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Courrier International, 3 octobre 2011



"Monsieur Sarkozy, votre TGV, c'est du racket"
Merouane Korso


Le roi Mohamed VI et le président Nicolas Sarkozy ont lancé le 29 septembre à Tanger les travaux du premier TGV arabe et maghrébin. Un projet très critiqué à un moment où le pays peine à boucler les dépenses publiques


Après une usine Renault, la ville du détroit [Tanger] abritera le terminus du futur TGV du Maroc. Il devrait relier à 320 km/h à partir de 2015 les villes de Tanger et Casablanca, la capitale économique du royaume, via Rabat (la capitale administrative). Coût du projet : 1,8 milliard d'euros, avec des financements français et arabes, notamment saoudiens et koweïtiens. En fait, la moitié de la facture sera financée par la France, qui a accordé au Maroc un prêt de 920 millions d'euros, appuyé à un contrat de 400 millions d'euros pour la fabrication des rames confiée à Alstom, qui peine à trouver des marchés en Europe. Le Maroc devra pour sa part débourser 3 milliards d'euros. Une fois livré, ce train devrait relier Tanger à Casablanca en deux heures dix au lieu de quatre heures quarante-cinq actuellement. Ensuite, le train devrait être prolongé vers Marrakech puis Agadir, des destinations exclusivement "touristiques".


Les détracteurs de ce projet, mis en œuvre sans consultations ni appels d'offres, se font entendre et avec éclat. "Ce TGV est un scandale dans les conditions actuelles du Maroc", s'indigne l'économiste Fouad Abdelmouni, alors que Karim Tazi, puissant homme d'affaires établi à Casablanca relève que "'le projet a été approuvé et octroyé dans un manque de transparence total". Le prix initial a été revu plusieurs fois à la hausse, et le chantier a surtout été attribué sans appel d'offres. Selon la presse française, l'Allemagne aurait été froissée d'avoir été éjectée du projet et aurait même usé de son veto pour empêcher le prêt de la Banque européenne d'investissement (BEI).


Et, au Maroc, les critiques pleuvent. "Il n'est pas du tout prouvé que le pays ait besoin d'un tel projet", estime Fouad Abdelmouni. Beaucoup pensent  que les Marocains n'auront pas les moyens de prendre ce train dont le ticket sera hors de portée (le tramway de Rabat a été un échec du fait d'un prix du billet trop élevé). Pour les  détracteurs de ce TGV, il est tout simplement fait sur mesure pour les touristes, et pas pour les Marocains. D'autres priorités s'imposent comme la lutte contre l'analphabétisme – qui touche un tiers de la population –, le chômage, la pauvreté". Même l'ancien ministre des Finances, Mohamed Berrada, admet qu'"on aurait pu utiliser cet argent pour créer de l'emploi à un moment où les diplômés chômeurs battent chaque jour le pavé du côté du Parlement à Rabat pour revendiquer du travail".


"Monsieur Sarkozy, votre TGV, c'est un racket économique", lance pour sa part avec vigueur le blogueur Larbi. "Vous l'aurez compris, Monsieur Sarkozy, ce TGV, c'est une folie financière, surtout pour un pays comme le Maroc. Il engage les finances publiques marocaines dans des prêts faramineux que vous-même vous devriez qualifier d'aberration en ces temps de crises financière, économique et sociale", s'insurge le blogueur dans une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy. "A l'époque, on parlait d'un budget de travaux d'aménagement et d'acquisition de rames estimé à 2 milliards d'euros. Finalement ce sont plus de 3 milliards d'euros que les Marocains devront débourser pour payer Alstom, si chère à votre cœur, vous son sauveur, la SNCF et les divers prestataires français. Rapporté au PIB marocain, c'est comme si la France avait décidé de construire une ligne grande vitesse à 58 milliards d'euros ! C'est ce que vous appelez vivre au-dessus de ses moyens..."