UE/Maroc. Un statut, quelles avancées?
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Le Journal Hebdomadaire, n. 421
UE/Maroc Un statut, quelles avancées ?
par Christophe Guguen
Engagements non tenus en matière de bonne gouvernance, atteintes à la liberté de la presse et au droit d’expression, affaire Aminatou Haidar : l’Europe s’inquiète du chemin pris par le Maroc sur certains sujets et tient à le faire savoir. Les bonnes intentions ne suffisent plus pour que le «statut avancé» ne soit pas qu’un effet d’annonce et que l’UE lui donne consistance. Elle signifie diplomatiquement mais fermement que les mots ne suffisent plus. Le royaume devra passer aux actes.
L’expulsion arbitraire d’Aminatou Haidar et le refus catégorique des autorités marocaines de la laisser rentrer à Laâyoune a exacerbé les tensions déjà existantes entre l’Europe et le Maroc. Jeudi 10 décembre, quelques heures après l'ouverture du sommet des chefs d’État et de gouvernement européens à Bruxelles, la Présidence de l'UE a officiellement demandé à Rabat de respecter ses «obligations internationales relatives aux droits de l'homme» et de «coopérer» avec Madrid pour trouver une «solution positive» dans l'affaire de la militante sahraouie. Régulièrement décrit comme le pays «le plus avancé» de la région en matière de bonne gouvernance et de respect des droits de l’homme, le royaume a reçu ces dernières semaines plusieurs signaux forts, sanctionnant un discours marocain parfois trop éloigné de la réalité.
Un an après l’adoption d’une feuille de route visant à octroyer un «statut avancé» au Maroc, le royaume négocie actuellement avec l’UE pour définir ce nouveau statut et le remplir de contenus reflétant les intérêts de chaque partie. «On a fait le statut avancé, maintenant il faut qu’on fasse nos devoirs, du côté européen et du côté du gouvernement marocain», affirme sans détour Eneko Landaburu, le nouveau chef de la délégation européenne à Rabat, en place depuis octobre dernier. Qu’attendent les Européens d’un renforcement des relations avec le Maroc ? La position géographique du royaume en fait un partenaire stratégique pour les questions d’immigration, de terrorisme, d’extrémisme ou encore de trafic de drogue. Le but de la politique européenne de voisinage est clair : assurer le développement et la stabilité des pays voisins afin de protéger l’Union. En ce qui concerne le rapprochement politique voulu par Mohammed VI, en revanche, nos voisins sont beaucoup plus circonspects. Mardi 1er décembre, une audience publique était organisée à la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen pour faire le point avec les eurodéputés sur l’année écoulée.
Eneko Landaburu, représentant l’UE, Youssef Amrani, secrétaire général du ministère marocain des Affaires étrangères et Ivan Martin, Directeur de recherche à l'Instituto Complutense de Estudios Internacionales (ICEI) ont fait face pendant une heure et demie aux parlementaires pour exposer leur vision du projet et répondre aux questions. Selon Eneko Lanbaduru, «nos valeurs approchantes doivent se transformer plus rapidement en lois et standards. Le Maroc souhaite rejoindre le Conseil de l’Europe et suivre ses politiques. Le Conseil de l’Europe a fait beaucoup de choses qui sont maintenant partie intégrante de l’Union. Et nous avons un engagement clair du royaume du Maroc d’inscrire ces choses, comme les droits de l’homme, dans le dialogue politique.»
Au vu des questions adressées par les eurodéputés après la présentation des trois intervenants, cette question des droits de l’homme semble être toujours au cœur des préoccupations. «Nous ne sommes pas contre le statut avancé que l’UE a créé pour le Maroc, explique l’eurodéputé grec Charalampos Angourakis. Mais il y a beaucoup de problèmes concernant les droits de l’homme à la fois à l’intérieur du pays et dans les relations extérieures, notamment quand ça touche au Sahara occidental.» L’eurodéputée française Nicole Kiil-Nielsen tient le même discours : «Il me semble qu’un débat pour renforcer les liens entre l’UE et le Maroc ne peut être un débat sérieux si les droits de l’homme ne sont pas mentionnés». Au scepticisme des eurodéputés, Youssef Amrani servira le discours officiel: «Notre processus démocratique est irréversible. Nous sommes en train de construire un système démocratique fort, parce que c’est le désir de la société, des partis politiques et c’est le vœu du roi. C’est pourquoi nous travaillons quotidiennement à poursuivre des réformes profondes pour consolider définitivement les valeurs démocratiques.» En réponse à une question posée sur le conflit au Sahara occidental et sur les sept activistes sahraouis actuellement emprisonnés à Salé, Amrani a cependant du mal à garder son sang-froid, et charge l’Algérie : «Je ne voulais pas parler de ce sujet ici, parce qu’on est censé discuter du statut avancé. Mais vous m’avez demandé de parler de cette question très sensible. Donc, laissez-moi d’abord vous dire qu’au niveau des droits de l’homme et de la démocratisation, le Maroc n’a pas de complexes. Il est le seul de la région à avoir un sous-comité aux droits de l’homme avec l’UE. Mais sur cette question du Sahara marocain, ce n’est pas une question de droits de l’homme. Quand l’envoyé spécial des Nations Unies a essayé de mettre en place un deuxième round de discussions informelles, il y a eu une escalade de l’autre partie pour torpiller le processus de négociations de Manhasset dans lequel nous sommes tous impliqués. […] personne ici dans cette pièce ne se demande pourquoi le ministre algérien, quand on lui a récemment demandé ce que faisaient les Sahraouis à Tindouf, il n’a pas répondu ! C’est là-bas que vous devez aller chercher des problèmes avec les droits de l’homme, pas au Sahara marocain !.»
Les droits de l’homme d’abord
La position des diplomates ou des «missi dominici» marocains envoyés en Espagne (Biadillah, Radi, Baraka, Mansouri) est la même : le Maroc est «victime» des «ennemis de l’intégrité territoriale» qui tentent à travers un plan «diabolique» de déstabiliser le royaume. En «instrumentalisant» Aminatou Haidar, ces derniers tentent également de «porter atteinte» aux excellentes relations maroco-espagnoles.
C’est dans ce contexte pour le moins tendu que s’est déroulée, lundi 7 décembre à Bruxelles, la huitième session du Conseil d’association UE-Maroc. Une réunion ministérielle pour examiner l’état des relations entre l’Europe et le royaume chérifien mais aussi pour décider de la voie à suivre. Les positions de l’UE concernant Aminatou Haidar et les nombreuses atteintes aux droits de l’homme enregistrées au Maroc ces derniers mois étaient particulièrement attendues. Mais aucun ministre européen des Affaires étrangères n’était présent, deux conseils ministériels étant prévus le même jour à Bruxelles. Taïeb Fassi Firhi s’est donc retrouvé aux côtés de Frank Belfrage, simple directeur de cabinet du ministre suédois des Affaires étrangères (à la tête de la délégation de l’UE en qualité de représentant de la présidence européenne), de la commissaire européenne Benita Ferrero Waldner et d’un représentant de la future présidence espagnole. Se sentant un peu lâché, Taïeb Fassi Fihri a appelé à la rescousse un allié français, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Pierre Lellouche qui n’a d’ailleurs pas manqué d’encenser le Maroc lors de son allocution. Pendant les discussions, Fassi Firhi se retrouve face à des interlocuteurs finalement peu farouches, notamment Ferrero-Waldner. Questionné sur certaines des atteintes aux droits de l’homme commises par le Maroc, le ministre marocain répond par la nécessité de défendre «coûte que coûte» le «socle de notre nation : la monarchie, l’islam et l’intégrité». Sans vraiment susciter de réactions de la part de ses interlocuteurs.
Les déclarations des uns et des autres à l’issue de la réunion reflètent la complexité des rapports de force au sein des institutions européennes. La commissaire Ferrero-Waldner, s’exprimant au nom de l’UE, déclare simplement être «préoccupée» par la santé d’Aminatou Haidar, appelant l’Espagne et le Maroc à trouver une solution «politique ou humanitaire». Elle rejette une intervention directe de l’UE, s’agissant, selon elle, d’une «question bilatérale» entre l’Espagne et le Maroc. Frank Belfrage, lui, fait part de «l’inquiétude» des 27 concernant la «situation dramatique» de l’activiste sahraouie. Dans un communiqué publié à l’issue du conseil, la présidence suédoise précise que lors de la réunion, «l’UE a pour sa part souligné l’importance du respect des droits de l’homme et du travail de réforme dans le domaine de la démocratie. Nous soutenons les efforts menés par l’envoyé spécial des Nations Unies pour le Sahara occidental et avons exprimé l’espoir d’un prompt dénouement de l’affaire Aminatou Haidar». Le secrétaire d’Etat français Pierre Lellouche ne s’est pas exprimé sur le sujet.
L’importance de la liberté d’expression
La synthèse officielle présentée par l’exécutif européen à l’issue du conseil d’association envoie, malgré tout, un message fort au Maroc. L’UE «reconnaît que les réformes lancées ces dernières années ont permis de consolider les droits de l'homme et d’élargir le champ des libertés individuelles» (article 20). Mais elle reprend également à son compte les nombreuses revendications d’associations et d’acteurs marocains, souvent marginalisés par le régime, qui militent pour l’établissement d’un véritable Etat de droit. L’UE estime ainsi que «le dépôt, annoncé depuis plusieurs années, de déclarations auprès du Secrétariat général des Nations Unies concernant la levée de certaines réserves à des Conventions internationales et l’adhésion à certains Protocoles facultatifs constitueraient des avancées significatives» (article 20). La reconnaissance officielle de l’égalité homme-femme, l’éradication de la torture ou des disparitions forcées sont directement liées à la levée de réserves ou à la signature de protocoles facultatifs.
Mais l’élément fort de cette déclaration sera l’article 21. L’UE y demande que «toutes les recommandations de l’Instance équité et réconciliation» soient mises en œuvre. Si cette même phrase avait déjà été utilisée dans le communiqué consécutif à la première réunion Maroc/UE sur le statut avancé il y a une année, cette fois, les rédacteurs l’impriment en gras. Ils savent sans doute qu’après le tintamarre médiatique qui a suivi la mise en place de l’IER et le paiement grâce à l’argent des contribuables marocains d’indemnités aux victimes des années de plomb, le régime marocain n’a plus rien fait de concret pour en appliquer les recommandations. Et pour cause. Parmi ces recommandations figure la nécessité d’une réforme constitutionnelle. En d’autres termes, ce que dit l’UE au Maroc : «Vos institutions politiques ne sont pas démocratiques. Si vous voulez que nos relations s’approfondissent, vous devez les réformer». Quatre ans après leur remise officielle, l’AMDH dénonce toujours la non application des recommandations les plus importantes.
Les récentes attaques du régime contre la presse indépendante, qui ont reçu relativement peu d’écho à l’étranger par rapport à la Tunisie par exemple, inspirent également l’article 21 : «L’UE rappelle l'importance qu'elle attache à la consolidation de la liberté d’expression et de la protection des sources. L’UE rappelle également l’importance qu’elle accorde à une liberté de la presse qui soit garantie dans le cadre de la législation nationale et qui s’inscrive dans le cadre général de la protection de la liberté d’expression, droit fondamental consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Dans ce contexte, l’UE encourage l’adoption d’un nouveau Code de la presse qui soit en conformité avec les normes internationales en la matière, et ne prévoie plus aucune peine privative de liberté à l’encontre des journalistes. L’UE invite par ailleurs le Maroc à sauvegarder la liberté d'association et de rassemblement ainsi qu’à la protection des défenseurs des droits de l’homme, notamment dans le territoire du Sahara occidental. Elle appelle les forces de l’ordre à faire preuve de retenue dans le recours à la force. L’UE salue le maintien du moratoire sur la peine de mort et encourage le Maroc à abolir la peine capitale.» Concernant le Sahara, l’article 29 indique que «l’UE reste préoccupée par le conflit du Sahara occidental et ses conséquences et implications régionales. Elle soutient pleinement les efforts du Secrétaire général des Nations Unies et de son Envoyé personnel en vue de trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permettra l’autodétermination du peuple du Sahara occidental comme le disposent les résolutions des Nations Unies.» L’UE exprime également «son attachement à l’amélioration de la situation des droits de l’homme au Sahara occidental ; elle rappelle les obligations qui incombent à chaque partie.»
Le mardi 8 décembre, à Genève, l'Institut du Caire pour l'étude des droits de l'homme rend public son «Rapport sur l'état général des droits de l'homme dans le monde arabe. Bien que le Maroc fasse preuve depuis plusieurs années d'une «relative tolérance» pour les défenseurs des droits de l'homme, les organisations et militants sahraouis «restent la cible d'arrestations, de tortures et de procès inéquitables», selon l’étude.
Décision historique
En Espagne, les partis politiques sont unanimes pour condamner l’attitude du comportement marocain dans l’affaire Haidar. L’eurodéputé Willy Meyer, responsable des Relations extérieures du parti Izquierda Unida (IU, Gauche Unie) appelle désormais l’UE à suspendre immédiatement l’accord d’association avec le Maroc. «Le cas d’Aminatou Haidar montre une fois de plus que le Maroc ne respecte pas l’article 2 de cet accord, consacré au respect des droits humains», explique-t-il dans un communiqué.
Cette «clause des droits de l’homme», incluse dans chaque traité signé par l’Union européenne, permet à chacune des parties de suspendre l’accord en question si elle estime que l’autre partie s’est rendue coupable de violations graves des droits de l’homme. Le Parlement européen l’a notamment utilisée pour demander la suspension de l’accord entre l’UE et Israël suite aux massacres perpétrés par l’armée israélienne à Gaza.
En 1992, ce sont également les eurodéputés qui ont bloqué l’accord entre l’UE et le Maroc, en refusant d’approuver le renouvellement des protocoles financiers. Un moyen de protester contre les violations commises par le régime de Hassan II. La situation a été rétablie quelques mois plus tard et le Maroc, appuyé par son allié français, s’est vu proposer un nouvel accord prévoyant une zone de libre-échange. Mais selon de nombreux observateurs, cette décision historique du Parlement européen, considérée comme une véritable «gifle pour Hassan II, a certainement joué un rôle dans le processus de démocratisation du pays entamé peu de temps après.»
Dans la subtile répartition des pouvoirs au sein des institutions de l’UE, le Parlement européen joue un rôle grandissant. «C’est une caisse de résonance énorme, c’est lui qui mobilise les opinions publiques», explique Catherine Schneider, directrice du Centre d’Etudes sur la Sécurité internationale et les Coopérations Européennes (Université de Grenoble). Si le Maroc risque de souffrir de cet effet caisse de résonance du Parlement européen puisque c’est de cette institution que peuvent se faire entendre les voix critiques contre sa gouvernance, l’Exécutif européen reste encore maître du jeu dans la définition de la politique étrangère de l’UE. Composé du Conseil et de la Commission, ses positions sont avant tout politiques et reflètent les intérêts défendus par les pays-membres les plus puissants ou les plus concernés. Dans le cas du Maroc, les anciennes puissances coloniales, la France et l’Espagne, sont les deux principaux partenaires commerciaux du royaume. «L’objectif de l’UE, qui consiste à aider à la consolidation des droits de l’homme, est réel. Mais lorsque ces mesures remettent en cause ses intérêts, notamment économiques, là, on retombe dans la “raison d’Etat”», analyse Mme Schneider.
Amnesty interpelle Rabat
La mise en place, ces dernières années, de structures de dialogue dédiées aux droits de l’homme permet de toute façon d’éviter d’aller jusqu’à la suspension de l’accord. Dans le cadre de la politique européenne de voisinage, l’accent est plutôt mis sur la contrainte «positive», en faisant bénéficier les «bons élèves» d’incitations.
Quoi qu’il en soit, les eurodéputés, eux, continuent d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour exercer une pression sur les pays tiers qui portent atteinte aux libertés publiques ou individuelles. Dans le cas d’Aminatou Haidar, certains envisagent déjà une intervention en séance plénière la semaine prochaine à Strasbourg. «ça dépendra des développements», indique l’eurodéputé portuguais Joao Ferreira.
Dans un communiqué publié mercredi 9 décembre, Amnesty International réclame «le retour immédiat et inconditionnel» de l’activiste sahraouie et annonce avoir envoyé au Premier ministre Abbas El Fassi 48 000 signatures appelant à résoudre son cas. L’ONG attire également l’attention sur l’état de santé «spécialement préoccupant» de Driss Chahtane, directeur de publication d’Al Michaal, qui subit actuellement «un traitement punitif en régime d’isolement.»
Les recommandations de l’IER
I- La consolidation des garanties constitutionnelles des droits humains, notamment par l’inscription des principes de primauté du droit international des droits de l’homme sur le droit interne, de la présomption d’innocence et du droit à un procès équitable… L’IER recommande par ailleurs le renforcement du principe de la séparation des pouvoirs et l’interdiction constitutionnelle de toute immixtion du pouvoir exécutif dans l’organisation et le fonctionnement du pouvoir judiciaire. Elle recommande d’expliciter dans le texte constitutionnel la teneur des libertés et droits fondamentaux, relatifs aux libertés de circulation, d’expression, de manifestation, d’association, de grève…, ainsi que des principes tels que le secret de la correspondance, l’inviolabilité du domicile et le respect de la vie privée. L’IER recommande en outre de renforcer le contrôle de la constitutionnalité des lois et des règlements autonomes ressortant de l’Exécutif, en prévoyant dans la Constitution le droit d’un justiciable à se prévaloir d’une exception d’inconstitutionnalité d’une loi ou d’un règlement autonome. A l’instar de l’interdiction constitutionnelle déjà ancienne du parti unique, l’IER recommande enfin la prohibition de la disparition forcée, la détention arbitraire, le génocide et autres crimes contre l’humanité, la torture et tous traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, et l’interdiction de toutes les formes de discrimination internationalement prohibées ainsi que toute forme d’incitation au racisme, à la xénophobie, à la violence et à la haine.
II- L’adoption et la mise en œuvre d’une stratégie nationale intégrée de lutte contre l’impunité. L’IER estime que l’éradication de l’impunité exige, outre des réformes juridiques, l’élaboration et la mise en place de politiques publiques dans les secteurs de la justice, de la sécurité et du maintien de l’ordre, de l’éducation et de la formation permanente, ainsi qu’une implication active de l’ensemble de la société. Cette stratégie doit avoir pour fondement le droit international de droits de l’homme, en procédant à l’harmonisation de la législation pénale avec les engagements internationaux du pays.
III- L’IER considère que la consolidation de l’état de droit exige en outre des réformes dans le domaine sécuritaire, de la justice, de la législation et de la politique pénales.
Hooliganisme politique
Par : Aboubakr Jamaï
Ce devait être une promenade de santé, une sorte de couronnement du régime. C’en est presque devenu son procès. L’octroi de la qualité de «statut avancé» au Maroc par l’Union européenne et l’entame des discussions sur le contenu de ce nouveau statut devaient permettre au régime d’aller cueillir ses lauriers de pays respectueux des droits de l’homme, de pays en marche vers la démocratie. Et puis, patatras. Taïeb Fassi Fihri, ministre des Affaires étrangères, ira à Bruxelles se faire remonter les bretelles sur le non-respect des droits de l’homme. Une semaine plus tôt, son secrétaire général s’était fait rabrouer par des députés européens qui se demandaient si l’UE ne se décrédibilisait pas en octroyant ce «statut avancé» à un pays si dédaigneux des libertés et des principes démocratiques.
En réaction aux pressions de l’UE et de l’Espagne, les hommes du régime se sont fait forts de mettre les points sur les i. Deux d’entre eux méritent de retenir notre attention parce qu’ils sont parmi les hommes de pouvoir les plus influents du royaume. Leurs propos sont donc indicatifs de la nature de ce régime. Par des propos scandaleux de corruption morale et de médiocrité, Fouad Ali El Himma et Taïeb Fassi Fihri ont, chacun à sa façon, dévoilé les fondations morales vermoulues de ce régime.
L’ancien ministre délégué à l’Intérieur mesurait-il la gravité de ses paroles ? Ce proche ami du roi et promoteur d’un parti censé moderniser le champ politique marocain avait-il conscience de l’énormité de ses propos ? A Laâyoune, El Himma n’a rien trouvé de mieux à dire que de menacer l’Espagne de ne plus coopérer dans la lutte contre le trafic de drogue, le terrorisme et l’immigration clandestine. Ces trois fléaux sont donc des armes que l’on peut retourner contre un pays voisin. On ne les combat pas parce qu’ils sont contraires à nos principes et à nos lois. On les combat parce qu’en échange, l’Europe nous laisse réprimer comme on veut. Et si la nécessité s’en fait sentir, on peut les instrumentaliser contre ceux qui s’opposent à nos mœurs autoritaires. Voilà le message effarant que
F. El Himma vient d’envoyer au reste du monde. L’Iran avait Ahmadinejad et le nucléaire, nous, nous avons El Himma, le cannabis, le terrorisme et les clandestins.
Taïeb Fassi Fihri ne fut pas en reste. Moins inventif que son ex-collègue du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères répétera face à une audience européenne un argument éculé et ô combien insultant pour notre identité. Face aux critiques de ses vis-à-vis européens sur les atteintes aux droits de l’homme et de la liberté de la presse, il rétorquera qu’au Maroc nous devons respecter les trois piliers que sont la monarchie, l’islam et l’intégrité territoriale. Comme si elles étaient fondamentalement contradictoires avec ces valeurs universelles que sont la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme. A l’heure où les sociétés occidentales se posent (mal) des questions sur la compatibilité de l’islam avec des valeurs démocratiques, notre ministre des Affaires étrangères leur affirme que, oui, l’islam EST incompatible avec ces valeurs. Et que dire de l’intégrité territoriale et de la monarchie ? Est-ce le sens que nous donnons à ces deux totems de notre vie politique ?
A ce niveau de débat, ce n’est plus de patriotisme qu’on parle mais d’hooliganisme. Cette prise en otage des symboles d’une nation et leur instrumentalisation au bénéfice d’un régime qui refuse le changement ne va pas sans résistance. Les remontrances de l’UE doivent être prises comme un encouragement pour toutes ces associations, journaux, tous ces individus qui osent se battre pour des idéaux de liberté et de démocratie. Marginalisés par les élites au pouvoir, ignorés par les médias aux ordres, ils trouvent dans ces pressions exercées par des pays et des institutions, pourtant amis du Maroc, un soutien bienvenu pour un combat par ailleurs bien ingrat. Mais leur travail compte sans doute pour quelque chose dans les pressions sur le régime pour plus d’ouverture. Il faut bien admettre que celui-ci s’est auto-infligé bien des misères.
Deux séries d’événements récents sont à l’origine de la crispation de l’UE. La répression hystérique qui a frappé la presse il y a quelques semaines et la gestion par le Maroc du cas Aminatou Haidar. Ce qui frappe l’esprit lorsqu’on analyse ces deux exemples de répression est leur gratuité. En d’autres termes, que se serait-il passé si le régime ne s’était pas acharné sur la presse, et s’il n’avait pas déchu Aminatou Haidar de sa nationalité avant de l’expulser ? A part éviter l’humiliation des recommandations/injonctions de l’UE à respecter la liberté de la presse et les droits de l’homme, rien. Quel surcroît de respect la monarchie a-t-elle gagné en utilisant sa justice aux ordres pour envoyer en prison des journalistes, interdire des journaux et ruiner des entreprises de presse ? Quel prestige a-t-on engrangé à traiter Aminatou Haidar comme nous l’avons fait ? Comment ce traitement a-t-il convaincu le reste du monde de la marocanité du Sahara? Parce qu’au cas où certains l’auraient oublié, c’est ce que nous sommes supposés faire. Alors pourquoi ? Parce que c’est dans la nature, de ce régime. Une nature, hélas nourrie de notre faillite collective à nous inventer un avenir de pays respectueux de la dignité de ses citoyens.
Le régime marocain, comme certains régimes autocratiques, est devenu un junky de la répression. Des junkies qui se shootent à l’autoritarisme et qui doivent constamment augmenter leur dose. Dans cette métaphore, nous, collectivement, sommes son fournisseur. En nous taisant, en ânonnant les arguments soi-disant patriotiques d’une bêtise confondante comme est allé le faire Abdelouahed Radi cette semaine en Espagne. En n’osant pas critiquer des comportements et des décisions manifestement ineptes. Alors, sevrons-le.