21/01/2010 - Jeune Afrique - Par : Tshitenge Lubabu M. K.


Haïti : fille aînée de l'Afrique


Par delà l'océan, un lien humain et spirituel rapproche l’Afrique de l’ancienne « Perle des Antilles ». Au plus profond des consciences, Haïti demeure la "première République noire de l'Histoire".


Haïti vit un cauchemar. L’un des pires moments de son histoire. Les images d’apocalypse qui viennent de Port-au-Prince ne peuvent laisser indifférent. A fortiori l’Afrique, dont Haïti est un prolongement, et qui doit se sentir meurtrie, même si l’heure est à l’adoration du dieu football en Angola.
Lorsqu’on demande aux Africains ce qu’Haïti représente pour eux, beaucoup évoquent aussitôt l’indépendance de l’île caraïbe qui, en 1804, devint la « première République noire de l’Histoire ». Ils en conçoivent une fierté d’autant plus grande que cette indépendance a été acquise à l’issue d’une défaite coloniale, celle de l’armée française en l’occurrence. « Pour nous, Haïti est à la fois le symbole de l’abaissement des Noirs à travers l’esclavage et la traite, et de leur redressement grâce à l’indépendance qu’ils ont arrachée au colonisateur », souligne l’historien congolais Elikia M’Bokolo.

Ancienne « Perle des Antilles »
Ce lien profond entre l’Afrique et l’ancienne « Perle des Antilles » est avant tout un lien humain : la quasi-totalité des Haïtiens sont des descendants des esclaves noirs issus de la côte ouest-africaine, c’est-à-dire du Nigeria, du Bénin et du Togo actuels. Ce qui explique, aussi, l’enracinement pluriséculaire du vaudou. Le Malien Tiébilé Dramé, qui a séjourné un an dans le pays, pour le compte de l’ONU, dans les années 1990, se souvient : « Dès mon arrivée, je me suis rendu compte qu’Haïti était la terre la plus africaine des Grandes Antilles. Cette île est la fille aînée de l’Afrique. L’héritage du continent y est très vivace. Aujourd’hui, dans ces circonstances dramatiques, j’espère que l’Afrique ne laissera pas aux autres le monopole de la solidarité avec Haïti. »
La revendication de ses racines africaines jalonne toute l’histoire haïtienne. Jean Price-Mars, disparu en 1969, est l’une des grandes figures de ce courant de pensée. En Haïti, il valorise le patrimoine de l’Afrique ancestrale ; puis à Paris, dans les années 1930, fréquente l’élite des diasporas noires. Très apprécié et écouté par ses camarades, ce « quêteur d’Afrique » intègre sans difficulté la famille de Présence africaine. Et c’est tout naturellement que, lorsque cette maison d’édition organise, à la Sorbonne, en 1956, le premier Congrès des écrivains et artistes noirs, il est élu président à l’unanimité.
Cette même année, il est placé à la tête de la Société africaine de culture, créée par Présence africaine. De Price-Mars, Léopold Sédar Senghor disait : « Me montrant les trésors de la négritude qu’il avait découverts sur et dans la terre haïtienne, il m’apprenait à découvrir les mêmes valeurs, mais vierges et plus fortes, sur et dans la terre d’Afrique. »

Discours en lingala

Cette même soif d’Afrique poussera Roger Dorsinville, une autre grande plume haïtienne, à vivre sur le continent de 1961 à 1986, au Liberia, puis au Sénégal. Pour lui, il s’agit d’une nouvelle naissance qui féconde son œuvre, conférant, selon les critiques, « un caractère original et innovateur à l’histoire littéraire d’Haïti ».
Les intellectuels haïtiens ont, depuis le temps des indépendances africaines, beaucoup œuvré pour le continent. Surtout en faveur de l’actuelle RD Congo, qui, dès juillet 1960, s’est trouvée démunie après le départ massif des cadres belges. De nombreux Haïtiens sont alors venus former les jeunes Congolais, comme en témoigne Elikia M’Bokolo : « J’ai été leur élève. Il y avait parmi eux des professeurs, des médecins, des juristes – des personnes de très grande qualité – qui nous ont beaucoup apporté. Et quand, en 1991, je suis allé à mon tour enseigner dans leur pays, j’ai été frappé par la curiosité des Haïtiens envers l’Afrique. » L’attachement à l’Afrique c’est, rappelle-t-il, cette ministre des Affaires étrangères de Jean-Bertrand Aristide, née en RD Congo, qui, à la tribune des Nations unies, prononce une partie de son discours en lingala. Ou encore le réalisateur Raoul Peck, dont les parents sont parmi les tout premiers à arriver en RD Congo et qui a gardé un souvenir impérissable du continent, au point de consacrer un film à l’un de ses héros, Patrice Lumumba, et un autre au génocide rwandais.



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