aide de l’Arabie saoudite et le soutien discret de la Russie et d’Israël, qui ne suffisent pas à pallier la fin des financements des Etats-Unis qui ont gelé cet été leur aide militaire en raison du non-respect des droits de l’Homme par Le Caire.
Si les islamistes radicaux n’ont pas la capacité de renverser le régime égyptien, de son côté ce dernier n’est pas en position d’assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire, ce qui aggrave d’autant la crise économique porteuse de futurs mécontentements populaires dont les conséquences sont imprévisibles à moyen terme.
Notes:
1) Qui se retrouve chargé de négocier la réconciliation entre les différentes factions libyennes. Le fait de ne pas avoir été mis à la retraite est peut-être lié au fait que l’un des fils du maréchal Sissi (Hassan) a épousé une de ses filles
2) Il a été remplacé par le général Mahmoud Tawfiq
3) Un exemple dramatique avait été donné en septembre 2015 lorsque les forces armées égyptiennes avaient tué douze touristes mexicains qui se déplaçaient à bord de quatre véhicules dans la région d’Al-Wahat. Ils avaient été confondus avec des terroristes
4) Il n’en sera totalement exclu – administrativement parlant – qu’en 2012
5) Cette cathédrale avait déjà été l’objet d’une attaque terroriste le 1er janvier 2011, causant la mort de 21 personnes