Nouvelles stratégies de lutte contre l’esclavage
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Nouvelles stratégies de lutte contre l’esclavage
par Nicola Quatrano (traduction de Louis Benjamin Ndong)
Nouakchott, le lundi 2 mai 2011 à 11h00. Un groupe composé de 8 noirs s’est installé devant le commissariat de police d’Arafat, une banlieue de Nouakchott. Mon arrivée ne les inquiète pas, malgré le fait que je suis un blanc : certains d’entre eux me connaissent ; ils savent qu’ils peuvent me faire confiance.
Ce n’est pas le cas du policier en garde, qui soulève depuis ses genoux son vieux fusil Garand et court avertir ses supérieurs qui sont à l’intérieur du petit bâtiment.
Mais la présence d’un Européen parmi les manifestants est le seul signe de nouveauté dans une scène qui est en train de devenir familière à Nouakchott, depuis que l’IRA (Initiative pour la Résurrection du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie) et son leader Biram Abeid ont lancé une campagne de dénonciation de masse de tous les cas d’esclavage dont environ 3000 militants éparpillés dans le pays parviennent à découvrir .
Face à la timidité, ou voire même le refus d’intervention de la police et des autorités, voilà que se déclenchent les initiatives de lutte : sit-in illimités devant les bureaux de la police (durant des jours), grèves de la faim, encerclements symboliques de maisons des « maîtres ».
Ce matin, le nouveau cas pour lequel les militants font un sit-in devant le Commissariat est celui de Lekhewadoum Mint Daguly, qui selon ce qu’auraient constaté les militants abolitionnistes, est tenu en esclavage par un certain Emeilmime Edha Sidilemine et par son frère Ebah Edha Sidilemine.
Les militants ont recueilli la dénonciation des voisins de la présumée « maîtresse », selon lesquels Lekhewadoum serait asservi à sa maîtresse, pour laquelle elle travaille sans salaire et sans un autre type de paiement qui ne soit le simple entretien de subsistance.
« L’ esclave », de sa part, nie la circonstance ( un fait normal dans ce genre de situation), mais ceci n’empêche pas aux militants de l’IRA de réclamer une enquête et l’intervention des autorités. Cette fois-ci le sit-in a duré peu de temps, car le commissaire a préparé un procès verbal des déclarations des protagonistes et des témoins, en envoyant le tout au Parquet. « L’esclave », qui aurait dû être confiée à l’IRA, a été au contraire livrée à son père ( ou à quelqu’un qui s’est déclaré comme tel) et qui de façon inattendue est intervenu. De toute manière, l’enquête a démarré, et ceci semble satisfaire provisoirement les manifestants, lesquels promettent d’être vigilants : s’ils découvrent que l’esclave est retournée chez sa maîtresse, ils encercleront le bâtiment de façon illimitée. Si elle reste avec son père, ils attendront les résultats de l’enquête.
La réalité de l’esclavage en Mauritanie
La quasi-totalité du travail domestique à Nouakchott, et du travail agricole dans les campagnes, est faite par des esclaves. C'est-à-dire cela est fait sans rémunérations par des personnes liées à leur « maître » par des relations compliquées. En réalité, l’esclavage en Mauritanie est une condition qui s’acquiert à partir de la naissance : l’enfant de l’esclave, comme le bœuf, le bouc, les fruits de l’arbre, appartient au maître, qui en dispose comme il croit, l’emploie dans les travaux domestiques ou agricoles, l’exploite sexuellement depuis son plus tendre âge. Dans un certain sens, celui-ci appartient donc à la famille du maître, mais ne jouit d’aucun droit et n’est traité comme les autres membres de la famille. Il dors dans des locaux séparés ; il n’a pas le droit de se marier sans l’autorisation du maître et peut être confié ou vendu. Plusieurs de ces esclaves employés dans les travaux domestiques sont de très petits enfants, parfois même âgés de seulement 5 ou 6 ans, auxquels aucune éducation n’est offerte. D’ailleurs , l’ignorance est une des conditions essentielles de maintien de l’esclavage parmi les personnes dont on fait croire qu’une ancienne malédiction a rendu les noirs esclaves des blancs et qu’elles doivent accepter cette condition pour aller au Paradis.
En général, les maîtres abusent sexuellement d’eux depuis l’âge de 10 ans.
En Mauritanie, l’esclavage n’a été abolie légalement qu’ en 1981 et très récemment ( en 2007) la loi qui a établi des peines de prison sévères à l’encontre des auteurs de traitements esclavagistes. Mais la loi ne suffit pas, car le phénomène est très enraciné et l’élite politico- administrative mauritanienne est composée d’individus appartenant entièrement aux familles propriétaires d’esclaves. Ainsi la loi de l’année 2007 n’a eu jusqu’à présent aucune application pratique ; jusqu’à la tempête déchaînée par l’initiative de l’IRA et Biram Abeid.
La nouvelle stratégie de lutte
La stratégie de lutte récemment adoptée par l’IRA constitue, dans un contexte de ce genre, une nouveauté choquante. Quand les militants abolitionnistes ont commencé à dénoncer des cas concrets d’esclavage, fournissant des preuves, les publiant et réclamant avec des sit-in, grèves de la faim et d’autres formes de luttes non-violentes la punition des coupables, une grande inquiétude s’est répandue dans les familles maures qui emploient des esclaves dans les travaux domestiques. Puis lorsque dans de rares cas, il est arrivé que des maîtres ont été arrêtés, l’inquiétude est devenue une panique et, en peu de jour, des milliers d’enfants esclaves ont été renvoyés à leur famille d’origine, dans l’attente de temps meilleurs.
Je demande à Biram (dans la photo ci-dessus) en quoi consiste cette nouvelle stratégie de lutte ? Il me répond partant de loin : « Le mouvement abolitionniste en Mauritanie existe depuis longtemps et sans doute a eu beaucoup de mérite. Il a fait émergé des personnages importants, par exemple l’actuel président de l’Assemblée Nationale, Messaoud ould Boulkheir, qui a été un des fondateurs de ce mouvement. Sos esclave également, l’association historique qui a récolté l’héritage du premier mouvement anti-esclavagiste a très bien travaillé, obtenant des lois comme celle de 2007, qui criminalise les comportements esclavagistes, ou celle, toute aussi importante, qui interdit l’exploitation des mineurs. Mais les lois ne sont pas appliquées et tout reste comme auparavant ».
Donc , je demande à Biram, qu’est-ce que fait de nouveau et de différent l’IRA par rapport aux autres associations anti-esclavagistes.
« L’IRA – répond Biram - a décidé d’intervenir sur des cas concrets. Jusqu’à présent, on a toujours attendu que l’esclave se rebelle et s’adresse aux associations anti-esclavagistes ; c’est seulement à partir ce moment là qu’on lui offrait notre aide. Mais la loi permet que des plaintes puissent être présentées également par des associations et non seulement par les personnes concernées directement. Ainsi nous avons décidé de dénoncer nous- mêmes les cas d’esclavage dont nous venons à connaissance, sans attendre que ce soit la victime à le faire ».
Comme recueillez-vous les informations sur les cas concrets ?
« L’IRA – répond Biram – compte sur quelques 3000 activistes dans tout le pays. Ce sont essentiellement des voisins de maison qui nous signalent les cas. La Mauritanie est un petit pays ; elle a un peu plus de deux millions d’habitants : tout les gens savent ce qui se passe chez tout le monde. Nous faisons une vérification et puis nous présentons notre plainte. Donc , nous prétendons que les autorités interviennent ».
C’est précisément cette prétention qui a mené Biram et d’autres militants en prison en décembre 2010. Six arrestations : Biram Dah Abeid, Mouloud ould Bonby, Bala Touré, Cheikh ould Abidine, Alioune ould M’Bareck Fall et Dah ould Boushab.
Le cas était celui d’une fille asservie et employée pour des travaux domestiques. « Informé par un voisin de maison – raconte Biram – dans la nuit du 3 décembre nous sommes allés chez le Préfet. Le matin successif la police s’est rendue chez la femme dénoncée et a en effet trouvé la fille au travail. Mais la maîtresse dénoncée est une personne importante, une influente fonctionnaire bancaire . Lorsqu’on s’est rendu compte que la police était en train d’hésiter, nous sommes allés au Commissariat pour protester et nous avons été agressés par certains policiers qui ensuite nous ont dénoncés pour agression. Nous avons été arrêtés et condamnés le 6 février 2011, à un an de prison. Le 15 février on a été gracié malgré avoir rejeté cette grâce.
Notre arrestation a été un faux pas pour le pouvoir : cela a servi uniquement à donner une très grande résonnance à notre activité. Dès lors les informations sur des nouveaux cas d’esclavage ont commencé à nous arriver encore de plus en plus ».
Rappelons que, durant sa détention, Biram a reçu en prison la visite de Marco Panella et d’une délégation du Parti Radical italien.
Peut-on sauver quelqu’un contre sa propre volonté ?
Je dis à Biram que beaucoup de personnes critiquent la radicalité de cette nouvelle stratégie et non seulement par des critiques intéressées. Au cours de mes rencontres, j’ai parlé également avec Rabii ould Idoumou, le très jeune leader du Mouvement du 25 février, celui qui en Mauritanie est en train de faire comme en Tunisie et en Egypte. Eh bien Rabii m’a dit que l’initiative de l’IRA est trop perturbatrice et que cela risque de compacter le front des adversaires, alors qu’ il faudrait au contraire profiter de leurs contradictions internes.
D’autres critiques ont au contraire un caractère beaucoup plus clairement intéressé. En dessous de cet article nous avons reporté deux articles qui contiennent précisément ce point de vue. Personnellement, je partage l’évaluation de Biram qu’il s’agit d’un repositionnement du front des adversaires : ceux mêmes qui, jusqu’à qu’à quelques années de cela niaient même l’existence de l’esclavage en Mauritanie, sont aujourd’hui obligés de l’admettre ; mais ils critiquent Biram soutenant que son initiative bouleverse un équilibre socio-économique, avec un dommage majeur précisément pour ces esclaves qui voudraient se sauver et qui sont au contraire privés même de la seule subsistance que les maîtres de toute manière leurs assurent.
Ma question que je pose à Biram est une autre : « peut-on sauver quelqu’un contre sa volonté ?
« S’ils ne se rebellent pas, c’est parce qu’ils sont ignorants et croient qu’accepter la volonté du maître sert à aller au paradis. Mais il suffit qu’ils soient même un seul jour avec nous pour qu’ils choisissent la liberté. D’autre part – il ajoute – c’est la loi qui interdit l’esclavage et la loi doit être appliquée même contre la volonté des directs concernés ».
Je dois reconnaître que l’idée que les accusations ( ou peut-être le gossip) de quelques voisins suffisent à l’IRA pour réclamer l’arrestation d’un suspect à travers l’organisation de sit-in, grèves de la faim, et d’autres formes de pressions me dérange. Je dis à Biram, lui manifestant mon inquiétude que de telles accusations peuvent cacher des rancœurs, des jalousies, des règlements de compte.
Biram sourit et me rappelle que la Mauritanie n’est pas l’Europe ; «Ici il y a peu de personnes, tout le monde se connaît, tous les gens connaissent les esclaves et tout le monde connaît les patrons… ».
La réponse ne me convainc en rien ; ce qui m’inquiète est qu’une condamnation puissent être confiée à ce que « tout le monde sait ».
Biram me l’explique mieux par un exemple et me convainc : « Lorsque nous trouvons par exemple une enfant qui travaille dans une maison, une enfant qui n’a rien, même pas un vêtement, dormant dans une cabane, n’ayant jamais reçu d’instructions scolaires, et séparée de sa famille… de quoi a-t-on besoin ? Il s’agit d’un esclave un point c’est tout !
Puis nous entendons les voisins qui nous disent que : celle-là n’a pas d’habits, alors que les enfants du maître en ont ; celle –ci ne va pas à l’école, alors que les enfants du maître y vont ; celle –ci travaille dans la maison, alors que les enfants du maître ne travaillent pas… mais il ne s’agit que d’une confirmation ».
« La réalité de l’esclavage – poursuit Biram – est enracinée et profonde. Même les anciens esclaves maintiennent des relations spéciales de servitude vers leur maître. Il y a des anciens esclaves qui sont aujourd’hui des professeurs, des policiers, ou bien qui vivent à l’extérieur. Pourtant ils continuent à être soumis à leurs anciens maîtres et se sentent obligés de leur fournir des services et travaux gratuitement. Un policier peut recevoir, par exemple, l’ordre d’abuser de ses pouvoirs à l’encontre de quelqu’un que son maître déteste. Et il se sent obligé d’obéir ».
«Même moi – dit encore Biram – je maintient des rapports avec mon ancien maître. Mais dans mon cas, les rapports sont corrects et paritaires car il a accepté de respecter jusqu’au fond ma liberté ».
« Ils critiquent nos méthodes – conclut Biram – mais nous intervenons uniquement dans les cas les plus éclatants. Nous ne prétendons certes de rompre les chaînes qui continuent à unir même les membres importants de la police ou de l’administration à leurs anciens maîtres, ni intervenons sur tous les cas d’esclavage. Nous entendons libérer seulement ces esclaves qui sont soumis des conditions d’exploitation inacceptables dans les maisons et les campagnes. Comme le cas des deux enfants que nous avons récemment libérés (âgés de 7 et 9 ans) : ils étaient seuls dans la campagne, abandonnés à eux-mêmes, avec la tâche de faire paître les chèvres… Lorsqu’on tombe sur de telles situations, que fait-on ? Fait-on des analyses juridiques sur l’évaluation de la preuve ? Non, merci. Nous intervenons et prétendons que ces enfants soient libérées et leurs maîtres punis ».
Le raisonnement est direct et Biram l’exprime avec passion. Et c’est précisément sa passion, unie à sa détermination, qui le rend dangereux aux yeux des institutions. Ses camarades ont peur qu’il soit agressé et le surveille jour et nuit. Son nom est présent dans tous les journaux et résonne dans beaucoup de mosquées, où il est présenté comme un ennemi de l’Islam. Dans un récent discours le président de la République et ancien chef de la junte, Mohamed Ould Abdel Aziz, a qualifié les militants de l’IRA d’ ennemis du peuple suscitant des désordres et a invité à les surveiller.
Deux articles critiques à l’encontre de l’IRA et probablement d’une mauvaise foi suivent, mais ils témoignent de l’ampleur et du grand écho suscités par les initiatives de Biram Abeid et de ses camarades.
lanation.info, 12 avril 2011
Par Allah, ne laissez pas les « néo-mouseferines de Biram » basculer dans le néant
par Mohamed Ould Mohamed Lemine
Tout le monde en convient. Les militants anti-esclavagistes ont réussi un grand et historique exploit en obligeant l’Etat à déclarer la guerre- même encore au stade timide-, aux maîtres esclavagistes, notamment en arrêtant les auteurs d’exploitation illégale sur des mineurs dénoncés par ces défenseurs.
Aussitôt cette prouesse des droits de l’homme communiquée à l’opinion publique, les familles qui s’adonnaient jusque-là à ce type d’asservissement furent prises de psychose, congédiant immédiatement des milliers de mineurs, qu’ils employaient dans les villes, vers les leurs, dans les villages ruraux où leurs parents leur donnèrent le nom de « mouseferines de Biram ».
Parmi ces mineurs, que l’on peut assimiler à des affranchis, pour avoir été vaillamment extraits de l’impitoyable joug esclavagiste, il y en a des groupes- certes minoritaires- qui, faisaient l’école, qui aidaient financièrement leurs mères restées dans la bourse, pour réduire la considérable dépendance vis-à-vis de ses anciens maîtres, lui permettant de se procurer petit à petit un capital domestique de chèvres, de vache ainsi qu’à se construire des maisons.
Il s’agit ici juste de déplorer l’absence cruelle de mesures d’accompagnement d’un mal dont les dommages collatéraux peuvent être regrettables voire tragiques, si la lutte contre l’esclavage reste circonscrite à la libération des enfants sans des débouchés économiques leur soient garantis, pour éviter ainsi aux filles de s’exposer à la débauche et aux garçons d’être enrôlés par les milieux de la criminalité, dés lors où tout ce monde n’a plus le moindre sou pour subvenir à ses besoins les plus courants et pour soutenir la mère et les petits.
Ce qui finit sans doute par compromettre fortement et de manière considérable le processus d’autonomie sociale et économique engagé depuis longtemps par ces ménages renaissants, par rapport à leurs anciens maîtres.
En effet, ces ménages dont l’indépendance est aujourd’hui mise en jeu ont des maisons, des baraques, des robinets, des bêtes qu’ils ont pu acquérir à la sueur de leur front, grâce à l’argent rapatrié par les enfants qui travaillent dans les villes.
Coupé de ces revenus, tout le chantier visant à fonder le foyer loin de la main tendue et de l’asservissement s’écroule d’un coup, sans que ses auteurs savent comment faire pour ne pas revenir à l’esclavage qu’ils essayaient de sans débarrasser au jour le jour, sans assistance de l’Etat, comptent sur leur propre endurance et leur adaptation aux nouvelles conjonctures.
Ceci est d’autant plus vrai si l’on sait que toute éventuelle famille esclavagiste s’estimant aujourd’hui exposée à la simple suspicion, pour similitude de situation, se trouve obligée de mettre à la porte ces mineurs, même si ces enfants n’étaient pas totalement asservis.
C’est le cas par exemple de ce mineur qui a récité la moitié du Coran et qui comme tout élève de mahadra est tenu de faire des corvées à son maître, a été renvoyé vers les siens, lesquels l’avaient recommandé au départ pour l’éloigner des dépravations urbaines, ne savant pas aujourd’hui comment faire pour éviter à leur enfant les affres de la rue.
C’est aussi le cas de cette femme restée au village dont les deux enfants (une fille et un garçon) sont revenus ( cas non isolé), mettant ainsi fin à leur travail qui lui permettait de nourrir leurs tous petits frères, désormais contraints de taper à la porte de l’ancien maître pour un partage de la nourriture et de l’eau.
Ce n’est qu’un cas sur plusieurs pour une petite localité de 300 familles environs citée à titre d’exemple, d’où l’ampleur du phénomène boomerang de cette brave lutte appelée à réussir d’amont en aval et inversement.
L’autre exemple qu’on peut aussi citer pour illustrer les aspects collatéraux de ce combat anti-esclavagiste, c’est le refus d’accès exprimé désormais par les anciens maîtres à leurs foyers aux ex-esclaves, avec lesquels ils avaient bien de choses en commun loin du simple asservissement, de crainte d’être pris en flagrant délit par Biram et ses hommes, qui, dans l’esprit de ces villageois, sont aux aguets dans les environs pour repérer des nouveaux cas esclavagistes et conduire leurs auteurs devant la justice.
L’autre jour, pendant mon week-end au village, des ex esclaves me demandaient si réellement Biram est arrivé à « Lavita » (lieu de déviation vers la localité) et s’il envisageait venir chez eux, manifestant un certain dépit pour les effets induits de sa lutte ; sans doute, en raison de leur ignorance, par méconnaissance de la noblesse du combat que Ould Dah Ould Abeid mène pour leur assurer des lendemains meilleurs.
Une ex-maîtresse voyant son ex-esclave venir vers elle pour la saluer, lui dit apeurée « n’entre pas, va chez toi et dit moi à haute voix ce que tu veux ». L’ex maîtresse, d’habitude paresseuse, obligée par son embonpoint d’appeler à l’aide, s’efforce tant bien que mal de faire les anciennes corvées, confiées auparavant à ces enfants désormais interdits même de s’asseoir à ses côtés, après avoir partagé avec elle toute une vie ensemble.
Les exemples sont nombreux pour être cités et chacun peut y aller de sa connaissance de cette inadéquation de la lutte contre l’esclavage, qui au rythme actuelle, en l’absence de mesures d’accompagnement, peut conduire à une autre forme de sociétés perdues.
Enfin, il faut reconnaître que l’objectif de ce message est d’interpeller l’Etat et les militants anti-esclavagistes pour travailler main dans la main, sans passion et avec tolérance pour définir une politique pertinente assurant un succès intégral du processus de réintégration des anciens esclaves.
kassataya.com, 11 avril 2011
Faut-il, pour autant, se venger sur les petits « hratine » ?
par Mohamed Baba
Après la condamnation pour faits d’exploitation de mineurs consécutivement à l’ « affaire d’Arafat », une petite psychose s’est emparée de la société « maure ». Les familles voient des agents de l’Initiative pour la Résurrection du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA Mauritanie) à tous les coins de rues.
Le prénom « Biram » est dans toutes les bouches. On ne s’imaginait pas exposé à aller en prison pour si peu. « Boys », « bonnes » et autres commis de ménage deviennent, du jour au lendemain, autant de raisons offertes au voisin envieux, au cousin jaloux et aux méchants en tout genre de se venger sur vous. Des familles « honorables » ont été ainsi « trainées dans le net », calomniées et accusées de tous les maux. Malgré toutes les ambigüités et le risque de dévoiement que comportent ses méthodes et les déclarations de certains de ses animateurs, je salue le combat de l’IRA et souligne son rôle majeur dans les dernières avancées des droits des gens en Mauritanie. « Paris vaut bien une messe », disait un illustre Protestant.
Parmi toutes les réactions et débats suscités par le début d’application de la loi criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes, votée en début du mandat du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, une seule retiendra mon attention dans ce petit texte. Il s’agit de la délectation que semblent éprouver certains « Maures » à la vue des employés hratine (exploités ou pas) mis à la porte par leurs employés. « Bien fait pour eux. Ils n’ont qu’à aller voir Biram pour les embaucher », semblent dire certains, avec une pointe de perfidie.
Il est peut être vrai que l’application brutale et sans accompagnement de la loi peut avoir des effets pervers. Des vies peuvent en être affectées et leur cours détourné. L’histoire de Maissara, que je m’en vais vous conter, s’en veut une illustration.
Maissara est un petit hartani, de père inconnu. Sa mère, fille mère à quinze ans, aide sa grand-mère à tenir une petite échoppe quand les travaux des champs ne suffisent plus à occuper toute la famille. La grand-mère de Maissara élève, en plus de la jeune mère, trois autres enfants échelonnés dans les âges. Très vite le petit Maissara s’est trouvé livré à lui-même. Même dans les villes de l’Intérieur, la rue est une dure école, à l’issue incertaine. Les coups n’y attendent pas les années et on y dérape très vite.
Un jour, il y a de cela 5 ans, la grand-mère de Maissara l’amenait chez Omar. Il y avait là, dans la famille d’Omar, des enfants de l’âge de Maissara. Omar est un directeur d’école aux méthodes réputées et craint par tous les enfants du quartier. Il n’est pas rare que des mères de famille, issues de toutes les conditions sociales, changent leur enfant d’école et le confie au Directeur Omar.
Pour la grand-mère, Omar n’est pas un directeur quelconque. Des liens plus compliqués le lie à elle et à ses deux autres sœurs. Contrairement à ses sœurs, la grand-mère de Maissara avait connu sa propre grand-mère. Elle s’appelait « El bambarya », portait des scarifications au visage et « appartenait », pour partie, à la mère d’Omar. Mais c’est là une histoire bien ancienne. La grand-mère de Maissara, ses grand-tantes et la mère de ses dernières ont toujours habité de l’autre côté de la ville d’Aleg. Elles louent, toutes, leurs services chez des Maures « blancs » mais jamais chez Omar. A la fois pour ne pas faire payer ses services à quelqu’un de la famille mais aussi pour ne pas être traitées d’anciennes esclaves. Une tacite entente s’est conclue entre ces deux familles interdisant à l’une de rémunérer les services de l’autre. Il n’y a, cependant, pas de clause qui proscrive qu’Omar aide celles qu’il considère comme étant ses protégées ni que ces dernières le lui rende sous forme de fagots de bois, bottes de paille ou portion de récolte de haricots blancs ou de graines de pastèques.
Sans protocole, le Directeur accepta de garder le petit Maissara, de se charger de son éducation et, notamment, de son instruction. Aucune raison objective, expliquait-il à la grand-mère, ne pourrait l’empêcher de faire de Maissara un ingénieur. Il sera, cependant, précisa-t-il en direction de la grand-mère et du gamin, traité comme les autres enfants, même droits et mêmes devoirs. Il se lèvera tôt, comme les autres, pour aider à tirer le lait des chèvres pour préparer le petit déjeuner. Il fera les courses et autres commissions pour le compte des adultes de la famille, comme les autres enfants. Il se pliera au rituel de la tournée du lave-mains qu’on présente aux convives avant et après les repas. Il débarrassera la nappe à tour de rôle avec les autres petits garçons de la famille.
La famille d’Omar est composite et la maison abrite plusieurs générations. Etait ce parce que le prénom « Maissara » était plus facile à prononcer ou que des considérations intimes défendaient à certaines de ces dames de crier, à haute voix, certains prénoms ? Le fait est que le petit protégé d’Omar est statistiquement plus mobilisé que les autres petits de la famille. Cependant Maissara ne s’en est jamais plaint et Omar ne ratait pas d’occasion de rappeler à toute la famille les closes du contrat non écrit qui justifie la présence du petit dans la famille.
Puis vint l’affaire de « Arafat », un quartier de la Capitale, loin d’Aleg. Des militants des Droits de l’Hommes ont dénoncé la présence de fillettes mineures travaillant au service d’une famille de « Maures ». Les deux familles, « Maures » et « Hratine » ont été interpelées. D’autres cas ont été jugés et pour certains d’entre eux, la prison était au bout.
Que faire du petit Maissara ? Qui est Maissara aux yeux de la loi ? Quels liens le lient-ils à la famille d’Omar ? Qui sont, pour Maissara, les petits dont il partage les jeux, les couches et les classes tous les jours ? Que fait, exactement, Maissara, dans la famille d’Omar ?
On prit des avis. Omar se déplaça pour voir le Procureur de la République et lui exposa le cas de Maissara : comment, lui dit il, préserver l’intérêt de ce petit et rester en conformité avec la loi ? En ami de la famille, le défenseur de la société, conseille à Omar de renvoyer Maissara chez sa mère ou sa grand-mère. Il faut, lui dit-il, laisser passer cet orage. Tu pourras toujours demander à sa grand-mère de le garder le soir quitte à ce que tu le gardes, toi, à la maison pour midi.
D’autres avis sont plus tranchés. « Maissara n’est pas membre de la famille. Pourquoi risquer la prison pour si peu. Rien ne peut être tiré de ce petit. Renvoyez-le dans sa famille. Qu’ils se débrouillent et, s’il le faut, qu’ils appellent Biram ».
Rendre Maissara à sa grand-mère c’est le retirer de l’école. C’est le ré-implanter dans un milieu qui ne lui est pas profitable.
Mais où est l’Etat dans cette affaire ? Où est la puissance publique ? Pourquoi le Directeur Omar ne peut-il pas garder le petit Maissara chez lui, assurer sa subsistance et veiller sur son instruction ? Quitte à faire signer à sa mère et à sa grand-mère une décharge ou une procuration de transfert d’autorité parentale. Ne devrait-il pas y avoir un moyen de régulariser cette situation au meilleur de l’intérêt de l’enfant ?
La situation de ce petit Maissara est symptomatique de la grande complexité de l’application de la loi. Comment régulariser la situation d’une bonne, d’un boy ? Existe-t-il une convention type ? Vers quelle administration se tourner ? Qui pourrait jouer le rôle des assistantes sociales, si utiles dans les autres pays ? Il est incompréhensible qu’une question si importante soit laissée au seul soin des ONGs. Si l’Etat considère que ces questions ne relèvent que du domaine des Droits de l’Homme, pourquoi ne pas y impliquer la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ?
Il est urgent que l’Etat se saisisse de cette question, éclaire les gens, les oriente et surtout fasse que les petits hratine ne soient pas victime d’une loi censé libérer leur communauté.
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