Mensonges d'état
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Mensonges d’état
“18 novembre : Fête de l’indépendance”
(Calendrier officiel du royaume du Maroc)
Le contexte. Nous sommes au tout début de l’ère Hassan II (commencée en 1961) et l’Istiqlal, principal artisan de l’indépendance, décrochée quelques années plus tôt, continue à “déifier” Mohammed V, à peine décédé – peut-être pour faire pièce à son fils, qui sait… La stratégie s’était déjà révélée payante pour faire pression sur les Français, en mobilisant la ferveur populaire pendant l’exil du sultan. Une fois Mohammed V de retour, puis mort, l’Istiqlal continue à l’encenser, croyant capitaliser sur un “symbole” sans danger pour le partage démocratique du pouvoir. A tort.
Le mensonge. Le 18 novembre 1955, Mohammed V “le libérateur” a déclaré l’indépendance du Maroc, après l’avoir “signée” avec le président du Conseil français Antoine Pinay. C’est ce que dit l’histoire officielle du royaume, c’est ce que réaffirme Le Matin chaque année. La vérité. La date du 18 novembre est en fait celle de… l’intronisation de Mohammed V, en 1927 ! Le même jour, en 1955, soit deux jours après son retour d’exil, Mohammed V a profité de la commémoration de son avènement pour délivrer un discours historique, annonçant des négociations “irréversibles” avec la France en vue de mettre fin au protectorat. Mais ces négociations avaient été entamées plusieurs mois plus tôt à Aix les Bains, par les nationalistes de l’Istiqlal, alors que Mohammed V était toujours en exil. Et elles se sont achevées par l’abrogation du protectorat le 2 mars 1956. La voilà, la vraie date de l’indépendance du Maroc, arrachée par un collectif de nationalistes. C’est Hassan II, en accord avec l’Istiqlal, qui a décidé de la fixer frauduleusement au 18 novembre de chaque année.
Et depuis… Rien de nouveau. Le 18 novembre marque toujours, officiellement, la date de notre indépendance, “déclarée par Mohammed V”. En perpétuant ce mensonge, la monarchie cherche à affirmer qu’elle seule a lutté pour l’indépendance, et nie les sacrifices de générations de militants (les Zerktouni, Ziraoui, etc.) Un aggiornamento de l’histoire officielle est plus que jamais nécessaire.
“Nous nous réjouissons d'annoncer la découverte de pétrole et de gaz dans la région de Talsint”
Mohammed VI, dans son discours du 20 août 2000.
Le contexte. Eté 1999. Dans l’euphorie de l’après-Hassan II, le gouvernement Youssoufi prépare un nouveau Code des hydrocarbures, concédant abattements fiscaux et mesures incitatives aux grandes compagnies pétrolières qui souhaitent s’implanter dans le royaume. Quelques mois plus tard, Lone Star Energy, petite société pétrolière maroco-texane, décroche (haut la main) une autorisation de reconnaissance sur cinq zones précises au Maroc, en offshore et onshore. Dans le tour de table, on note la présence de proches de la famille royale.
Le mensonge. Du pétrole qui coule à flots à Talsint (vers Errachidia, dans le sud-est du pays)! L’euphorie gagne les foyers au moment du discours royal annonçant la découverte de gisements de gaz et de pétrole. Au revoir la dépendance énergétique, bonjour les pétrodirhams. “Le Maroc dispose désormais de 25 à 30 ans de réserves pétrolières (12 à 15 milliards de barils)”, annonce le ministre de l’Energie de l’époque, le malheureux Youssef Tahiri. De quoi faire la nique au voisin algérien. Et rassurer sur “le décollage économique et le développement social”, dixit Mohammed VI.
La vérité. Le roi n’avait aucun intérêt à déclarer que l’or noir jaillirait de Talsint s’il n’en était pas lui-même convaincu. Il s’est donc trompé… En revanche, et au vu de la méthode employée (un seul et unique forage), il était aussi prématuré que hasardeux de parler d’existence de ressources pétrolières “en quantités abondantes”, comme cela a été précipitamment annoncé. Reste la question essentielle : le royaume dispose-t-il de ressources pétrolières ? Oui, étant donné l’existence au Maroc de plusieurs bassins sédimentaires. Et puis, il n’y a aucune raison objective pour que le Maroc constitue une exception en Afrique du Nord : la Libye, la Tunisie dans une moindre mesure, l’Algérie et la Mauritanie, sont des pays producteurs de pétrole. Pourquoi pas nous, un jour ?
Et depuis… En 2003, une certaine Amina Benkhadra (qui deviendra ministre de l’Energie en 2007) est nommée à la tête de l’Office national des hydrocarbures, fraîchement créé par dahir royal. Objectif ? Mettre en place une stratégie pour inciter des Majors (Total, Mobil, Shell, Energycorp) à prospecter dans le sous-sol marocain. Depuis, la recherche et le rêve pétroliers continuent, en plus discret…
“Les Berbères, premiers habitants du Maroc, sont venus du Yémen en passant par l’Ethiopie”
Extrait d’un manuel scolaire, niveau 5ème année primaire, 1966
Le contexte. Dès les années 1920, la France, qui cherche à mieux contrôler le pays, prévoit d’assigner les jeunes berbères dans des écoles “franco-berbères”, en les éloignant de l’influence arabo-musulmane du mouvement nationaliste. Le projet est même appuyé par une théorie colonialiste qui soutient que les berbères sont “de race européenne”. En 1930, le “dahir berbère” instaure un droit coutumier aux tribus amazighes. En réaction, les nationalistes crient au “complot français” et exaltent l’identité et les origines arabo-musulmanes des Marocains, berbères compris. Les manuels scolaires, surtout entre les années 1960 et 1980, illustrent parfaitement cette contre-vérité.
Le mensonge. Tous les écoliers du royaume ont appris cette phrase par cœur, à partir de 1966 et jusqu’à la fin des années 70 : “Les Berbères, premiers habitants du Maroc, sont venus du Yémen et de Syrie en passant par l’Ethiopie et l’Egypte”. Apparue dans les premiers manuels d’histoire édités par le gouvernement marocain (les manuels utilisés juste après l’indépendance étaient syriens), cette affirmation n’était pas une simple erreur scientifique. En transformant les premiers habitants d’Afrique du Nord en arabes, il s’agissait (évidemment) de nier l’identité berbère du Maroc.
La vérité. Grâce à l’étude des gravures rupestres, les archéologues considèrent actuellement que l’occupation du territoire nord-africain par les berbères remonte à 8000 ans avant JC. Comme quoi, l’histoire date… A toutes les époques, il y a pu y avoir des migrations de populations venant du sud du continent et d’Orient, mais elles se sont fondues dans le fond ethnique berbère.
Et depuis… Jusqu’en 1994, les militants berbères sont parfois emprisonnés…pour utilisation de banderoles et de slogans en tifinagh. Les choses ont nettement évolué depuis mais le discours fondateur, pour la libération des revendications culturelles berbères, est celui de Mohammed VI, le 17 octobre 2001, qui reconnaît officiellement l’amazighité et annonce la création de l’Institut royal de la culture amazigh.
“Prétendre que nous avons imposé la souscription (pour la Mosquée Hassan II) est un pur mensonge, voire de la jalousie”
Hassan II, à France Inter, décembre 1988.
Le contexte. En 1986, le roi veut se “réconcilier” avec Casablanca, qui se souvient encore des sanglantes émeutes de 1981. Rabat a son Darih Mohammed V et sa Tour Hassan, Dar Beida aura désormais sa Mosquée Hassan II. Lancé au bord de l’Atlantique, avec un minaret qui culmine à 210 mètres de hauteur, le projet est imposant, mégalomaniaque, à l’image de son géniteur : Hassan II.
Le mensonge. Pour contribuer à la réalisation du projet pharaonique, le roi fait appel à la générosité des Marocains, et demande à chaque citoyen une souscription “volontaire”, quel que soient ses moyens (“même avec un dirham”, dit-il). En prime, un certificat est discerné à toute personne qui met la main à la poche. La vérité. Les donateurs ne se bousculent pas au portillon. Le Makhzen décide de changer son fusil d’épaule pour forcer la main aux mécènes. Dans chaque ville du royaume, industriels, commerçants et autres fonctionnaires sont convoqués devant les autorités. Gouverneurs et caïds décident, selon le chiffre d’affaires ou la fiche de paie de chacun, du montant de la souscription, et organisent ce qui ressemble bien à un racket. Ponction sur les salaires, pression sur les chefs d’entreprise, acte administratif contre “cotisations”… la collecte est un franc (et obligé) succès. Au total, la Mosquée Hassan II aura coûté près de 7 milliards de dirhams à son peuple, bon gré, mal gré.
Et depuis… La Mosquée Hassan II est menacée d’érosion à long terme. Les dépendances (une bibliothèque et un musée) sont inutilisées depuis 1993, date de l’inauguration. Enfin, le budget consacré à son entretien est exorbitant : plus de 45 millions de dirhams en 2007, prélevés sur le budget de l’Agence urbaine de Casablanca, et donc, sur l’argent du contribuable. Mais, il y a tout de même des heureux : les pratiquants qui viennent écouter les prêches de Omar El Kzabri durant le ramadan. Et, le reste de l’année, les couples d’amoureux, qui se donnent rendez-vous sur l’esplanade de la mosquée.
“La nation marocaine, d’Oujda à Smara, et de Tanger à Lagouira, est unie…”
Mohammed VI, dans un discours, le 6 novembre 2003
Le contexte. 1979, année fatidique. Quatre ans après la Marche Verte, la Mauritanie retire ses billes du conflit militaire saharien, abandonnant au Maroc la province de Oued Eddahab (7% du territoire marocain). Tandis que les notables locaux rallient “la mère patrie”, faisant acte d’allégeance à Hassan II, le Maroc entend bien faire de Lagouira, localité située dans l’extrême sud du royaume (le petit appendice du Maroc), sa frontière sud.
Le mensonge. D’après les cartes marocaines, Lagouira se trouve bel et bien au Maroc. Et selon le découpage administratif officiel, la commune urbaine de Lagouira fait partie de la province d'Aousserd (région de “Oued Eddahab Lagouira”). Selon le discours officiel, Lagouira dispose d’un conseil municipal “élu par le peuple”, qui comprend une majorité et une opposition, d’une bachaouia, de plusieurs délégations ministérielles et tout le toutim. La ville compterait quelque 4000 âmes… sur le papier.
La vérité. Sur le terrain, c’est une autre histoire. Aucun drapeau marocain ne flotte sur Lagouira. C’est une ville fantôme sous souveraineté de Nouakchott, gardée par des soldats mauritaniens. Une (petite) centaine de pêcheurs y vivent. Quant aux institutions marocaines de Lagouira, elles siègent réellement à Dakhla, 600 km plus au nord. La plus australe des villes du territoire marocain, la vraie, c’est le poste frontière de Guergarate (prononcez “Grigrate”), situé à une cinquantaine de km au nord de Lagouira.
Et depuis… En septembre 1989, Hassan II explique à un parterre de journalistes espagnols que si le Maroc a taillé la zone à Lagouira, “c'est à la demande expresse de la Mauritanie”. La présence des FAR aurait fait courir un grand danger à Nouadhibou, ville mauritanienne voisine de Lagouira menacée par le Polisario. Pendant les années 1990, le Maroc revient à la charge, tente de prendre racine à Lagouira, et d’y créer une “vraie ville” dotée d’infrastructures, d’un réseau d’assainissement, de routes, etc. En vain, le sable engloutit tout sur son passage... Depuis, le mythe perdure dans le discours officiel. La formule “de Tanger à Lagouira” est martelée à chaque discours d’anniversaire de la Marche Verte, et déclinée dans les manuels scolaires, les bulletins météo, les dépliants touristiques…
“Le général Oufkir s’est suicidé de trois balles, dont la dernière a été fatale”
Mohammed Benhima, ministre de l’Intérieur, le 23 août 1972.
Le contexte. Le 16 août 1972, un an et des poussières après le putsch manqué de Skhirat, Mohamed Oufkir, ministre de la Défense et commandant en chef de l'armée, tente de renverser le monarque. Le Boeing 727 qui transporte Hassan II, de retour de Paris, est mitraillé par des F-5 au moment où l’avion royal survole Tétouan. Miracle hassanien, l’avion parvient à se poser à Rabat. Le soir même, le meneur du putsch débarque dans tous ses états au palais de Rabat… pour en sortir les pieds devant.
Le mensonge. Le 22 août au matin, alors qu’Oufkir est déjà six pieds sous terre depuis quelques jours, le ministère des Affaires étrangères avise les chancelleries “du décès du ministre de la Défense nationale”. Le lendemain, lors d’une conférence de presse à Rabat, Mohamed Benhima, ministre de l’Intérieur, informe les journalistes du “suicide” du général putschiste. Le soir même, Hassan II enfonce le clou dans un discours diffusé sur les ondes de la radio nationale, sans jamais prononcer le nom du “traître à son roi”. Devant la presse étrangère, le roi est plus prolixe et appose le sceau royal à la version officielle : “La dernière balle lui a été fatale”.
La vérité. Trois balles pour un suicide, c’est beaucoup. D’autant qu’Oufkir, toujours selon le mensonge officiel, se serait tiré une dernière balle dans le dos. On savait que le général avait le bras long, mais tout de même… Physiquement impossible, et historiquement non avéré. Certains témoignages de proches d’Oufkir viendront en effet contredire la version officielle : “Trois balles, alors que j’avais vu (beaucoup) plus d’impacts. La sinistre comédie du mensonge se poursuit”, raconte notamment Raouf Oufkir, fils du général, dans Les invités (2003, Flammarion).
Et depuis… Au lendemain de la tentative de putsch, Hassan II décide de supprimer le poste de ministre de la Défense. La faute au général. Mais Oufkir n’est pas Ben Barka et, suicide ou pas, il n’y a plus grand monde pour le pleurer aujourd’hui, si ce n’est ses cinq enfants, et sa femme, victimes des dommages collatéraux de cette affaire, qui ont contribué à enrichir la littérature carcérale marocaine par le récit de leurs 19 années de détention secrète.
“Si nous avions voulu faire la guerre à l’Espagne, nous n’aurions pas envoyé des civils désarmés, mais plutôt une armée… Notre Marche (Verte) est pacifique”
Hassan II, discours du 5 novembre 1975
Le contexte. En 1975, le général Franco, qui n’a jamais été très enclin à négocier avec le Maroc sur l’affaire du Sahara, est mourant. Pour Hassan II, c’est le moment idéal pour tenter de récupérer les contrées du sud encore contrôlées par l’Espagne. Mais aussi pour consolider son pouvoir auprès de la classe politique marocaine, après les deux tentatives de coups d’Etat dont il est victime en 1971 et en 1972, et réaliser une sorte d’union sacrée autour du trône. C’est alors qu’il lance un véritable, et beau, coup de com : la Marche Verte.
Le mensonge. D’après la version officielle, la marche pacifique de 350 000 marocains armés seulement de Corans, de drapeaux et de portraits de Hassan II, a libéré le Sahara le 6 novembre 1975 en poussant les troupes espagnoles à quitter les lieux, sans le versement d’une goutte de sang.
La vérité. Les Forces armées royales (sous le commandement d’un certain Ahmed Dlimi) étaient en réalité stationnées dans le Sahara depuis le 31 octobre 1975. Elles sécurisent et occupent plusieurs points stratégiques et entament une véritable opération militaire à 160 km à l’est de Tarfaya, où blindés et chars d’artillerie sont utilisés pour mater les guérilleros du tout jeune Front Polisario. Au final, seuls quelques milliers de patriotes (sur les 350 000 “marcheurs verts”) quittent les campements de Tarfaya et de Tan Tan pour parcourir une distance de 15 km dans le désert, avant que l’ordre de repli ne soit donné par le roi, qui négocie en coulisses avec les Espagnols.
Et depuis… L’affaire du Sahara n’est pas réglée, plus de trois décennies plus tard. Sauf qu’en lançant la Marche Verte, Hassan II a pris une longueur d’avance sur ses adversaires, tant au Maroc qu’au Sahara, voire en Algérie. Une avance que ni la guerre (d’abord militaire, ensuite de propagande) n’a effacée. Le Maroc n’a pas définitivement récupéré son Sahara, mais il ne l’a pas perdu non plus. Il le doit un peu, beaucoup, à la Marche verte.
“Abraham Serfaty n'est pas marocain. Il est brésilien”
Décret du ministère de l’Intérieur, 1991
Le contexte. Un an après la détonante sortie du livre Notre ami le roi, écrit par Gilles Perrault grâce aux témoignages de Christine Daure-Serfaty (épouse d’Abraham), Hassan II est presque contraint de relaxer ses prisonniers politiques, ceux de Tazmamart essentiellement. Le 11 septembre 1991, Abraham Serfaty, opposant farouche du régime, est libéré de la prison de Kénitra, après 17 ans derrière les barreaux. Mais à peine un pied dehors que le fondateur d’Ilal Amam est expulsé vers la France.
Le mensonge. “Serfaty n'est pas marocain. Il est brésilien”. C'est en ces termes que s'est exprimé Driss Basri, tout-puissant ministre de l'Intérieur, pour justifier l'expulsion d'Abraham Serfaty à sa sortie de prison. Sa marocanité lui est contestée à la découverte d'une prétendue filiation paternelle avec les cocotiers de Copacabana. Son père, qui a vécu et travaillé au Brésil durant de longues années, lui aurait ainsi légué sa nationalité. En 1997, Driss Basri pousse l’ironie jusqu’à déclarer que Serfaty “n'a qu'à prendre son passeport brésilien et demander un visa, s'il a trop le mal du pays”. L’idée (de trouver à Serfaty une improbable nationalité brésilienne) a été suggérée, comme Basri l’a souvent répété dans les coulisses, par l’un des anciens “camarades” d’Abraham au parti communiste marocain.
La vérité. Outre le fait que la nationalité marocaine ne se perd jamais, Abraham Serfaty n'a jamais été naturalisé brésilien. Son père non plus. Ce dernier bénéficiait en effet de papiers de circulation brésiliens qui lui permettaient de passer du Maroc au Brésil. En réalité, Hassan II voulait éviter les débordements militants qu'aurait pu lui causer l'encombrant détenu politique une fois sorti de prison. L'excuse du Brésil n'a jamais tenu la route, ça aurait pu être l'Indochine si Serfaty y connaissait un vague cousin. Un mensonge gros comme une montagne, donc, aussi exotique qu'une forêt amazonienne.
Et depuis… Abraham Serfaty, âgé de plus de 80 ans, profite comme il peut de ses vieux jours à Marrakech, avec Christine Daure-Serfaty, son épouse. Son retour au bercail, le 30 septembre 1999, s'est fait sous l'égide de Mohammed VI. La politique de la rupture du tout nouveau roi est entamée, sans un mot sur la logique qui a prévalu par le passé. Difficile en effet d’expliquer qu'un ressortissant brésilien ait été enfermé 17 ans pour ses opinions politiques, puis chassé du pays parce qu'il est brésilien, et ramené au Maroc parce qu'il est marocain, au final.
“Je l’ai vu, montant un cheval blanc, sur la lune”
Des milliers de Marocains anonymes, 1953
Le contexte. A partir de la conférence d’Anfa (1943) et surtout après le Manifeste de l’indépendance (1944), les nationalistes marocains cherchent à faire du sultan Mohammed Ben Youssef un symbole de la lutte pour l’indépendance, rôle qu’il endossera volontiers à partir du discours de Tanger en 1947. Le 20 août 1953, il paie cher cette alliance : aboutissement de la politique autoritaire du général Guillaume, le sultan est déposé le 20 août 1953.
Le mensonge. Dès la déposition du sultan, la mobilisation populaire est immense. Dans les deux mois qui suivent son exil, les rassemblements populaires en soutien à Mohammed Ben Youssef sont presque quotidiens. Et les témoignages sont unanimes : le sultan a été vu sur la lune. Un ancien se souvient : “J’étais là, sur les lieux de l’événement, place Bousbir à Casablanca. J’avais 18 ans à l’époque. Tout à coup, nous avons entendu “regardez la lune, le sultan Sidi Mohammed y est visible !”. Je l’ai vu, tous les gens se trouvant sur la place l’ont vu, Casablanca l’a vu, le Maroc entier l’a vu”.
La vérité. Mustapha Bouaziz est catégorique : “Les Marocains ont vu le sultan sur la lune, c’est un fait”. Mais l’historien précise : “Les nationalistes marocains ont en fait repris une idée très ingénieuse du Prussien Otto von Bismarck, réunificateur de la nation allemande à la fin du XIXe siècle”. Le principe est simple et il a, depuis, été prouvé scientifiquement : il s’agit du phénomène de persistance rétinienne. “Techniquement, explique Bouaziz, les nationalistes ont imprimé des photos du sultan et les ont distribuées autour d’eux avec des instructions claires : “Observez le portrait pendant quelques secondes puis regardez la lune”. L’illusion optique a fait le reste”.
Et depuis… La vision collective de Mohammed V sur la lune (montant un cheval blanc, pour plus de précision) est, en 1953, un paroxysme dans la sacralisation de la monarchie. Dans l’esprit du petit peuple, la divinité royale n’est plus un mythe : elle devient un fait avéré, puisque vérifié à l’œil nu. Mais le sultan n’y est pour rien : ce n’est qu’en août 1955, lorsque les premières délégations marocaines lui rendent visite à Madagascar, qu’il est mis au courant des manifestations presque hystériques qui ont eu lieu en son absence. Depuis, le culte voué à Mohammed V, et à la monarchie en général, n’a pratiquement pas pris une ride.
“Les juifs (qui ont fui l'Espagne aux 15ème et 16ème siècle) ont trouvé au Maroc un havre de paix et de sécurité”
Extrait d’une dépêche MAP, 20 janvier 2003
Le contexte. De 1948 à 1956, 90 % des juifs marocains ont choisi l’émigration. La première date est celle de la création de l’Etat d’Israël, la deuxième celle de l’indépendance du Maroc. L’exode se poursuit dans les années 1960 et les partants, dont la majorité appartient à la classe moyenne, voire pauvre, font leurs bagages en pensant à un monde meilleur, une terre plus accueillante : Israël.
Le mensonge. Déjà, la présence juive au Maroc est bien antérieure à la chasse aux sorcières pratiquée en Espagne aux 15ème et 16ème siècles. Ensuite, le “havre de paix et de sécurité” n’a fonctionné que par intermittence. Les juifs marocains ont longtemps souffert d’un statut de dhimmis qui faisait d’eux, en fin de compte, des citoyens (ou sujets) de seconde zone obligés de payer une jiziya (impôt) pour cultiver leur différence.
La vérité. La création d’Israël a servi d’appât pour les Juifs du Maroc (et du reste du monde). Elle a renforcé la tension entre les communautés, juive et musulmane, qui ont longtemps cohabité mais sans vraiment se mélanger. La vérité, aussi, c’est que le Maroc interdisait officiellement l’exode juif pendant que, dans les faits, il facilitait les vagues de départ, allant jusqu’à encaisser des “ristournes” sur chaque expédition organisée. La vérité, enfin, c’est que des exactions ont été commises contre les juifs du Maroc, exemples de Jerada (1948, 30 morts) et Sidi Kacem (1954, 6 morts).
Et depuis… Rien n’a notoirement changé. La communauté juive du Maroc s’est rétrécie aujourd’hui à 2000 membres, d’après les dernières estimations. Juifs comme musulmans savent que le slogan du “Maroc havre de paix (pour les juifs)“ est, justement, un slogan, un beau fleuron de la propagande officielle. Sans plus. Même si les terres marocaines restent relativement plus accueillantes que d’autres dans le monde arabe.
“Tazmamart n'existe que dans l'imagination de personnes mal intentionnées”
Hassan II, en réponse à Jean Daniel (L’heure de vérité), 1991
Le contexte. Dans ce début des années 1990, le Maroc officiel bat campagne pour restaurer son image ternie par des décennies de violation des droits de l’homme. Mais les rapports des ONG internationales se multiplient, la pression monte. Et Hassan II, sérieusement remonté, monte au créneau pour se défendre…
Le mensonge. Hassan II nie en bloc l’existence des prisons secrètes au Maroc et s’étonne des accusations des ONG internationales sur le sujet. Même après la libération des emmurés de Tazmamart, en 1991, il explique “ne pas être au courant” (in Mémoire d’un roi, Ed. Plon, 1993). Dans le même contexte, il signe une autre phrase célèbre, en réponse à Anne Sinclair, sur TF1, toujours en 1993 : “Mais, madame, à Kelaât Mgouna (ndlr : autre haut-lieu de torture et de détention secrète), il n’y a que des fleurs”.
La vérité. Tazmamart, à un degré moindre Kelaât Mgouna, étaient d’authentiques mouroirs : le premier a abrité les putschistes de 1971 et 1972, le deuxième les détenus du groupe dit Bnouhachem. Entre autres. Sur les 58 prisonniers de Tazmamart, seulement 28 ont survécu et plusieurs ont écrit des livres pour témoigner, d’Ahmed Marzouki (Cellule 10, Ed. Tarik-Paris Méditerranée, 2000) au tout dernier Aziz Binebine (Tazmamort, Ed. Delanoë, lire article p.58). Kelaât Mgouna a aussi une longue liste de morts, au moins 16 si l’on se réfère à une enquête de l’Instance équité et réconciliation.
Et depuis… Il y a eu les livres, bien sûr, mais aussi les pèlerinages et le remarquable travail de l’IER. Plus que tout autre mouroir, Tazmamart reste le symbole suprême des années de plomb et de la pire facette du règne hassanien. Une plaie et, comme nous le rappelle cet ancien de Tazmamart, “une partie indélébile de notre mémoire collective”. La catharsis, entamée dès l’avènement du nouveau règne, a aussi amené la création de nouvelles associations, à l’image du Forum vérité et justice, qui comptent parmi les meilleurs fleurons de la société civile.
“Séquestrés et non réfugiés à Tindouf”
Editorial du Matin du Sahara, février 2008
Le contexte. C’est celui du conflit lié au “Sahara Occidental”. En 1973, El Ouali Mustapha Sayed, étudiant en médecine à l’Université Mohammed V de Rabat, fonde le Polisario pour “libérer le Sahara espagnol”. Hassan II, lui, trouve la parade et organise, en 1975, la Marche Verte “pour récupérer le Sahara marocain”, acculant du coup les hommes regroupés autour du Polisario à “camper” à Tindouf, ville algérienne. C’est le début de la guerre du Sahara, et des exagérations verbales. Aux “colons marocains” lancés par le Polisario, le Maroc riposte, très logiquement, par les “séquestrés (marocains) de Tindouf. Aujourd’hui encore, cela n’a pas changé”.
Le mensonge. Dès les premières escarmouches, dans les années 1970, Hassan II explique clairement la position du royaume : “Nous nous accordons le droit de poursuivre ceux qui nous attaquent et qui séquestrent nos enfants en Algérie”. Séquestrés, le concept est tout désigné. Il fait depuis office de vérité historique, régulièrement relayée dans les médias officiels.
La vérité. Les habitants de Tindouf ne sont pas exactement des séquestrés comme le laisse penser la version officielle. La réalité est beaucoup plus nuancée, et TelQuel a pu s’en assurer sur place en 2008 (TelQuel n°329). Les camps de Tindouf ne sont ni fermés, ni rigoureusement gardés. Et si les habitants, dans leur écrasante majorité, n’arrivent pas à sortir des camps, c’est pour la simple raison… qu’il n’existe aucun moyen de transport en commun permettant de rallier les villes les plus proches. Ils n’ont d’autre choix que de s’aventurer à pied dans le désert, au risque de mourir de soif ou de chaleur. Quelques-uns le font, la plupart y renoncent. Cela fait d’eux tous des gens vivant dans des conditions difficiles, pas des séquestrés.
Et depuis… Dans l’absolu, il est arrivé au jargon officiel de se délester de certaines expressions anachroniques : exemple des “mercenaires du Polisario”, longtemps en vigueur dans le royaume, des discours royaux aux dépêches officielles, en passant par les meetings politiques. Hier encore, donc, des vocables comme “RASD” ou “Sahara Occidental” étaient pratiquement bannis. Alors, peut-être qu’un jour, on dira plus simplement les Tindoufis pour désigner les habitants des camps.
Point final. Le plus beau pays du monde…
Karim Boukhari
Mieux qu’un mensonge, c’est un rêve. En août 2002, à quelques semaines des premières élections sans Hassan II et Driss Basri, la très officielle agence MAP se fend d’une dépêche qui fera date. L’ONMT (Office national marocain du tourisme) dirigé par Fathia Bennis lance une vaste campagne de com’ à l’intitulé ébouriffant de fraîcheur et d’originalité : “Le Maroc, le plus beau pays du monde”. Joli concept auquel personne, pourtant, ne peut raisonnablement croire. La cible est exclusivement marocaine et l’objectif de la campagne, au coût estimé à 5 millions de dirhams, est d’encourager le tourisme national, interne. “Pour une fois que le tourisme ciblait le consommateur local, marocain, il ne fallait pas bouder son plaisir”, se rappelle aujourd’hui un hôtelier. Quitte à (se) mentir, donc…
Cette histoire a, bien sûr, une morale : tous les mensonges, éhontés ou justes “sympathiques”, avaient une raison d’être. Ils ont tous servi à quelque chose. Maquiller la vérité, lui tordre le cou, ce n’est jamais pour rien. Il y a toujours un comment et un pourquoi. Et un mais. La campagne de l’ONMT a bien fait redémarrer le tourisme national, mais elle n’a fleuri qu’une fois le tourisme “externe” brisé dans son élan dans les suites du 11 septembre 2001. Un mensonge, c’est un contexte. Quand Mohammed VI déclare le Maroc terre de pétrole, il a été le premier à le croire. Et nous avec, poussés par l’euphorie de l’après-Hassan II. Quand ce même Hassan II imagine ou valide le concept de “Serfaty brésilien”, quand il prétend que Tazmamart est une fiction que l’on doit à certains esprits malveillants, il faut comprendre que sa marge de manœuvre était bien réduite, face à la pression internationale. C’est pour beaucoup de la propagande, du mensonge conjoncturel, lié à une époque, avec parfois une dimension d’hystérie collective. Rappelons-nous, il y a bien eu des maîtres d’école, de vénérables historiens et d’honnêtes pères de familles pour essayer de nous persuader que les berbères (du plus beau pays du monde) descendent tous des lointaines contrées d’Arabie…