USA, mai 2015 - L’historien Victor Kappeler note qu’en 1704, c’est dans la colonie de Caroline que se mit en place la toute première patrouille esclavagiste du pays. Les textes historiques sont clairs: avant la Guerre de Sécession, la seule force de police légale connue n’existait que dans le but d’opprimer la population esclave et de protéger les biens et les intérêts des propriétaires d’esclaves (photo, une manifestation contre la police a Baltimora)



Le Saker francophone, 4 mai 2015



La naissance de l’État policier contre les Afro-américains


Garikai Chengu


L’historien Victor Kappeler note qu’en 1704, c’est dans la colonie de Caroline que se mit en place la toute première patrouille esclavagiste du pays. Les textes historiques sont clairs: avant la Guerre de Sécession, la seule force de police légale connue n’existait que dans le but d’opprimer la population esclave et de protéger les biens et les intérêts des propriétaires d’esclaves. Les similarités aveuglantes entre les patrouilles esclavagistes du XVIIIe siècle et les brutalités policières de l’Amérique moderne sont trop significatives pour être évacuées ou ignorées


Les Noirs en Amérique vivent dans un État-policier-au-sein-de-l’État. L’État-policier dédié aux Afro-Américains [latinos et amérindiens suivront, NdT] exerce son autorité sur la minorité noire à travers un ensemble de moyens d’oppression: lynchages par la police, incarcération massive à but lucratif, surveillance et assassinat de leaders noirs par des moyens approuvés par le gouvernement. L’État-policier dédié aux Afro-Américains est indiscutablement un crime actuel contre l’humanité.

Les premières forces de police dans l’histoire de l’Amérique moderne furent les patrouilles esclavagistes et les rondes nocturnes, toutes deux destinées à contrôler le comportement des Afro-Américains.

L’historien Victor Kappeler note qu’en 1704 c’est dans la colonie de Caroline que se mit en place la toute première patrouille esclavagiste du pays. Les textes historiques sont clairs : avant la Guerre de Sécession, la seule force de police légale connue n’existait que dans le but d’opprimer la population esclave et de protéger les biens et les intérêts des propriétaires d’esclaves. Les similarités aveuglantes entre les patrouilles esclavagistes du XVIIIe siècle et les brutalités policières de l’Amérique moderne sont trop significatives pour être évacuées ou ignorées.

L’Amérique a été fondée comme une république esclavagiste, et les esclaves qui ne se résignaient pas toujours à leur statut et se rebellaient souvent devenaient des ennemis de l’État. Les patrouilles esclavagistes furent ainsi créées pour interroger et persécuter les Noirs ici ou là, sans procédure légale ou enquête formelle. Jusqu’à ce jour, la police ne sert pas et ne protège pas la communauté afro-américaine, et traite les Noirs comme naturellement criminels et infrahumains.

Avec la constitution des premières forces de police en Amérique, les lynchages sont devenus le fondement de l’État policier anti-Afro-Américain.

La majorité des Américains croit que les lynchages sont une manifestation désuète du terrorisme racial qui a pourri la société américaine jusqu’à la fin de l’ère des lois Jim Crow. Pourtant, le penchant américain pour le massacre indiscriminé des Afro-Américains s’est seulement aggravé avec le temps. Le journal The Guardian affirmait récemment que selon les historiens, vers la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle ,en moyenne deux Afro-Américains étaient lynchés chaque semaine.

En comparant ces chiffres avec les données incomplètes du FBI, qui montrent qu’une personne de race noire est tuée par un policier blanc plus de deux fois par semaine, il devient clair que la situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire.

Le terrorisme racial a donne naissance à l’Amérique. Cela ne devrait donc pas surprendre que les agents de maintien de l’ordre public s’engagent de manière routinière dans le terrorisme des lynchages actuels.

Traditionnellement, les lynchages n’étaient pas supervisés par une autorité judiciaire, et n’intervenaient ni au terme d’un procès ni sous le jugement d’un jury. Ils avaient lieu pour les raisons les plus triviales : avoir adressé la parole à une femme blanche, oublier de se décoiffer ou faire un sourire sarcastique devant un Blanc. Les lynchages des temps modernes ne sont pas non plus précédés d’un processus judiciaire quelconque. Plusieurs adolescents noirs comme Tamir Rice ont été tués par la police pour des raisons banales comme s’amuser en public avec un pistolet-jouet.

Un lynchage ne veut pas nécessairement dire une pendaison. Il inclut habituellement humiliation, torture, brûlure, écartèlement, ou castration. Un lynchage est un rituel public quintessentiel à l’Amérique et souvent il avait lieu en présence de larges foules quelquefois estimées à des milliers de personnes. L’historien Mark Gado signale que «des spectateurs parfois tiraient au fusil ou au pistolet sur le cadavre, la foule éclatait de joie et les enfants continuaient leurs jeux pendant ces festivités».


La presse américaine à sensation n’épargnait aucun détail au public, si horribles soient ces détails, et en 1899 le Springfield Weekly décrivait un lynchage en racontant comment «le Nègre a été ampute de ses oreilles, de ses doigts, et de ses organes génitaux. Il implore piteusement que l’on épargne sa vie pendant que les mutilations se poursuivent. Avant que le corps ne soit raide, il est coupé en pièces, et les os écrasés en petits morceaux…Le Cœur du Nègre est coupé en plusieurs morceaux, ainsi que son foie… les petits morceaux d’os sont vendus à 25 cents pièce…» Des descriptions aussi morbides étaient courantes au Sud, et des photos étaient régulièrement prises des corps des lynchés, qui étaient exposés en public. Certaines furent éditées en cartes postales qui furent distribuées à travers le pays.

De nos jours, le grand public américain participe aux lynchages modernes par le partage des vidéos virales de policiers qui tuent des hommes, des femmes et des enfants noirs. En choisissant de ne pas censurer les contenus graphiques de ces massacres perpétrés par la police contre les Noirs, les médias qui les diffusent poursuivent le même but que celui des comptes-rendus détaillés du siècle dernier et aggravent la détresse psychologique des Afro-Américains. Ces vidéos horribles et largement diffusées insensibilisent également la communauté blanche au point d’encourager les policiers blancs à faire encore davantage.

Une marque des États policiers fascistes du vingtième siècle tels que l’Italie de Mussolini ou l’Espagne de Franco est l’impunité de la police pour ses crimes. En dépit de circonstances extrêmement choquantes entourant les lynchages et plusieurs meurtres commis par des policiers, ces derniers sont rarement reconnus coupables et punis.

La Commission des Nations unies pour les droits de l’homme a récemment publié un rapport sur les violations des droits de l’homme aux États-Unis, qui a clairement condamné les brutalités policières. Il y est déclaré: «La Commission exprime son inquiétude au sujet du nombre toujours élevé des tueries par balles causées par la police contre les Afro-Américains.»

Dans l’Amérique moderne, l’Afro-Américain est doublement victime de ce meurtre commis par la police. Non seulement il est lynché par la police, mais en plus sa réputation est démolie de sorte à justifier l’exécution publique commise par la police. C’est ainsi que bien souvent, le dossier scolaire de la victime noire, son statut professionnel et sa présence dans les médias sociaux sont traînés par la presse devant le tribunal de l’opinion publique, comme si cela avait quelque chose à voir avec le droit par la police de tuer un citoyen américain de race noire.

Les arrestations arbitraires et l’incarcération de masse ont été des éléments essentiels des États-policiers comme l’Allemagne de l’Est et le Chili d’Augusto Pinochet.

Actuellement, les États-Unis retiennent dans diverses prisons plus d’Afro-Américains, toutes proportions gardées, que ne le fit jamais l’Afrique du Sud avec les Noirs de là-bas, même au plus fort de l’Apartheid.

Une audition au Sénat à propos du Bureau fédéral des prisons a indiqué que la population incarcérée a tourné autour de 25 000 personnes tout au long du vingtième siècle, jusqu’à l’explosion des années quatre-vingts quand une augmentation massive du nombre des détenus a porté le chiffre à plus d’un quart de million. La cause en a été la Guerre contre la drogue 1 lancée par Ronald Reagan, qui intentionnellement et de façon disproportionne a ciblé les Noirs. Cette Guerre contre la drogue est actuellement la principale justification de l’État-policier américain pour les violences, les brutalités policières et la discrimination judiciaire envers les Noirs.

Un Afro-Américain sur trois sera arrêté et traduit devant le système américain de l’injustice à un moment ou à un autre de sa vie, le plus souvent pour des infractions non violentes liées à l’usage de la drogue, et cela malgré que des études aient révélé que l’usage de la drogue est plus fréquent chez les jeunes Blancs que chez leurs compatriotes noirs.

Pendant des décennies, le taux de criminalité des Afro-Américains a décru, mais les taux d’incarcération eux sont restés constamment élevés. En dehors de la Guerre contre la drogue, l’augmentation du nombre de détenus pourrait avoir d’autres causes moins connues, particulièrement la privatisation graduelle de l’industrie de la prison, et sa logique du profit d’abord, justice ensuite. Si les places ne sont pas occupées en prison, les États doivent dédommager les compagnies gérant des prisons pour l’espace inoccupé, ce qui veut dire que les contribuables doivent payer le prix en cas de taux d’incarcération insuffisants.

Les prisons privées sont conçues par les riches pour les riches. Le système des prisons à but lucratif dépend de l’emprisonnement des Noirs pour sa survie, de la même façon que les États-Unis ont été conçus.

Il n’est pas surprenant que le nombre de Noirs en prison, en sursis ou en liberté provisoire, soit aujourd’hui supérieur à celui des esclaves en 1850, avant la Guerre de Sécession.

L’histoire de l’Allemagne nazie et de la Gestapo présente de nombreux parallèles avec ce que les forces de maintien de l’ordre sont devenues contre les communautés noires aux États-Unis.

La célèbre méthode d’arrêt-fouille qui permet a la police new-yorkaise d’arrêter théoriquement n’importe qui sur la base d’un simple soupçon est semblable à ce que faisaient les Nazis. Les Latinos et les Noirs représentent 84 pour cent de tous ceux qui sont arrêtés, bien qu’ils constituent respectivement 29 et 23 pour cent de la population totale de la ville de New York. Pire encore, les statistiques montrent que les membres des services de police de New York sont davantage susceptibles d’utiliser la force physique contre les Noirs et contre les Latinos durant ces opérations.

La Gestapo par exemple opérait sans contrôle judiciaire selon une loi prise en Allemagne, ce qui la plaçait au-dessus de la loi.

Les activités de contre-intelligence (COINTELPRO) menées par le FBI dans les années 1950, 1960, et 1970 sont une des plus pernicieuses initiatives domestiques de l’histoire des États-Unis, avec le ciblage des organisations et des individus noirs que le FBI considérait comme des menaces contre le statu quo raciste et capitaliste.

COINTELPRO fut une série d’opérations secrètes, souvent illégales destinées à surveiller, infiltrer, discréditer et brutaliser les communautés noires aux États-Unis.

Après avoir affirme dans une note en 1963 que Martin Luther King Jr. était «le Nègre le plus dangereux pour l’avenir de ce pays», William C. Sullivan, directeur de COINTELPRO conclut : «Il serait irréaliste de limiter [nos actions contre King] à des preuves uniquement juridiques qui tiendraient debout devant la justice ou devant les commissions parlementaires.»

Le FBI mena une guerre intense contre Martin Luther King Jr. Les agents de l’État-policier dirigé contre les Afro-Américains mirent des micros dans ses chambres d’hôtel, tentèrent de lui coller des enquêtes fiscales, et firent pression sur les journaux qui publiaient des articles parlant de lui. En 1999, un procès civil aboutit a la conclusion que les agents des forces de maintien de l’ordre des États-Unis étaient responsables de l’assassinat de Martin Luther King Jr.

Le maintien de cet État-policier dirigé contre les Afro-Américains est aujourd’hui un crime contre l’humanité. Les manifestations en cours et les divers soulèvements dans les communautés noires sont une réponse directe et juste face à des siècles d’incarcération aggravée, de lynchages et de traitement en citoyen de seconde classe. Loin d’être une nation post-raciale, les relations entre races aux États-Unis sont au plus bas. Le mécontentement qui couve dans les communautés noires va continuer à monter pour atteindre le point d’ébullition jusqu’à ce que l’État-policier dirigé contre les Afro-Américains soit dénoncé et complètement démantelé.

Garikai Chengu est chercheur a Harvard University. Contact: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Traduit par Jules, relu par jj pour le Saker Francophone

Add comment


Security code
Refresh

accueil
Dichiarazione per la Privacy - Condizioni d'Uso - P.I. 95086110632 - Copyright (c) 2000-2024