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TelQuel n. 403


par Zoé Deback


Zahra, libre derrière les barreaux

 

 
Le verdict en appel de “la plus jeune détenue politique du Maroc” est attendu le 23 décembre. Zahra Boudkour est en prison depuis 19 mois pour avoir manifesté. Elle est affaiblie, mais seulement physiquement.



Dans sa cellule de la prison de Boulmharez à Marrakech, Zahra attend le début de la soirée, le moment où les gardiens ne passent plus, où les codétenues ont baissé la télé et les bébés cessé de pleurer. C’est alors qu’elle se plonge tant bien que mal dans ses cours de droit. “Je suis en  
train d’étudier le cours sur les contrats, explique-t-elle. Je n’ai reçu les documents que récemment, et il y a des examens en janvier”. Zahra veut devenir avocate. Jusqu’en mai 2008, elle était en deuxième année à l’Université de Marrakech. Mais à 21 ans, sa vie a basculé.


Elève modèle et révoltée
Zahra est née à Zagora, après 11 frères et sœurs. Son père est un militaire, et même un ancien résistant. Orpheline de mère à 2 ans, elle est élevée par sa sœur aînée, Moulouda. “Une enfance normale, ni heureuse ni malheureuse. J’étais toujours la première au lycée. Mais dès l’adolescence, j’ai commencé à remarquer les injustices sociales, les gens qui mouraient faute d’être bien soignés, les problèmes d’accès à l’eau…”. Alors, “pour défendre le peuple”, à 20 ans, Zahra choisit d’étudier le droit à l’Université de Marrakech. Elle adhère à l’UNEM (Union nationale des étudiants marocains) et à la Voie démocratique (Annahj Addimocrati). Poussée par une bonne dose de naïveté juvénile et une motivation inébranlable, elle embrasse le marxisme-léninisme comme une vocation. Et rejoint ainsi les rangs des “moutons noirs” de la fac.
Le 14 mai 2008, elle est parmi les 3000 étudiants manifestant contre les frais d’hospitalisation trop élevés imposés aux étudiants. Les agents des CMI foncent dans le tas. L’infortuné Abdelkebir Bahi sera même “jeté” du haut d’un bâtiment et aura la colonne vertébrale fracturée. 18 étudiants sont arrêtés, conduits au commissariat de Jamaâ El Fna et torturés pendant 5 jours. On a beaucoup parlé à l’époque des traitements réservés à Zahra, seule fille du groupe. Elle est jetée nue dans une cave, menacée de viol, et reçoit des coups de barre de fer sur la tête qui la font souffrir jusqu’à aujourd’hui.
Dès le 9 juin 2008, un premier groupe de 7 étudiants sont condamnés à 1 an de prison chacun. Le lendemain, les 18 détenus entament une grève de la faim de 46 jours pour protester contre ce verdict. Le procès du “groupe des 11” (dont fait partie Zahra) est si houleux que, de report en report, il va traîner pendant plus d’un an. Finalement, le 9 juillet 2009, un étudiant est condamné à 4 ans et les 10 autres écopent de 2 ans. Les chefs d’accusation relèvent du registre de la grande criminalité. Pour Zahra seront retenus “possession d’armes blanches”, “constitution de groupe armé” et “insulte aux magistrats”. Pourquoi cet acharnement contre une poignée de jeunes ? L’appartenance politique ou l’origine sahraouie d’une partie d’entre eux ont-elle joué ? “C’est vrai que Annahj était clairement visé, estime Zahra. Au commissariat, les policiers nous demandaient si nous étions marxistes. Si nous répondions oui, ils nous frappaient”.

Cachée pour la visite royale
Depuis, pour ces jeunes, la vie a le goût de la prison. Placée pendant longtemps dans une cellule surpeuplée avec 50 femmes, Zahra est récemment arrivée dans un secteur plus propre, avec des chambres de 8 (plus les bébés). Mais elle ne peut toujours pas marcher à l’air libre (“je n’ai pas vu le soleil depuis 3 semaines”), la douche hebdomadaire est à l’eau froide, et, surtout, elle ne peut pas consulter un médecin spécialiste pour sa santé déclinante. La jeune femme a toujours des séquelles des coups reçus (douleurs crâniennes) et de la grève de la faim (hypoglycémie, douleurs abdominales). Elle a demandé à plusieurs reprises d’être transportée à l’hôpital aux frais de sa famille, sans succès. Elle ne s’apitoie pas sur son sort pour autant. “Vous devriez plutôt parler des 10 garçons. Eux vivent réellement dans des conditions atroces, entassés à 100 dans une même cellule”.
Heureusement que ses frères et sœurs, très soudés, la soutiennent autant qu’ils le peuvent. Moulouda (qu’elle appelle sa mère) s’est installée à Marrakech pour pouvoir lui rendre visite chaque semaine et lui apporter de la nourriture correcte. Et malgré les tentatives pour l’isoler et les fréquents changements de cellule (pendant la visite du roi en septembre, on l’a même transférée à Kelaât Sraghna !), elle parvient toujours à bien s’entendre avec ses codétenues. Elle s’occupe de leurs enfants, leur sert d’écrivain public et leur donne des conseils juridiques. Elle a même donné des cours d’alphabétisation. Mais dès qu’elle a un moment à elle, Zahra ouvre un livre : des écrivains palestiniens, le Soviétique Maxime Gorki… selon le bon vouloir des matons qui interceptent des livres ou des journaux (sans parler des lettres d’Amnesty International).
Cette année, elle a obtenu de pouvoir passer les examens en prison. Mais depuis son arrestation, l’étudiante modèle reçoit des relevés de notes farfelus. “On m’a d’abord notifié mon absence aux examens, raconte-t-elle avec ironie. Après les avoir repassés à deux reprises, j’ai reçu des notes validant mes modules, mais une semaine après, on m’a envoyé des résultats d’échec !” Et pourtant, Zahra est bien décidée à braver cette intimidation et à reprendre ses études (et son militantisme) à la fac de Marrakech. “S’ils m’empêchent d’avoir mes diplômes, tant pis. Et s’il faut retourner en prison, j’y retournerai. La liberté du peuple vaut bien ça”.
Le mercredi 23 décembre reprend le procès en appel du “groupe de Zahra Boudkour”. Les avocats espèrent qu’une réduction de peine sera prononcée, ce qui entraînerait la libération immédiate pour 10 étudiants. Ce que pense Zahra de tout cela ? “Ils sont aussi bien capables de diminuer que d’augmenter la peine, ça n’a aucune importance pour moi. De toute façon, il y a des choses pires que la prison”.