Sahara Occidental, le tour de vis
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Sahara Occidental, le tour de vis
Durant trois jours, Chakib Benmoussa a matraqué le même message : “Tout est permis sauf le séparatisme”. Une sommation claire, au lendemain des poursuites lancées contre sept indépendantistes pour “atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat”
Chakib Benmoussa est un homme qui ne fait pas les choses à moitié. Quelques jours seulement après l’arrestation des sept indépendantistes qui se sont récemment déplacés à Tindouf, le ministre de l’Intérieur a conduit tout son état-major à Laâyoune, chef- lieu du Sahara. Sur place, la délégation a tenu des réunions marathon avec les élus, les chioukh des principales tribus ainsi que plusieurs associations locales. Objectif : condamner l’acte, considéré comme criminel par plusieurs intervenants lors de ces réunions, des sept indépendantistes incarcérés. Il s’agit aussi, plus généralement, de faire passer un message de fermeté. Le ministre de l’Intérieur le dira d’ailleurs sans détour : “A ceux qui prêchent le séparatisme sous le parapluie des droits de l'Homme, nous disons que le Maroc s'est engagé, de façon irréversible, sur la voie du respect et de la défense des droits de l'homme, mais refuse que les droits de l'homme servent de prétexte à l'atteinte à ses symboles sacrés dont l'intégrité nationale”.
Pendant sa virée, le ministre de l’Intérieur a aussi parlé de développement, d’investissements, d’infrastructures… Mais personne ou presque n’a retenu ces thématiques secondaires. “La composition de la délégation est elle-même révélatrice de ses intentions. On y retrouve des walis et gouverneurs, dont plusieurs Sahraouis, mais également les patrons de la police, de la gendarmerie et des Forces auxiliaires. Ce ne sont pas des profils avec qui on parle développement durable et de soutien au tissu associatif ”, ironise un membre du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (Corcas).
Nouvelle “intifada” ?
Dès leur arrivée à Laâyoune, les responsables ont tenu une réunion sécuritaire à huis clos en présence de représentants du Parquet. Parce que, comme le confesse une source sécuritaire à Laâyoune, “la conjoncture est difficile”. Au lendemain de l’arrestation des sept indépendantistes en effet, des habitants de Laâyoune ont occupé de force des logements réservés aux ralliés du Polisario. Assez pour que les forces de sécurité craignent une nouvelle “intifada sahraouie”, comme en 2005. “A l’époque, se rappelle notre source, des indépendantistes ont commencé à exprimer ouvertement leur allégeance au Polisario. Cela a donné lieu à un sentiment de laisser aller qui a encouragé plusieurs mécontents à descendre dans la rue. Manifestations qui ont été récupérées par les indépendantistes. La visite de Benmoussa avait alors apaisé les relations entre le wali et les Ould Rachid, particulièrement tendues depuis les dernières élections, largement remportées par le clan du président du Corcas”.
Aujourd’hui, Chakib Benmoussa change donc d’attitude, se montre plus ferme, limite menaçant. “Dans toutes les réunions, raconte ce témoin, il a matraqué que tout était permis sauf le séparatisme. Cela a même été perçu par certains comme une sommation, et c’est là un changement de ton radical puisqu’il y a encore quelques années, le Maroc semblait tolérer l’indépendantisme en tant qu’opinion”. Certains responsables expliquent ce changement d’attitude par “l’usage maladroit” que les militants indépendantistes ont fait de “la liberté qui leur a été accordée”. Selon cet observateur : “Le discours indépendantiste ne porte plus à l’intérieur du Sahara. En plus, le Maroc a enchaîné les coups médiatiques ou politiques. Le dernier en date a été le ralliement de Ould Souilem et l’accueil officiel qui lui a été réservé à Dakhla. Cela a beaucoup gêné le Polisario et ses sympathisants au Maroc. Ils ont donc cherché à provoquer une nouvelle fois l’Etat, mais ils sont allés trop loin en visitant des installations militaires à Tindouf ou en tenant des réunions quasi officielles avec des responsables du renseignement algérien”. Selon des sources sécuritaires, plusieurs autres visites similaires étaient programmées dans les mois à venir. Objectif : tester le degré de tolérance des autorités marocaines. “Laisser faire aurait été perçu comme un signe de relâchement par les mécontents de tous bords. Réagir fermement aide les indépendantistes à faire redémarrer une machine à l’arrêt depuis plusieurs semaines déjà”, analyse un observateur. Dilemme cornélien… Le Maroc a opté pour la deuxième voie.
Retour au tout sécuritaire
Résultat : les sept indépendantistes se retrouvent devant le tribunal militaire de Rabat. Les charges retenues contre eux sont exceptionnellement lourdes : intelligence avec l’ennemi et atteinte à la sûreté de l’Etat. De l’autre côté de la frontière Est, la machine de propagande s’est naturellement mise en branle. Les Sahraouis incarcérés sont présentés comme des héros de l’indépendance ou des martyrs du peuple sahraoui. Ils ont pu joindre leurs familles depuis la prison de Salé où ils sont incarcérés, pour leur raconter les détails de l’interrogatoire, les accusations dont ils font l’objet, mais à aucun moment, ils n’ont fait état d’actes de torture ou de violence quelconque. “Dans ce genre d’affaires, explique une source proche des milieux indépendantistes, il ne s’agit pas de savoir si les faits reprochés à ces gens sont avérés ou pas. La question est plutôt de savoir si l’interprétation qui en est faite par l’Etat marocain est logique ou pas (intelligence avec l’ennemi pour le cas des récentes visites à Tindouf, ndlr). Sinon, ces personnes n’ont jamais caché leur attachement à l’indépendance et leur reconnaissance du Polisario comme représentant unique et légitime du peuple sahraoui”. Sur place, la tension est réelle selon plusieurs témoins. Car même si le message de fermeté de Benmoussa a bien été compris par tout le monde, certains reprochent à l’Etat le retour au tout sécuritaire dans la gestion des affaires liées au Sahara.
Zoom. Le Maroc en état de guerre ?
Les sept militants indépendantistes, déférés devant le tribunal militaire de Rabat, sont poursuivis en vertu des articles 190 et 191 du Code pénal. Les deux articles punissent l’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. On y apprend “qu’est coupable (…) tout Marocain ou étranger qui a entrepris, par quelque moyen que ce soit, de porter atteinte à l’intégrité du territoire marocain”. L’article 191 est encore plus explicite puisqu’il définit comme coupable d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat “quiconque entretient avec les agents d’une autorité étrangère des intelligences ayant pour objet ou effet de nuire à la situation militaire ou diplomatique du Maroc”. Les peines vont d’un an de prison à la peine capitale, prononcée si le pays est en état de guerre. Officiellement, le Maroc est signataire d’un cessez-le-feu avec le Front Polisario depuis 1991. La paix donc? Non, car selon un jugement rendu l’année dernière contre un militaire marocain à la retraite, le Maroc serait en état de guerre.