Le Journal Hebdomadaire n. 424 - 9/15 janvier 2010


Messieurs, vous nous avez manqué de respect !


par Aboubakr Jamaï         


Après la catastrophique affaire Aminatou Haidar et la déroute diplomatique qui l’a accompagnée, l’opinion publique marocaine attendait une réaction de la part de la monarchie, qu’elle se relève de ce KO retentissant. L’annonce d’un discours royal «impromptu» et les rumeurs persistantes d’un remaniement ministériel imminent laissaient entrevoir une reprise en main, peut-être une réorientation, une prise de conscience, voire une rupture avec des égarements qui durent, il faut bien le dire, depuis quelques temps déjà. Et qu’a-t-on eu ? Le degré zéro de la politique. Or, la logique voudrait donc que le plan d’autonomie du Sahara soit la résultante d’un plan de régionalisation, voire de fédéralisation du pays. On nous annonce aujourd’hui une réflexion sur la régionalisation alors que nous avons déjà présenté un plan d’autonomie à la communauté internationale.
Mais si cette histoire de régionalisation est une énième incongruité, le remaniement gouvernemental est une véritable tragédie. Le roi a nommé comme ministre de la Justice son propre avocat, Mohammed Naciri. Un avocat des affaires qui plus est. Voilà un prestataire de service de Mounir Majidi en charge de la justice de notre pays. Ce dernier a à son palmarès la condamnation à plusieurs millions de dirhams de dommages et intérêts et, en conséquence, la saisie des biens du journaliste Hassan Alaoui, directeur de publication d’Economie et Entreprises. A un moment où la communauté internationale, et l’Union européenne en particulier, s’alarme du manque de «sécurité judiciaire» au Maroc, on donne à l’avocat de la makhzénisation économique du pays les clés du système judiciaire.
Et c’est justement à un des cadres éminents du ministère de la Justice que l’on confie le ministère de l’Intérieur. Du fait de sa proximité avec le Palais et l’appareil sécuritaire, Taïeb Cherkaoui a été pendant de longues années l’homme le plus puissant du ministère de la Justice. Il a été un rouage essentiel dans une machine dont la mission essentielle était et demeure l’asservissement du système judiciaire aux visées politiques du régime. Ces deux nominations ont tout l’air d’une fuite en avant d’une monarchie qui se bunkérise, se recroqueville sur un cercle de proches aveuglément loyaux, à la compétence douteuse. Mais le pire reste la nomination de Driss Lachgar, membre du bureau politique de l’USFP, au ministère chargé des Relations avec le Parlement. Ceux qui pensaient qu’il y avait une once de sincérité dans les sorties médiatiques demandant la réforme constitutionnelle, envisageant une alliance avec le PJD dont l’objectif serait précisément de présenter un front commun pour obtenir ces réformes, fustigeant l’autoritarisme du régime, en sont pour leur frais. Driss Lachgar a pris les Marocains pour des gogos. Ce qu’il voulait, c’était un poste au gouvernement. Il l’a eu. Il a agité le chiffon rouge «PJD» devant le taureau makhzen et le marché a été conclu. Comment ne pas faire la comparaison avec Aminatou Haidar? D’un côté, une mère de famille qui met sa vie en balance pour son idéal et fait plier le makhzen, de l’autre une «sommité» d’un parti historique qui accourt quand le makhzen le sonne. Si le parallèle est cruel, c’est qu’il jette une lumière crue sur la corruption morale qui nous gangrène. On a beau ne pas être d’accord avec la militante sahraouie, mais il faut bien reconnaître qu’il y a des années-lumière de différence en courage moral et physique entre elle et les politiciens comme Driss Lachgar.  
Et que dire de la monarchie? La nomination de Driss Lachgar est une manière scandaleuse d’atteindre un objectif de basse politique. La manière est scandaleuse car elle récompense ce qu’il y a de vil en politique : l’ambition sans principes. La ficelle est tellement grosse qu’elle en est grossière. La monarchie perd de sa tenue morale en échangeant un poste de gouvernement, donc un poste de serviteur de l’Etat, un poste créé et financé pour servir les intérêts du peuple, contre la neutralisation d’un homme politique susceptible de remettre en cause ses prérogatives. Le message est aussi clair qu’indécent : d’abord à l’adresse des politiciens : «Abdiquez vos idées politiques et je saurai me montrer généreux.» Ensuite, à l’adresse des citoyens : «Voyez, je manipule vos représentants comme je veux.» L’objectif de la nomination de Driss Lachgar est limpide: il s’agit ni plus ni moins d’isoler le PJD. Après le ministère de l’Intérieur qui intimide les élus municipaux souhaitant faire alliance avec le parti dirigé par Abdelilah Benkirane, le roi intervient directement pour avorter un possible rapprochement avec l’USFP. Cette monarchie n’a jamais été un arbitre de la politique marocaine. Elle a toujours été l’équipe gagnante d’un jeu dont elle s’efforce de définir les règles pour continuer à régner comme elle le souhaite.
La nomination de Driss Lachgar est finalement la confirmation que rien n’a changé sous le nouveau règne. Cette monarchie-là n’est pas au-dessus du jeu politique. Elle est en plein dedans avec le facteur aggravant d’utiliser les moyens de l’Etat pour protéger ses intérêts. Comme il est légitime de mettre en doute la sincérité des hommes politiques comme Driss Lachgar lorsqu’il parle de réforme constitutionnelle, on peut se demander de quelle supériorité morale la monarchie se prévaut pour faire la leçon aux partis politiques sur la nécessité d’instaurer la démocratie interne. Comment peut-elle encore demander aux Marocains d’aller voter dans un système politique qu’elle manipule aussi manifestement ? Le manque de sagesse, de pondération et de sens moral qui marque les actions de nos décideurs politiques appelle une réaction ferme et sereine. Ils ont la responsabilité historique de dire stop à cette dérive. Ils en paieront le prix mais ils donneront à ce pays une chance de se redresser.
         



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