Tours de passe-passe
Remake de scénarios centrafricains…
Jean-Marc Soboth

Les analystes de la situation centrafricaine accablés par l’émotion suscitée par les médias occidentaux se bornent à se réjouir du départ du pouvoir de l’ancien président François Bozizé. Ce faisant, ils font beaucoup de mal à l’opinion africaine en lui bouchant l’horizon d’une vraie intelligence des enjeux. Ils esquivent le vrai problème de l’instabilité permanente dans ce pays où la France s’est toujours plue à l’exploitation gratuite en la gratifiant de la formule impressionnante de pays parmi «les plus pauvres du monde»...


On sait désormais que l’ancien chef d’État centrafricain, Ange-Félix Patassé, élu en 1993 et réélu en 1999, a été chassé du pouvoir par François Bozizé en 2003 après s’être brouillé avec la France -- «État membre» dictateur de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) dont la capitale Bangui abrite le siège, et qui a pour filiale la «banque d’émission» BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale).

À l’époque, souvenons-nous en, on nous rapporta la même histoire. Patassé – décédé à Douala au Cameroun en avril 2011 dans la misère, alors que les médias-mensonges lui attribuèrent, pour nous émouvoir, une «fortune immense» –, Patassé, disions-nous, était accusé d’avoir bricolé un truc avec les... Chinois évidemment mieux-disants que la France-propriétaire des ressources naturelles du pays.

Cette «infidélité» aurait immédiatement soulevé l’ire de… Paris, poussant la France à appuyer la prise du pouvoir du général Bozizé.

À son tour, François Bozizé, «homme de la France» tant qu’il n’avait pas signé de contrat avec la Chine est allé en signer finalement il y aurait à peu près deux ans pour les gisements de pétrole de Barama dans le nord de la Centrafrique. Il est immédiatement devenu «dictateur».


Pétrole de Barama
Il a fini par avouer avoir tenté d’offrir le pétrole centrafricain aux Français, en vain, avant d’aller en Chine – tout ce que ses contempteurs trouvent à en dire c’est qu’il mentirait. Manifestement son sort était déjà scellé. Il était définitivement dangereux pour les intérêts français, unique baromètre de «démocratie» dans les ex-colonies.

Arrive donc au pouvoir à Bangui, le 24 mars 2013, un certain Michel Am-Nondokro Djotodia, chef de la coalition Seleka. Sous les applaudissements. «À l’insu de Paris» bien-sûr!

Par pur hasard, le rebelle annonce illico qu’il reviendra sur les «contrats chinois» de Bozizé dans lesquels la France a été lésée. Pour ce coup, la France, qui comptait quotidiennement les mains coupées par les Islamistes au Mali, est subitement oublieuse des décomptes des tués de Bangui. Elle a même gratifié le pouvoir de Seleka de 350 soldats supplémentaires en plus des 200 stationnés à Bangui dans une perspective à peine voilée de contrepoids aux éléments sud-africains entre autres poches de résistance potentielles.
La même armée française occupe l’aéroport international de Bangui-M’poko -- on ne sait sur la base de quel droit international ou résolution de l’ONU.

Le chef rebelle Djotodia qui s’est vu offrir un partage du pouvoir de Bozizé à Libreville il y a peu – on sait désormais que c’est le nouveau droit international français en pré carré nègre – met au rancard le processus démocratique. Presque vanté par les médias occidentaux, il s’offre la plupart des portefeuilles ministériels importants.

Et Paris fait le reste. Le patron du Quai d’orsay, Laurent Fabius, en aurait touché un mot à Paul Biya lors de sa dernière visite à Yaoundé -- ce dernier ayant envoyé 200 éléments du BIR (Bataillon d’Intervention Rapide) au président Bozizé récemment. Il y aurait même eu négociation entre Paris et le président Tchadien Idriss Déby dont les éléments protégeaient Bozizé depuis des années.

Il se dit enfin que François Hollande a demandé personnellement au président sud-africain Jacob Zuma de s’abstenir toute belligérance à l’égard des rebelles de Seleka. Souhaitait-il éviter une confrontation dans laquelle l’armée française serait obligée de s’impliquer du côté des… rebelles qui avaient déjà eu du fil à retordre face aux éléments sud-africains qui ont perdu 13 soldats hors-base? On ne le saura même pas, vu l’imbécillité séculaire des analystes applaudisseurs africains.

Mais Zuma n’est peut-être pas né de la dernière pluie. Il a demandé aux soldats Sud-africains – seulement 200 éléments qui, d’après lui-même, ont combattu comme 1000 -- de demeurer à Bangui. Sans doute pour prendre part au plan français de «dépeçage» du cadavre centrafricain.


Paris avance masquée
En se cachant derrière son doigt, Paris avance donc masqué. Seleka a annoncé une formation militaire… française pour ses enfants soldats.

La France aurait même entrepris une action rapide à l’ONU «pour rassurer la communauté internationale» sur «le retour au calme» à Bangui – puisqu’il n’a même pas été question que les ressortissants français quittent le pays. La formation promise sera, bien sûr, échafaudée à la mesure d’un prochain coup de force au moment où Seleka n’obtempèrera plus.

L’intermède Bozizé est donc réglé. Et le général sait devoir faire attention à sa propre sécurité en exil parce qu’il sait que la France ne fait jamais les choses à moitié – le cas troublant du Congolais Pascal Lissouba, atteint de la pire des démences après avoir été chassé du pouvoir par la coalition Elf-Sassou Nguesso est là pour le faire subodorer…

Les analystes de la situation à Bangui? Eux ils se dépatouillent dans la religiosité : «Qui tue par l’épée meurt par l’épée», évoquant le fait du putschiste Bozizé comme résumé définitif de la situation géostratégique qui a conduit à son départ. L’incapacité prospective est ahurissante.

Depuis le temps de Barthélemy Boganda, «père fondateur» de la nation centrafricaine, vraisemblablement tué pour ses idées, le colonisateur a une connaissance scientifique de ces peuples simples d’esprit – le panafricaniste centrafricain fut qualifié dans deux articles publiés par le quotidien Le Figaro en février 1958 de «dictateur de facto» (tiens, tiens!).

Avec Bokassa, même scénario. On propagea facilement le mythe du dictateur anthropophage pour punir son infidélité et faire oublier le maître d’ouvrage : la France. Tous s’y sont engouffrés…
Dans leur subconscient de colonisés, on leur a inculqué la fable du «blanc qui ne ment jamais»…


Battage médiatique.
Il suffit donc de détourner le débat par le battage médiatique, brasser l’émotion, et tout le monde s’y engouffrera, résumant le débat par des formules lapidaires ineptes que l’on prend pour des analyses. Ce faisant, on garde l’essentiel : le contrôle des richesses naturelles de ces pays dont on rabâchera encore à satiété qu’ils sont les «pays les plus pauvres du monde».

Un ami Gabonais de Montréal, docteur en biologie de l’université de Franche-Comté en France, a l’habitude de se poser la question, pour s’en étonner, de savoir comme il a été possible de pratiquer le trafic des Africains pendant des siècles sans provoquer de soulèvement spectaculaire. Notre génération s’en indigne.

La République Centrafricaine vient de nous fournir, pour la énième fois, la réponse: les gens voyaient bien ce qui se passait et étaient indignés.

Mais, rusés et expérimentés, les États européens esclavagistes organisaient périodiquement la diversion par des changements d’homme de paille détestés, embarquant ainsi l’attention vers l’accessoire.

Les générations qui vont nous succéder ne comprendront jamais, à leur tour, à quel point notre génération a été d’autant plus stupide qu’elle a été trompée pendant des décennies par une seule puissance prédatrice.

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