Par Ahmed R. Benchemsi TelQuel n. 399


Sahara : L’autre voie
    

Le discours royal sur le Sahara a engendré une ambiance tendue. Mais le patriotisme ne doit pas nous empêcher
de réfléchir



C’est sans doute le discours le plus virulent que Mohammed VI ait délivré depuis son accession au trône. A l’attention des indépendantistes sahraouis qui s’activent au Maroc, le roi a eu le 6 novembre ces mots-chocs : “Ou on est patriote, ou on est traître ; il n’y a pas de juste milieu”. Du coup, tout ce que le royaume compte de    
partis et d’instances officielles s’est lancé dans une surenchère patriotique enfiévrée. Une ambiance tendue, voire crispée… mais qui ne doit pas nous empêcher de réfléchir pour autant.
Depuis sa proposition d’un plan d’autonomie élargi pour le Sahara, depuis que les puissances étrangères, des Etats-Unis à l’Espagne, soutiennent ce plan, le Maroc est, diplomatiquement, “dans un fauteuil” - d’autant que les ralliements de leaders politiques ou militaires d’envergure du Polisario se multiplient. Bref, notre position au Sahara est plus solide qu’elle ne l’a été depuis bien longtemps, et rien de sérieux ne peut la menacer. Pourquoi alors un tel raidissement ? Parce que, dit le ministre de l’Intérieur, des manifestations indépendantistees se préparent au Sahara. Et alors ? Cela fait une dizaine d’années que le Maroc gère de telles manifestations sans souci majeur – si ce n’est celui d’essuyer le contre-feu de la propagande ennemie, mais c’est la règle du jeu. Après tout, notre propagande à nous n’est pas moins forte, et dispose d’une machine médiatique infiniment plus large et puissante.
Y aurait-il quelque chose de plus sérieux en préparation ? Des attentats, par exemple ? Dans ce cas, et à condition que des preuves irréfutables soient établies, la répression et le recours à la justice s’imposent. Et personne ne trouvera à y redire dans les médias internationaux - y compris ceux acquis aux indépendantistes.
Parce qu’il ne faut pas se leurrer : depuis le cessez-le-feu de 1991, et malgré les fanfaronnades répétées du Polisario qui dit “être prêt à reprendre les armes” (alors qu’il n’en a clairement pas les moyens), la guerre n’existe plus que sur le terrain médiatique. Si la mobilisation ultra-patriotique est médiatiquement porteuse à l’intérieur du Maroc, elle est contre-productive vue de l’étranger. Or, l’opinion publique étrangère est une donnée incontournable de l’équation saharienne.
Comment gagne-t-on une bataille médiatique ? Simple : en se montrant plus démocrate que l’adversaire. Les indépendantistes parlent librement au Maroc ? Tant mieux pour nous : cela prouve que la liberté d’expression est une réalité. De quoi faire réfléchir bien des gens : entre un Maroc qui bâtit des infrastructures pour les Sahraouis tout en leur permettant d’exprimer pacifiquement leurs désaccords, et un Polisario exsangue et sous perfusion de l’armée algérienne, gouverné par des leaders enfermés dans un carcan idéologique d’un autre âge… le choix est vite fait.
Allons plus loin : les indépendantistes veulent plaider leur cause au Maroc ? Très bien ! Qu’ils le fassent à la télévision, dans des débats contradictoires avec des défenseurs de la marocanité du Sahara. Pas des officiels gorgés de propagande, bien sûr : ils se feraient ridiculiser par leurs contradicteurs, militants sincères et passionnés. Opposons-leur plutôt des membres de la société civile, des Marocains (Sahraouis ou pas) qui défendront la marocanité du Sahara avec des arguments calmes, rationnels, percutants, inattaquables. Mieux encore : au lieu de nous indigner que des indépendantistes visitent les camps, envoyons en visite à Tindouf… des Marocains ! S’ils sont refoulés, c’est l’Algérie qui passera pour une autocratie irrespectueuse des droits de l’homme. S’ils entrent, voient tout de leurs yeux et reviennent, invitons-les à la télévision (de préférence Laâyoune TV, captée de l’autre côté) pour en parler. Croyez-en l’auteur de ces lignes, qui a été à Tindouf : ce n’est vraiment pas difficile de faire triompher l’option marocaine quand on a vu les camps sahraouis de l’intérieur.
Mais il y a bien mieux à faire encore : Mohammed VI a parlé de “refondre le Conseil consultatif royal pour les affaires sahariennes (Corcas)“ ? Excellente idée. Plutôt que de le bâtir uniquement sur une approche tribale qui a clairement montré ses limites clientélistes (le richissime et crypto-makhzénien Khelli Henna en est le symbole vivant), incluons-y des jeunes Sahraouis, des intellectuels, des économistes, des artistes… Ces gens savent tout ce qu’il y a à gagner avec le Maroc et, a contrario, tout ce qu’il y a à perdre en devenant un micro-Etat indépendant satellite d’une Algérie encore tenaillée par ses démons intérieurs…
Bref, il y a mille autres stratégies que le repli ultra-nationaliste. La “com” est, à mon humble opinion, la meilleure. Si nous savons en jouer avec sincérité, le Maroc sera non seulement en pole position diplomatique, mais aussi aux avant-postes démocratiques. Nous assisterons alors à l’inexorable délitement de la revendication indépendantiste. N’est-ce pas le but ultime?




Par Wafaa Lrhezzioui - TelQuel n. 399


Diplomatie. Touche pas à mon Sahara


Les Affaires étrangères se recentrent sur le défi n°1 : la “cause nationale”. Et multiplient les signes de fermeté à l’encontre de la communauté internationale. Décryptage.


“Si tu veux la paix, soutiens le Sahara (marocain)”, semble être le nouveau leitmotiv de la diplomatie marocaine, customisant ainsi le célèbre adage romain incitant à préparer la guerre. Longtemps accusées d’effacement, les Affaires étrangères entendent bien se faire plus offensives : “On note une crispation marocaine, ces derniers    
temps, sur la question du Sahara parce que le dossier n’avance plus”, confirme Khadija Mohsen-Finan, chercheuse à l’IFRI (Institut français des relations internationales). Pour cette spécialiste du Sahara, la conjoncture actuelle est moins “favorable” à Rabat. En cause principalement, le rapport sévère de Human Rights Watch et la nomination de Christopher Ross comme envoyé spécial des Nations-Unies pour le Sahara. “Les seules avancées restent des déclarations dont on ne voit pas les retombées concrètes”, estime un ancien diplomate, se demandant si la déclaration “de soutien” de Hillary Clinton à Marrakech suffit à convaincre de l’adhésion de l’administration Obama aux thèses de Rabat.

Orientations royales
Dans les couloirs du parlement, ce samedi 14 novembre, on compte aussi les bons et les mauvais points de la diplomatie. C’est le grand oral pour Taïeb Fassi Fihri, qui défend son plan d’action 2008-2012 devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants lors de la discussion du budget. En attendant l’examen du jour, on se remémore les anciennes copies. En moins d’un an : rappel de l’ambassadeur au Sénégal, fermeture de l’ambassade au Venezuela, rupture des relations diplomatiques avec l’Iran et renvoi récent d’une diplomate suédoise. On bavarde du dernier discours de Mohammed VI à l’occasion de l’anniversaire de la Marche Verte. On commente l’affaire de l’expulsion de la militante pro-Polisario Aminatou Haïdar. Et on s’interroge sur les attaques en début de semaine du PAM sur la gestion des Affaires étrangères et notamment les propos du secrétaire général adjoint du parti, Abdelhakim Benchemach, dénonçant “les dysfonctionnements de la diplomatie officielle”.
Face aux représentants du peuple, le ministre discute de tous “les dossiers chauds de la diplomatie marocaine, à la fois sur le plan stratégique mais aussi opérationnel, du conflit au Sahara aux problèmes administratifs du corps diplomatique à travers le monde”, indique la députée Mbarka Bouaïda, présidente de la commission. “La priorité est de toute évidence donnée au projet d'autonomie dans la région du Sahara et l'avancement des négociations dans ce sens”, analyse-t-elle. Les fins connaisseurs des relations internationales confirment, depuis deux ans, un style Taïeb Fassi Fihri, mais surtout un costume taillé par Mohammed VI. “Le roi a donné de nouvelles orientations. Mais les fondamentaux de notre identité diplomatique sont maintenus”, nous confie un haut diplomate. Un pays qui ne figure pas parmi les grandes puissances ne peut jouer dans leur cour. La récréation est donc finie. Changement de méthode : exit le romantisme, place à la realpolitik.

Intransigeance ou impulsivité ?

“Le Maroc était connu jusqu’ici pour sa modération : beaucoup de conférences mais peu de coups d’éclat, résume un ancien habitué des cercles diplomatiques. Il a accepté de nombreuses concessions aux Etats-Unis, notamment sur le Proche-Orient”. Aujourd’hui, si le discours officiel nie avoir délaissé la question palestinienne, nombre d’observateurs constatent un détachement du Maroc sur le conflit du Proche-Orient. Rabat se concentre sur ses intérêts directs, essentiellement, le premier d’entre eux : la “cause nationale”. Et surtout le fait savoir. Taper du poing sur la table diplomatique est devenu une habitude. Convocations ou rappels d’ambassadeurs et réactions orageuses figurent désormais à la météo des relations internationales. “Ces coups de boutoir de Rabat sont des actes voulus qui dessinent une ligne de fracture : nous ne cèderons rien sur le dossier du Sahara”, analyse cet ancien diplomate.
D’autres observateurs dénoncent des réactions souvent disproportionnées. “Il n’existe pas de traits saillants dans la diplomatie marocaine. Elle fonctionne par à-coups. L’absence du Maroc sur la scène du Moyen-Orient, ou en Amérique Latine, souligne l’absence de vision globale”, estime Abdelmoughit Ben Massoud, professeur de relations internationales à l’Université de Rabat. L’universitaire dresse un sombre tableau de la diplomatie marocaine, qui, selon lui, “a besoin de réformes structurelles”. “Au jour le jour, on constate des dysfonctionnements dus à un manque flagrant de moyens au sein des représentations consulaires”, fait remarquer un membre de la commission parlementaire. Devant les députés, Fassi Fihri a annoncé un “processus de réforme sur les plans humain, financier et méthodologique”. Car c’est avec la technicité de son ministère au staff rajeuni que le technocrate compte gérer les Affaires étrangères. Mais pas sûr que le budget de 2 milliards de dirhams et les 100 postes supplémentaires obtenus suffisent.

Investissements stratégiques

Dans la diplomatie du nouveau règne, la bonhomie de Taïeb Fassi Fihri fait un duo gagnant avec un nouveau bras armé : la diplomatie économique. Lors de sa présentation aux députés, Taïeb Fassi Fihri a également exposé son objectif de “diversifier les partenariats”. En d’autres termes, il s’agit de lobbying diplomatique où le Maroc offre des investissements de courtoisie de la part d’entreprises nationales ou l’expertise d’un office public (eau potable, électricité) pour des projets de développement. Cible numéro 1 : l’Afrique. “Le Maroc accorde un intérêt particulier à la coopération avec l'Afrique dans le cadre d'une politique renouvelée à l'égard des pays du continent”, a expliqué Taïeb Fassi Fihri aux députés, rapporte la MAP. Un haut diplomatique explique : “Aujourd’hui, ce sont les projets de développement humain qui sont favorisés plutôt que les relations d’Etat à Etat”. Entendre de chef d’Etat à chef d’Etat. Fini le temps où les amitiés des dirigeants faisaient la pluie et le beau temps dans les relations internationales. “Désormais, il s’agit d’engager aussi les populations. Les nombreuses visites de Mohammed VI au Sénégal et au Gabon vont dans ce sens”, poursuit notre source. De fait, la diplomatie reste une affaire royale. Dans les capitales étrangères, Taïeb Fassi Fihri a pour usage de se présenter comme “l’émissaire de Sa Majesté”. Jamais comme celui de Abbas El Fassi…

 



Profil. Taïeb Fassi Fihri, le négociateur
Au ministère des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri est comme à la maison. Non pas qu’il y passe tout son temps- déplacements de fonction obligent, mais parce que c’est un enfant du sérail. Économiste de formation, il a choisi la carrière diplomatique. Aujourd’hui, à la petite cinquantaine, il est connu et apprécié des chancelleries étrangères. Ce natif de Casablanca, titulaire d’un doctorat en analyse et politique économique à Sciences Po Paris, a été recommandé à Hassan II par son directeur de thèse, Raymond Barre. En 1984, il intègre donc le ministère du Plan avant de rejoindre, moins de deux ans plus tard, le ministère des Affaires Etrangères. Fassi Fihri fait ses armes dans le cabinet de Abdellaif Filali, lors des négociations avec la communauté européenne. A 35 ans, il est nommé (et reconduit trois fois) secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et à la Coopération. Puis vient l’Alternance. En 1998, il fait un petit tour par le cabinet royal, avant de retrouver en 1999 son portefeuille. On évoque un homme bien né, confident du prince. Chez les Fassi Fihri, la politique est une affaire de famille, mais Taïeb, réputé grand travailleur, gère ses dossiers en bon technocrate. Il entame les négociations sur l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis et devient, en 2002, ministre délégué dans le gouvernement Jettou. En 2007, celui qui est alors l'homme des grands dossiers (notamment le Sahara) devient le diplomate n°1 du Maroc : un poste qui lui revient “de fait” depuis des années.






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