Intégrisme et terrorisme, avril 2014 - Est-on en train d'assister à la « défaite » d'Al-Qaida ? Peut-être que oui, dans sa version « Al-Qaida central ». Par contre, la multiplication de mouvements djihadistes provoquée, pour partie, par les suites désastreuses des printemps arabes qui ont amené un affaiblissement des pouvoirs régaliens des Etats locaux, représente une menace grandissante (photo, Oussama ben laden)








Cf2R (Centre Française de Recherche sur le Renseignement) 4 mars 2014



Al-Qaida : l'affaiblissement vient de l'intérieur

Alain Rodier


Les jeux Olympiques d'hiver de Sotchi ont pris fin le 23 février sans qu'aucun incident terroriste notable ne se soit produit. Cela prouve trois choses :


•les mesures de sécurité draconiennes prises par Moscou ont été efficaces, ce qui a tendance à accréditer la maxime populaire : « quand on veut, on peut » ;

•la branche caucasienne d'Al-Qaida, (l'« Emirat du Caucase ») est beaucoup plus affaiblie qu'on ne pouvait le croire ;

•Al-Qaïda central basé au Pakistan n'est plus capable de commanditer, ni encore moins d'orchestrer une opération terroriste à l'étranger, même d'importance réduite.


Des promesses, toujours de promesses...

Dès l'été 2013, Dokou Oumarov, l'émir autoproclamé du Caucase, avait officiellement rompu la trêve qu'il avait unilatéralement décrété en 2012, appelant à l'époque à ne pas s'en prendre aux populations civiles. En effet, en juillet 2013, il a ordonné à ses troupes d'« empêcher par tous les moyens » la tenue des jeux Olympiques d'hiver de Sotchi. Trois attentats kamikazes ont bien eu lieu le 21 octobre, les 29 et 30 décembre 2013 dans la région de Volgograd, faisant 41 morts et des centaines de blessés.


Les plus vives inquiétudes sont apparues lorsqu'une vidéo émanant des deux kamikazes supposés[1] a été diffusée sur le net menaçant les autorités russes : « si vous organisez les jeux Olympiques, vous recevrez un cadeau de notre part [...] pour vous et pour les touristes qui viendront... ». La peur était à son comble. Les Etats-Unis dépêchaient des navires de guerre en mer Noire au cas où une évacuation des membres de la délégation américaine - qui avaient été priés de ne pas arborer les couleurs nationales en dehors des installations olympiques - serait rendue nécessaire. Les autorités françaises confiaient que des membres du GIGN et du RAID accompagnaient les athlètes français, etc.

 

Depuis, plus rien ! Cet aveu de totale impuissance est extrêmement révélateur. La rumeur court d'ailleurs, une fois de plus, que Dokou Oumarov aurait trouvé la mort. Elle est relayée à l'envi par le président tchétchène, Ramzan Kadirov qui ne boude pas son plaisir de voir l'opposition armée si déconfite. Toutefois, si cette nouvelle est vérifiée, elle devrait être relayée prochainement par les sites djihadistes qui, comme d'habitude, accorderont le statut de martyr à Oumarov et, la nature ayant horreur du vide, désigneront un émir chargé de poursuivre la guerre sainte contre les « rats russes et leurs marionnettes ». Il n'en reste pas moins que les djihadistes du Caucase ne sont pas parvenus à un semblant de début d'exécution de ce qu'ils avaient promis à grand renfort de publicité relayée par les media internationaux.


L'occasion de marquer l'opinion mondiale était pourtant là. En effet, toutes les télévisions et radios internationales couvraient l'évènement et la moindre action spectaculaire - même ratée - aurait eu un retentissement planétaire. La volonté de passer à l'action, non seulement d'Oumarov mais peut-être encore plus de son mentor Al-Zawahiri qui ne rêve que d'un nouveau « 11 septembre », était certaine.


Ce sont donc les moyens qui ont fait défaut. Il est vrai que la tâche n'était pas facile pour les activistes, tous les services de sécurité russes étant sur le pied de guerre dans la région de Sotchi, mais aussi autour des cibles potentielles que constituaient les gares, les aéroports, les grands hôtels, etc. Plus de 100 000 hommes auraient ainsi été mobilisés, chiffre vraisemblablement sous-estimé. Mais un attentat-suicide était toujours possible, surtout dans les lieux un peu excentrés comme cela avait été le cas à Volgograd.


Qu'est devenue la brigade Riyad-us Sahideen chargée des kamikazes qui, selon les déclarations d'Oumarov, avait été réactivée en 2009 ? Où sont donc passés les volontaires au martyre, car il est vrai que toute action lors de JO de Sotchi ne laissait guère d'échappatoire aux agresseurs éventuels ? Même si une action terroriste a lieu à l'avenir dans la région, elle n'aura absolument pas le même impact psychologique que si elle s'était déroulée lors des JO. Al-Qaida a donc bien perdu une bataille en montrant son incapacité à agir sur des objectifs sérieusement protégés. 



Un Emirat du Caucase plus divisé qu'Oumarov ne le laisse entendre

En ce qui concerne l'Emirat du Caucase, il convient de souligner qu'il ne s'agit en aucun cas d'une entité unique où les forces respectent une hiérarchie pyramidale à la tête de laquelle se trouverait Oumarov. En effet, chaque groupe agit sur son territoire propre (appelés vilayats) avec des objectifs distincts.


Les Tchétchènes ont toujours en ligne de mire l'indépendance de leur pays. Au Daghestan voisin sévit une guerre de religion entre musulmans oposant les salafistes emmenés par le Sharia Jamaat, aux soufis, ces derniers étant très présents au sein de l'administration régionale. Ce sont les forces russes qui assurent le maintien de l'ordre en Kabardino-Balkarie alors que dans les autres régions, cette tâche est déléguée à des milices qui obéissent aux pouvoirs locaux. Cet état de fait conduit de nombreux anti-russes à la lutte armée, particulièrement au sein du Yarmuk Jamaat. En Ingouchie, la révolte emmenée par les salafistes du Jamaat s'attaque aux représentants de l'Etat mais aussi aux membres des autres religions (les kafirs, les infidèles). Cette lutte s'étend parfois à l'Ossétie voisine où la population est à majorité chrétienne.

 

Certes, de nombreux Caucasiens sont aujourd'hui présents sur d'autres terres de djihad et ne peuvent pas agir dans leurs pays d'origine. D'ailleurs, Oumarov avait demandé aux volontaires au départ de rester sur place pour mener la lutte au pays. Il sentait bien que ces effectifs lui échappaient et qu'ils ne seraient pas de retour de sitôt.


La rébellion syrienne accueille quatre unités commandées par des Caucasiens :


- l'Armée des Migrants et des Alliés (Mukhadzhirin va Ansar), qui est rattachée au front nord de l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL). Son chef, Tarkan Batirashvili - alias Omar al-Shishani (le Tchétchène) - a prêté allégeance à l'EIIL en décembre 2013 ;


- un de ses anciens adjoints, Saifullah al-Shishani, a quitté ce mouvement pour rejoindre le Front Al-Nusra avec quelques dizaines de combattants en décembre 2013. Il a été tué en février 201 ;


- le Jund al-Sham dirigé par Amir Muslim, est présent avec une centaine d'hommes dans la région de Latakieh. Il est difficile de définir la composition exacte de ce groupe car plusieurs unités portent cette appellatio ;


- enfin, Salahudeen al-Shishani serait aujourd'hui le représentant officiel d'Oumarov en Syrie chargé d'unifier les Caucasiens sous un seul commandement. Il aurait récupéré des combattants de l'Armée des Migrants et des Alliés qui ont refusé de suivre leur chef dans son allégeance à l'EIIL. Ainsi, même en Syrie, les djihadistes caucasiens sont divisés. Pire, ils peuvent se battre les uns contre les autres !



En Syrie et en Irak, Al-Zawahiri est directement contesté
 
En effet, en Syrie, l'autorité même d'Al-Qaida central et de son chef, Al-Zawahiri, est remise directement en cause par Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l'EIIL[2]. Ce dernier se prévaut de son rôle de chef opérationnel sur le terrain irako-syro-libanais pour contester officiellement la prééminence du leader d'Al-Qaida qui se prélasse bien à l'abri - mais peut-être pas au chaud - dans sa cache pakistanaise. Une telle opposition ouverte n'était jamais arrivée depuis la création du mouvement dans les années 1990. Même les manœuvres les plus fines lancées par Zawahiri pour parer à cette rébellion interne ont échoué. Il s'agissait :


- d'une part de monter contre l'EIIL des mouvements d'opposition dits « indépendants », en particulier via le Front islamique (FI) puis, après une période de tergiversations, le bras armé d'Al-Qaida en Syrie, le Front Al-Nusra ;


- d'autre part de négocier en coulisses une sortie de crise en rapprochant l'EIIL du Front Al-Nusra, d'où les tergiversations dont il est question plus avant. Pour ce faire, un émissaire spécial avait été désigné en la personne d'Abou Khalid Al-Suri.
Officiellement membre dirigeant du Ahrar Al-Sham, un mouvement lié au Front islamique (FI), c'était en réalité un haut responsable d'Al-Qaida central infiltré au sein du FI. D'ailleurs, il est plus que naturel de s'interroger de l'indépendance réelle du FI vis-à-vis d'Al-Qaida quand on sait que les objectifs à court terme des deux organisations sont les mêmes : l'établissement en Syrie d'un Etat islamique régi par la charia pure et dure. Il est vrai qu'aucun responsable de cette alliance ne fait référence à Al-Qaida, question de rester « présentable » sur la scène internationale.

 

Or, outrage suprême, ce représentant personnel de Zawahiri a été tué en février lors d'un assaut lancé contre le PC de son mouvement à Alep. L'EIIL qui serait à l'origine de cette action kamikaze, a ainsi adressé un geste fort à Zawahiri qui dépasse les simples discours habituels. En fait, il s'agit d'une déclaration de guerre en bonne et due forme.


L'offensive générale déclenchée contre l'EIIL avec l'appui financier de l'Arabie saoudite, du Qatar, de la Turquie (et vraisemblablement des Occidentaux) ne semble pas bien fonctionner pour l'instant. En effet, non seulement l'EIIL n'a pas connu les « défaites » annoncées à grands renforts de propagande, mais ce mouvement a su jouer de l'expérience de ses membres pour redéployer ses effectifs et enlever des positions importantes le long de la frontière turque. De plus, il tient solidement la ville stratégique de Raqqa. Et pourtant, pour l'instant, il est surclassé en effectifs, du moins sur le papier, car il ne compte que 20 000 hommes en Syrie - le reste, alors que ces adversaires en disposeraient de plus de 100 000.


Il est intéressant de noter que les volontaires étrangers continuent à rejoindre plutôt l'EIIL que les formations qui lui sont opposées. Le dernier en date, Kamel Zarrouk, numéro deux d'Ansar al-Charia Tunisie, serait arrivé avec plusieurs de ses fidèles au grand dam de son chef Seiffullah ben Hassine. En effet, ce dernier tente de décourager les jeunes Tunisiens de rejoindre les théâtres extérieurs au détriment de leur pays d'origine.


Les rebelles ont une explication toute trouvée à la résilience de l'EIIL : il est manipulé par le régime de Bachar el-Assad. Il est totalement vrai que les forces légalistes, appuyées directement par le Hezbollah libanais, les milices chiites irakiennes et des pasdaran iraniens, profitent de la situation chaotique qui règne au sein de l'opposition armée pour grignoter du terrain. Seuls les Kurdes syriens et les Israéliens restent l'arme au pied à compter les points : tant que leurs ennemis s'étripent entre eux, cela ne leur semble pas aller contre leurs intérêts[3].


Les conséquences sont également sensibles en Irak où l'EIIL contrôle depuis le début de l'année une grande partie de la province d'Al-Anbar. Les forces irakiennes paraissent aujourd'hui dans l'incapacité de reprendre le terrain perdu. Pour y parvenir, il faudrait qu'elles soient appuyées massivement par les Américains, mais Washington semble plus que réticent à cette option qui pourrait se révéler être un véritable bourbier.


Quant à Al-Qaida central, la nébuleuse n'est plus représentée officiellement sur le terrain que par le mouvement Ansar al-Islam du cheikh Abou Hashim al-Ibrahim. Cette unité sunnite est désormais confrontée à trois ennemis : les représentants du pouvoir central (chiite), les Kurdes de Barzani et l'EIIL !


Plus globalement, Al-Qaida rencontre un problème classique : celui des générations. Les nouveaux djihadistes sont jeunes, voire très jeunes. À la grande déconvenue de leurs anciens, ils ne respectent rien et surtout pas leur autorité et ni leur interprétation de l'islam. Il n'y a pas de raison que ce mouvement de contestation interne s'arrête dans l'avenir. Point inquiétant, les nouvelles recrues sont encore plus extrémistes et cruelles que leurs anciens.



AQMI profondément divisé
 
Depuis 2013, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) est profondément divisé. Si le noyau dur d'AQMI est toujours localisé à l'est d'Alger, sous le commandement de l'émir Abdelmalek Droukdel, il y a belle lurette que ce dernier ne commande plus rien au Sahel. L'opération Serval a donné un coup de pied dans la fourmilière de la région sud, dispersant le mouvement Al-Mourabitoune (regroupant les Signataires par le sang de Mokhtar Belmokhtar et le MUJAO), Ansar Eddine et ce qui reste des katibas de la région sahélienne (dont Abou Zeid, tué en février 2013, fut une des figures charismatique). Il semble que ces formations se sont égayées en petits groupes dans la nature, gardant toutefois une capacité de nuisance au Nord-Mali et dans les pays voisins. Du niveau de la katiba, elles sont passées à celui de la seriyat[4] ne regroupant quelques dizaines d'hommes grand maximum, voire moins. Les djihadistes ont bien compris que tout regroupement en zone désertique faisait d'eux une cible de choix pour une armée moderne.


Belmokhtar avait, en ce qui le concerne, préparé le terrain dans le Sud de la Libye, profitant de la vacuité du pouvoir central depuis la chute du colonel Kadhafi. C'est à partir de cette région que son commando a attaqué le site gazier algérien d'In Amenas, en janvier 2013. Ce qui se passe dans la zone reste du domaine des supputations, les observations aériennes ne pouvant tout déceler. Il semble que le manque de renseignements humains est flagrant dans cette zone où se croisent tribus toubous, touaregs et arabo-berbères. Il n'empêche qu'il semble que c'est depuis cette zone que différents mouvements djihadistes ont prospéré en Tunisie au sein d'Ansar al-Charia et pourraient le faire, demain, peut-être, au Maroc. La Libye aurait aussi constitué une base de départ pour djihadistes internationalistes résolus à en découdre en Syrie et en Egypte, plus particulièrement au Sinaï.


Ce qui frappe dans tous ces mouvements, AQMI, Al-Mourabitoune, Ansar al-Charia (il y a plusieurs groupes qui portent ce nom) est le fait qu'ils se revendiquent tous idéologiquement d'Al-Qaida central mais qu'ils n'ont aucun lien structurel avec l'organisation. La nébuleuse fondée par Ussamma Ben Laden semble n'être plus désormais qu''un label qui leur permet d'exister sur la scène régionale où ils sont implantés.


Même les alliés taliban pakistanais d'Al-Qaida central rencontrent de graves problèmes. C'est ainsi qu'Asmatullah Shaheen Bhittani - le successeur d'Hakeemullah Mehsud tué par un drone américain le 1er novembre 2013-, le chef du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) et président de la Choura suprême des Taliban pakistanais est mort lors d'une embuscade le 24 février 2014 au Nord-Waziristan. Aucune déclaration n'est venue revendiquer cette action mais il semble qu'elle soit la résultante de luttes internes au sein du mouvement. En effet, début mars, le TTP a proposé une nouvelle trêve d'un mois aux autorités d'Islamabad. Cette proposition n'a pas plu à tous les moudjahiddines puisque certains ont quitté le TTP pour créer le Ahrar-ul-Hind opposé à toute négociation avec le pouvoir pakistanais. Les deux évènements sont vraisemblablement liés.



Une menace en évolution 

La menace des groupes affiliés et associés à Al-Qaida reste présente, voire s'accroît dans certaines régions. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'est pas centralisée, chaque groupe menant ses affaires dans son coin, sans trop se préoccuper de ce que peut déclarer Zawahiri. L'inquiétude provient du fait que quelques groupes pourraient effectuer des jonctions de manière à s'épauler mutuellement.


- Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQAP, rebaptisé Ansar al-Charia) est très actif au sud et au centre du Yémen qui, d'autre part, est confronté à la révolte des tribus al-Houti (chiites) dans le nord-ouest. Même la capitale Sanaa n'est pas sûre. Sans le soutien de Riyad - et celui, plus discret de Washington -, le Yémen se retrouverait certainement dans la situation de la Somalie.


- Les shebaab somaliens, qui ont montré leur capacité à commettre des attentats dans les pays voisins (comme celui contre le centre commercial Westgate de Nairobi en septembre 2013) ont tendance à internationaliser leurs actions alors qu'ils rencontrent des difficultés dans leur pays même, dues à la présence de troupes étrangères de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM). Toutefois, cela ne les empêche pas de représenter une menace terroriste permanente sur les principaux axes et à Mogadiscio, la capitale.


- La secte Boko Haram et sa dissidence Ansaru continuent à se livrer à leurs sinistres activités au Nigeria : enlèvements, viols, meurtres et massacres de civils dont des dizaines de lycéens car, pour les activistes islamiques, l'éducation occidentale est un « péché ». De sérieuses craintes portent sur l'implantation permanente d'infrastructures islamiques nigérianes au Nord-Cameroun et leur éventuelle liaison avec les Seleka centrafricains et les Forces démocratiques alliées (ADF) de la République démocratique du Congo (RDC). Des contacts auraient aussi été développés avec AQMI et les shebaab. Toutefois, ils seraient restés au niveau de l'échange de « stagiaires ».


- En Indonésie, le Jemaah Islamiyah (JI), le Jemmaah Anshorut Tawhid (JAT) et le Mujahidin Indonesia Timur (MIT) sont désireux de venger la mort des musulmans Rohingya du Myanmar tués par des bouddhistes. La figure montante du MIT serait un certain Santoso.


- Le Lashkar e Jhangvi (LeJ) et Laskhar-e-Tayyiba (LeT) au Pakistan représentent toujours une menace directe pour Islamabad.


- Le Mouvement islamique d'Ouzbekistan (MIO) et son émanation tadjike le Jamaat Ansarullah, le mouvement Haqqani et les taliban afghans n'attendent que le départ des Américains d'Afghanistan pour repartir à l'assaut de Kaboul. Al-Qaida central serait représenté par un nouveau commandant, Farouq al-Qahatani, émir des provinces du Kunar et du Nuristan. Le président Karzaï en est bien conscient et n'a pas l'intention de finir comme son prédécesseur, Mohammed Najibullah, horriblement torturé puis pendu (ainsi que son frère) à un poteau du palais présidentiel, en 1996.


Beaucoup de mouvements musulmans violents n'entretiennent pas de relations directes avec Al-Qaida. C'est par exemple le cas des séparatistes Ouïgours du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, dont la dernière action terroriste remonte au 1er mars 2014 avec l'attaque de la gare de Kunming par un commando équipé d'armes blanches. Le bilan est d'une trentaine de morts et de 130 blessés. Leurs motivations sont majoritairement locales car les Ouïgours se sentent oubliés par le pouvoir central de Pékin. Toutefois, il faut souligner que des séparatistes ouïgours sont installés depuis des années au Waziristan pakistanais où ils sont accueillis par les taliban. Le principal mouvement contestataire ouïgour est le Mouvement islamique du Turkestan-Est qui serait lié au Congrès mondial ouïgour.


Est-on en train d'assister à la « défaite » d'Al-Qaida ? Peut-être que oui, dans sa version « Al-Qaida central » qui adresse ses directives de par le monde à des mouvements affiliés et associés. Il semble que plus personne n'obéit aux injonctions de Zawahiri. Par contre, la multiplication de mouvements djihadistes provoquée, pour partie, par les suites désastreuses des printemps arabes qui ont amené un affaiblissement des pouvoirs régaliens des Etats locaux, représente une menace grandissante. Des poussées de fièvre sont aussi possibles, quelques illuminés pouvant bien lancer des attentats anti-occidentaux depuis les repaires sûrs qui se sont créés ici et là : le Yémen, le Sud-Libyen, le Sinaï, etc. Les régions les plus menacées en dehors des terres de djihad habituelles sont le Liban, la Jordanie, l'Egypte dans son ensemble, l'Afrique du Nord, l'Afrique centrale, voire la Thaïlande.


Il convient de se rappeler que si la guerre est une chose atroce, les djihadistes fondamentalistes la mènent d'une manière particulièrement abjecte ne respectant aucune règle, pas plus les conventions internationales que la mansuétude humaine. Meurtres, viols, décapitations, torture - y compris de femmes et enfants - sont leurs procédés de tous les instants. Ce n'est pas qu'ils y prennent plaisir[5], mais pour eux, l'ennemi n'est constitué que d'un ramassis de sous-hommes qui sont, soit des apostats (les traîtres chiites et les sunnites qui n'appliquent pas correctement la charia), soit des mécréants (les juifs, chrétiens, bouddhistes, athées). Cela rappelle d'autres sinistres époques.


Le salut proviendra vraisemblablement des luttes internes qui commencent à miner Al-Qaida et les mouvements salafistes de l'intérieur, et ensuite du courage des populations que les fondamentalistes musulmans veulent asservir. Il ne faut pas oublier que les intégristes islamiques tuent très majoritairement d'autres musulmans !



Notes:


[1] Les deux hommes se sont présentés comme « Suleiman » et « Abdurakhman », mais rien n'est venu confirmer la véracité de cette vidéo, et l'identité des protagonistes n'a pas été dévoilée.


[2] Cf. « Al-Qaida : guerre des chefs au sommet », Note d'Actualité n°345, février 2014.


[3] Les Kurdes syriens renforcent surtout leurs positions le long de la frontière turque et repoussent, quand ils ont lieu, les assauts des islamistes ; les Israéliens bombardent tout mouvement d'armements qui pourraient rejoindre le Liban. Pour eux, le Hezbollah ne doit pas profiter de la crise pour renforcer sa puissance de feu.


[4] Globalement une katiba a une taille située entre la compagnie et le bataillon d'infanterie, c'est-à-dire de 100 à 400 hommes au maximum. La seriyat est située entre le groupe et la section d'infanterie : de 10 à 30 hommes.


[5] Encore qu'il y ait des sadiques dans tous les camps. Mais là, les responsables semblent les laisser faire car la terreur qu'ils inspirent permet de soumettre les populations.


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