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Hebdo Al-Ahram - Semaine du 26 mai au 1er juin 2010, numéro 820


Au bord de  l’implosion


par Abir Taleb


Le pays a célébré  cette  semaine le 20e anniversaire de son unification dans  un climat  marqué par la résurgence des velléités  sécessionnistes.

Des affrontements  entre  policiers yéménites  et individus  armés, qui  avaient brièvement  pris deux  policières en otages, ont  fait au moins un mort dimanche au  Sud-Yémen. Des heurts  ont éclaté au moment où  deux  policières étaient entrées dans  un bâtiment  dans la province d’Abyan, au  Sud-Yémen, où se trouvaient des individus  recherchés. Les hommes  armés ont  fini par  fuir, laissant les deux  policières à  l’intérieur  du bâtiment.
L’incident peut paraître anodin, mais il est loin de l’être. Il intervient en effet alors que les tensions entre les forces de sécurité yéménites et les sécessionnistes du Sud, protestant contre le gouvernement du président Ali Abdallah Saleh, ne cessent de s’accroître, accompagnées d’arrestations et de morts dans les deux camps. Vingt ans après l’unification du Yémen, le bilan n’est pas reluisant. Nombreux sont les habitants du Sud, où se trouve la majeure partie des installations pétrolières du pays, qui accusent les Nordistes de s’être servis de l’unification pour mettre la main sur leurs ressources tout en les discriminant.

Les Sudistes font appel à l’Onu
Alors que le pays célébrait samedi dernier le 20e anniversaire de son unification, les voix séparatistes se font de plus en plus entendre et se font de plus en plus sérieuses. L’ancien dirigeant sudiste yéménite Ali Salem Al-Baid a appelé l’Onu à dépêcher une commission d’enquête dans le sud du Yémen où la population aspire, selon lui, à se séparer du nord du pays. M. Baid, figure principale du séparatisme sudiste, a invité l’Onu à « envoyer une commission d’enquête dans le Sud » en vue d’un règlement fondé « sur le droit des habitants à l’indépendance et au rétablissement de leur Etat souverain avec Aden comme capitale ». Il a mis en garde les pays arabes, notamment les monarchies du Golfe, contre « les conséquences catastrophiques » de la situation au Yémen pour « la stabilité de la région », estimant qu’« une intervention préventive (de leur part) est une urgence ».
La question du séparatisme remonte à plusieurs années. Ancien vice-président lors de l’unification du Yémen du Nord et du Sud en 1990, M. Baid a proclamé la sécession du Sud en mai 1994, avant de s’exiler lors de l’entrée des troupes nordistes à Aden en juillet de la même année. Et il compte poursuivre son combat. « Nous nous fixons comme objectif de faire de l’année prochaine celle de l’indépendance », dit son communiqué.
Si les aspirations de M. Baid ne risquent pas forcément de se traduire en réalité, la menace d’une implosion est réelle. Le Sud est en ébullition depuis plusieurs mois sur fond de revendications politiques et sociales, ses habitants estimant faire l’objet de discriminations de la part des Nordistes et ne pas bénéficier d’une aide économique suffisante. Le mouvement séparatiste sudiste présente une véritable menace de désintégration du Yémen, alors que le pays est déjà mis à mal par les séquelles d’une rébellion dans le Nord et un renforcement d’Al-Qaëda. Selon les analystes, le gouvernement du président Ali Abdallah Saleh est appelé à relever plusieurs défis, « en réalisant notamment une réelle égalité en matière de développement » entre le Nord et le Sud. L’unité du Yémen « a été effective sur les plans géographique et politique, mais pas assez dans le domaine social », affirme le chef du Gulf Research Centre, Abdelaziz Sagr, cité par l’AFP. Ce dernier estime ainsi que le mouvement séparatiste pourrait à terme « prendre plus d’ampleur » avec le risque de déboucher sur « un Etat faible dans le Sud et un autre Etat faible dans le Nord ». D’autant que ce pays reste fragilisé par les séquelles du conflit avec les rebelles chiites qui a fait plusieurs milliers de morts et plus de 250 000 déplacés, ainsi que par les activités des partisans d’Al-Qaëda.

Saleh propose un gouvernement d’union
Mais le président Saleh, artisan de l’unification, ne cesse de répéter qu’il ne tolérera aucune sécession. Le gouvernement ne permettra « pas aux criminels, aux bandits de grand chemin et aux apôtres de la sédition et du séparatisme de réaliser leurs desseins », a-t-il dit en s’adressant à un groupe d’officiers, avertissant : « La vaillante armée nationale reste à l’affût ». Dans le même temps, Ali Abdallah Saleh tente de calmer les esprits. Dans un discours à l’occasion du 20e anniversaire de l’unification, il a proposé vendredi à l’opposition parlementaire la formation d’un gouvernement d’union nationale et annoncé une amnistie générale pour près de 3 000 détenus partisans des séparatistes sudistes ou de la rébellion chiite. M. Saleh a invité toutes les formations politiques « à l’intérieur et à l’extérieur » du Yémen à un « dialogue national responsable, dans le cadre des institutions constitutionnelles » en vue d’« un partenariat national (...) pour la consolidation de l’Etat de droit ».
Parmi les formations de l’opposition figure en premier lieu le Parti Socialiste Yéménite (PSY), qui était au pouvoir à Aden avant l’unification. Ses principaux dirigeants, pour la plupart aujourd’hui en exil, sont partisans d’une sécession. Figure aussi le parti islamiste Al-Islah, influent notamment dans les tribus qui forment l’ossature de la société yéménite. Mais aucun des partis d’opposition n’a pour le moment réagi aux propositions du président yéménite.
Reste une question importante : la position des voisins du Yémen. Selon les experts, la situation du Yémen est une source de profonde inquiétude pour les pays voisins. « Une désintégration du Yémen aurait des implications sur les monarchies pétrolières voisines du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), dont l’Arabie saoudite qui était intervenue en novembre contre les rebelles chiites dans le nord du Yémen, où une trêve a été décrétée en février après six mois de combats entre ces rebelles et les forces yéménites. Les Etats du CCG sont en faveur de l’unité du Yémen. Mais la question est de savoir comment ils peuvent aider ce pays politiquement et économiquement, y compris par une intégration partielle du Yémen » à leur groupe, a indiqué à l’AFP l’expert britannique dans les affaires du Golfe Neil Partrick.





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