La réémergence de la Chine en tant que puissance mondiale - 1ère partie
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Le Grand soir, 17 mars 2012
La réémergence de la Chine en tant que puissance mondiale - 1ère partie
Jamer Petras
L’histoire du pouvoir dans le monde a été déformée par des historiens eurocentrés qui ont ignoré le rôle dominant de la Chine dans l’économie mondiale de 1100 à 1800. La brillante rétrospective historique que John Hobson fait de l’économie mondiale de cette période fournit des quantités de données empiriques qui prouvent la supériorité économique et technologique de la Chine sur la civilisation occidentale pendant la plus grande partie du millénaire précédent avant qu’elle se soit assujettie et ne commence à décliner au 19ième siècle.
La réémergence de la Chine en tant que puissance économique nous conduit à nous interroger sur son ascension et sa chute précédentes et sur les menaces intérieures et extérieures qui pèsent dans le futur immédiat sur cette superpuissance économique renaissante.
D’abord nous soulignerons les principaux aspects de l’ascension historique de la Chine et de sa supériorité économique sur l’Occident avant le 19ième siècle à partir du livre de John Hobson, "Les origines orientales de la civilisation occidentale". Etant donné que la majorité des historiens économiques occidentaux (libéraux, conservateurs ou marxistes) ont représenté la société chinoise comme stagnante, arriérée et bornée, un "despotisme oriental" selon leur expression, il est nécessaire de montrer qu’il n’en était rien. Il faut aussi particulièrement montrer comment la Chine, la puissance mondiale technologique de 1100 à 1800, a permis l’ascension de l’Occident. C’est seulement en empruntant et en assimilant les innovations chinoises que l’Occident a pu opérer la transition vers l’économie capitaliste et impérialiste moderne.
Dans la seconde partie nous analyserons les facteurs et les circonstances qui ont amené le déclin de la Chine au 19ième siècle et la domination, l’exploitation et le pillage subséquents de ce pays par les puissances impériales occidentales, d’abord l’Angleterre puis le reste de l’Europe, le Japon et les Etats-Unis.
Dans la troisième partie, nous soulignerons brièvement les facteurs qui ont mené à l’émancipation de la Chine de la règle coloniale et néocoloniale et nous analyserons sa récente percée comme deuxième plus grande économie mondiale.
Enfin nous étudierons les menaces passées et présentes qui pèsent sur l’avènement de la Chine comme puissance économique mondiale en mettant en lumière les similitudes entre le colonialisme anglais des 18 et 19ièmes siècles et les stratégies impériales étasuniennes actuelles et en montrant les forces et les faiblesses des réactions chinoises passées et présentes.
LA CHINE : L’ascension et la consolidation de sa puissance mondiale de 1100 à 1800
A l’aide de comparatifs systématiques, John Hobson fournit énormément de données concrètes qui démontrent de façon indiscutable la supériorité mondiale économique de la Chine sur l’Occident et en particulier sur l’Angleterre. En voilà quelques unes :
Dès 1078 la Chine était le plus grand producteur au monde d’acier (125 000 tonnes) tandis que l’Angleterre n’en produisait encore que 76 000 tonnes en 1788.
La Chine était le leader mondial de l’innovation dans la production textile, sept siècles avant la "révolution textile" anglaise du 18ième siècle.
La Chine était la première puissance commerciale et faisait du commerce avec la plus grande partie de l’Asie de l’ouest, de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Europe.
La "révolution agricole" chinoise et sa productivité dépassaient l’Occident au 18ième siècle.
Ses innovations dans la production de papier, de livres imprimés, d’armes à feu et d’outils, en ont fait une superpuissance dont la production était exportée dans le monde entier grâce à un système de navigation des plus avancés.
La Chine possédait les bateaux de commerce les plus grands. En 1588 les plus grands bateaux anglais pouvaient transporter 400 tonnes de fret, les navires chinois 3000 tonnes. Même à la fin du 18ième siècle, les marchands chinois disposaient encore de 130 000 navires de commerce privés, infiniment plus que les Anglais. Le Chine a gardé ce rôle dominant dans l’économie mondiale jusqu’au début du 19ième siècle.
Les fabricants Anglais et Européens qui ont suivi l’exemple de la Chine, en copiant et assimilant ses plus grandes avancées technologiques, étaient pressés d’entrer sur le marché chinois moderne et lucratif.
Jusqu’en 1750, le revenu per capita des Chinois égalait celui des Anglais grâce à leur système bancaire, leur économie basée sur du papier monnaie stable, leur production manufacturée et de bons rendements agricoles.
La position dominante de la Chine a été remise en question par la montée de l’impérialisme britannique qui a adopté les avancées technologiques, maritimes et commerciales de la Chine et d’autres pays d’Asie pour devenir une puissance mondiale en brûlant les étapes.
L’IMPERIALISME occidental et la déclin de la Chine
Les piliers de la conquête britannique et occidentale de l’Orient sont la militarisation des états impériaux, le manque de réciprocité dans leurs relations économiques avec les pays étrangers et la nature de l’idéologie occidentale impériale qui permettait et justifiait la conquête de pays étrangers.
A la différence de la Chine, la révolution industrielle britannique et son expansion au delà des mers est le fruit d’une politique guerrière. Selon Hobson, entre 1688 et 1815, l’Angleterre était en guerre 52% du temps. Tandis que la prospérité chinoise reposait sur le libre échange, la production de biens et les innovations commerciales et bancaires, les Britanniques préféraient les barrières douanières, les conquêtes militaires et la destruction systématique des entreprises étrangères compétitives ainsi que le vol et le pillage des ressources locales. La suprématie chinoise était basée sur "les bénéfices réciproques" des partenaires, tandis que les Britanniques avaient recours à des armées de mercenaires, la répression sauvage et la méthode "diviser pour régner" pour attiser les rivalités locales. En cas de résistance des autochtones, les Anglais (comme d’autres puissances impérialistes) n’hésitaient pas à exterminer des communautés entières.
Incapables de rentrer en compétition avec le marché chinois, l’Angleterre a eu recours à la puissance militaire brute. Elle a armé et formé des mercenaires recrutés dans ses colonies en Inde et ailleurs pour forcer la Chine à importer ses produits et pour lui imposer des traités inégaux à des tarifs préférentiels. La Chine a été inondée d’opium britannique produit dans ses plantations d’Inde au mépris des lois chinoises qui interdisaient ou régulaient l’importation et la vente de narcotiques. Les dirigeants chinois habitués depuis longtemps à la supériorité de leur commerce et de leur fabrication n’étaient pas préparés aux "nouvelles règles impériales" du pouvoir international. La propension occidentale à coloniser des pays par les armes, à piller leurs ressources et à recruter d’énormes armées de mercenaires commandés par des officiers européens a mis fin à la puissance internationale de la Chine.
La base de la suprématie économique de la Chine était la "non ingérence dans les affaires internes de ses partenaires commerciaux". A l’opposé les impérialistes britanniques sont intervenus brutalement en Asie pour adapter les économies locales aux besoins de l’empire (en éliminant les concurrents économiques, y compris les fabricants de coton indiens plus efficaces) et ont pris le contrôle des appareils politiques, économiques et administratifs locaux pour mettre en place la colonisation.
L’empire britannique s’est construit en s’appropriant les ressources de ses colonies et en militarisant massivement son économie. Sa puissance militaire a bientôt supplanté celle de la Chine. La politique étrangère de la Chine a été handicapée par la confiance exagérée des élites dirigeantes dans les relations commerciales. Les officiels chinois et les grands marchands qui cherchaient à se concilier les Britanniques, ont convaincu l’empereur de leur accorder des concessions extra-territoriales dévastatrices et de leur ouvrir leur marché au détriment des fabricants chinois tout en renonçant à leur souveraineté locale. Comme toujours les Britanniques ont attisé les querelles internes et fomenté des révoltes pour déstabiliser davantage le pays.
La pénétration occidentale et britannique du marché chinois et la colonisation de la Chine ont créé une nouvelle classe : les riches "compradores" chinois qui importaient les marchandises anglaises et facilitaient la conquête des ressources et des marchés locaux. Le pillage impérialiste a engendré une plus grande exploitation de la grande masse des paysans et de ouvriers chinois écrasés par de lourds impôts. Les dirigeants de la Chine pressuraient la paysannerie pour payer les dettes de guerre et les déficits commerciaux imposés par les puissances impériales occidentales. Cela a conduit les paysans à la famine et à la révolte.
Au début du 20ième siècle (moins d’un siècle après les Guerres de l’Opium), la Chine avait perdu son statut de puissance économique mondiale ; elle était devenue un pays brisé, à demi colonisé et dont l’immense population était réduite à la pauvreté. Les principaux ports étaient contrôlés par les officiels de l’impérialisme occidental et l’intérieur du pays était régi par des seigneurs corrompus et brutaux. Des millions de personnes étaient devenus esclaves de L’opium anglais.
LES UNIVERSITAIRES britanniques : Eloquents défenseurs des conquêtes impériales
Toute la classe académique occidentale -et à sa tête les historiens impérialistes anglais- ont attribué la domination impérialiste anglaise sur l’Asie à "la supériorité technologique" de l’Angleterre et la pauvreté et de la Chine et sa colonisation au "retard oriental" sans mentionner la supériorité millénaire du commerce et des avancées techniques de la Chine qui a duré jusqu’au début du 19ième siècle. A la fin des années 1920, avec l’invasion impériale japonaise, la Chine a perdu son unité. Sous la loi impériale, des centaines de millions de Chinois sont morts de faim ou ont été dépossédés ou assassinés pendant que les puissances impériales occidentales et le Japon pillaient son économie. Cela a complètement discrédité toute l’élite chinoise collaboratrice des "Compradores" aux yeux des Chinois.
Le souvenir du pays prospère, dynamique et puissant qu’a été autrefois la Chine est resté dans la mémoire collective du peuple chinois mais a été complètement occulté par les prestigieux intellectuels étasuniens et anglais. Les commentateurs occidentaux ont discrédité la mémoire collective de la suprématie de la Chine en la qualifiant d’illusion ridicule due à la nostalgie des seigneurs et de la royauté, et à l’arrogance sans fondement des Han.
LA CHINE renaît des cendres du pillage et de l’humiliation impériales : La révolution communiste chinoise
C’est le succès de la révolution communiste chinoise du milieu du 20ième siècle qui a rendu possible l’ascension de la Chine moderne à la place de seconde économie mondiale. L’armée "rouge", l’armée populaire de libération, a vaincu d’abord l’armée impériale japonaise et ensuite l’armée impérialiste étasunienne soutenue par le Kuomintang, l’armée "nationaliste" menée par les "compradores". Cela a permis la réunification de la Chine en un état souverain indépendant. Le gouvernement communiste a aboli les privilèges extra-territoriaux des impérialistes occidentaux, mis fin au pouvoir des seigneurs de guerre et des gangsters et chassé les propriétaires millionnaires de bordels, les trafiquants de femmes et de drogues ainsi que les autres "fournisseurs de service" de l’empire étasuno-européen.
A tous les sens du mot, la révolution communiste a forgé l’état chinois moderne. Les nouveaux dirigeants ont alors procédé à la reconstruction d’une économie ravagée par les guerres impériales et le pillage des capitalistes japonais et occidentaux. Après plus de 150 ans d’infamie et d’humiliation, le peuple chinois a retrouvé sa fierté et sa dignité nationales. Ces éléments socio-psychologiques ont joué un rôle essentiel dans la capacité du pays à se défendre contre les attaques, le sabotage, les boycotts et les blocus étasuniens qui ont suivi la libération.
Contrairement à ce que prétendent les économistes occidentaux et les économistes néolibéraux chinois, la dynamique croissance de la Chine n’a pas commencé en 1980. Elle a commencé en 1950 avec la réforme agraire qui a procuré de la terre, des infrastructures, des crédits et de l’assistance technique à des centaines de millions de paysans et ouvriers agricoles misérables. Grâce à ce qui est aujourd’hui appelé "capital humain" et à une gigantesque mobilisation sociale, les communistes ont construit des routes, des aérodromes, des ponts, des canaux et des lignes de chemin de fer de même que les industries de base, comme le charbon, l’acier, le fer, qui ont constitué la colonne vertébrale de l’économie de la Chine moderne. Le vaste système d’éducation et de santé de la Chine communiste a produit une force de travail motivée, instruite et en bonne santé. Son armée hautement professionnelle a empêché les Etats-Unis d’étendre leur empire militaire à travers la péninsule coréenne jusqu’aux frontières de la Chine. De même que les historiens et propagandistes ont fabriqué l’histoire d’une Chine "décadente et stagnante" pour justifier leur brutale conquête, de même leurs homologues contemporains ont réécrit l’histoire des trente premières années de la Révolution Communiste chinoise, en niant son rôle positif dans le développement de tous les éléments d’une économie, d’un état et d’une société modernes. Il est clair que la rapide croissance de la Chine a été la conséquence du développement de son marché intérieur, de la formation rapide de scientifiques, de techniciens et de travailleurs qualifiés et que le filet de sécurité sociale qui protégeait et promouvait la mobilité des ouvriers et des paysans étaient les fruits de la planification et des investissements communistes.
La montée en puissance de la Chine sur l’échiquier mondial, a commencé en 1949 par l’évincement de toute la classe financière spéculatrice parasite des "compradores" qui avaient servi d’intermédiaires aux impérialistes européens, japonais et étasuniens pour drainer les grandes richesses de la Chine.
James Petras est un professeur de sociologie de Binghamton University, New York, à la retraite. Il lutte depuis 50 ans pour l’égalité et conseille les sans-terre et sans-travail du Brésil et d’Argentine. Il a co-écrit Globalization Unmasked (Zed Books). Son dernier livre est : The Arab Revolt and the Imperialist Counterattack.
Pour consulter l’original et les notes : http://dissidentvoice.org/2012/03/chinas-rise-fall-and-re-em...
Traduction : Dominique Muselet pour LGS