Pourquoi le DiEM2025 de Varoufakis mène le mauvais combat
- Détails
- Catégorie parente: Europe
- Affichages : 7341
Le saker francophone, 12 août 2016
Pourquoi le DiEM2025 de Varoufakis mène le mauvais combat
Will Denayer – Source Off Guardian
Ce texte traite de stratégie, mais la stratégie ne peut pas être considérée indépendamment des personnes, de leurs histoires et de leurs actions. Syriza a toujours été un conglomérat inconfortable de groupes aux convictions politiques nombreuses, mais depuis qu’il est arrivé au pouvoir en janvier 2015, jusqu’à sa capitulation sept mois plus tard, deux tendances principales ont mené une lutte acharnée. D’un côté, il y avait la gauche hétérogène, qui voulait tenir les promesses électorales (le programme de Thessalonique) : il n’y aurait plus d’austérité, la Grèce négocierait une annulation de sa dette et si la Troïka poussait le pays à bout, elle préconisait de quitter la zone euro. La direction, de l’autre côté, voulait aussi mettre fin à l’austérité. Mais à aucun prix elle n’était prête à sortir de l’euro
Comme l’explique Lapavitsas, la direction de Syriza s’était convaincue elle-même que si elle rejetait un nouveau plan de sauvetage, les prêteurs européens céderaient devant un désordre financier et politique. Le cerveau de cette stratégie était Yanis Varoufakis. Il a négocié avec les prêteurs pendant plus de six mois. Mais la Grèce ne pouvait pas négocier efficacement sans un plan alternatif incluant la possibilité de sortir de la zone euro. Créer ses propres liquidités était la seule manière d’éviter l’impasse de la Troïka. Ce ne serait pas facile, loin de là, bien sûr, mais au moins cela aurait donné le choix de résister aux stratégies catastrophiques des plans de sauvetage. La direction de Syriza n’aura aucun choix (voir ici).
« Syriza a échoué, écrit Lapavitsas, non pas parce que l’austérité est invincible, ni parce qu’un changement radical est impossible, mais parce que, désastreusement, il ne voulait pas, et n’était pas préparé à relever directement le défi de l’euro. Le changement radical et l’abandon de l’austérité en Europe requièrent une confrontation directe avec l’union monétaire elle-même. Pour les petits pays, cela signifie se préparer à la sortie, pour les pays importants, cela signifie accepter des changements décisifs aux arrangements monétaires dysfonctionnels »
Aujourd’hui Varoufakis est de retour comme l’initiateur du DiEM2025 (Mouvement pour la démocratie en Europe). L’ancien ministre grec des Finances jouit d’une grande crédibilité dans la gauche européenne. Une grande partie de cette crédibilité est basée sur le mythe urbain que le gouvernement Syriza a mené une lutte héroïque contre les puissances non démocratiques en Europe, qui n’ont montré aucune perspicacité économique, aucune considération pour le destin du peuple grec ni respect véritable de la démocratie.
Aujourd’hui, on entend de nouveau le même discours. En 2015, il n’y avait finalement pas d’autre choix pour le gouvernement grec sinon d’accepter les conditions de la Troïka. Aujourd’hui, DiEM2025 veut réformer les institutions de l’Union européenne. Il n’y a, de nouveau, pas d’autre choix. Une lutte au niveau national est impossible, la gauche doit s’unir dans toute l’Europe et combattre les institutions de l’UE frontalement. Le but de DiEM2025 est de « démocratiser l’UE en sachant que sinon, elle se désintégrera à un prix terrible pour tous ». Seules restent deux autres options terribles : un retrait dans le supposé archaïque cocon de l’État-nation ou la reddition à l’oligarchie européenne. Le but de DiEM2025 est de « convoquer une assemblée constitutionnelle » où les Européens délibéreront sur la manière de présenter, d’ici à 2025, une démocratie européenne à part entière, avec un Parlement souverain qui respecte l’autodétermination nationale et partage son pouvoir avec les parlements nationaux, les assemblées régionales et les conseils municipaux. C’est en effet « utopique », comme Varoufakis l’admet dans The Independent. Mais, poursuit-il, c’est « beaucoup plus réaliste que tenter de maintenir le système tel qu’il est » ou « d’essayer d’en sortir ». Si vous êtes grec ou britannique, échapper est impossible. Est-ce que ça vous rappelle quelque chose ?
Quelles réformes ?
Le système de démocratie supra-nationale de DiEM2025 devrait reposer sur un Parlement européen aux pouvoirs considérables, qui devrait être l’unique initiateur de la législations européenne, à côté d’une branche exécutive complètement réformée, y compris un président européen directement élu. Ce système garantirait que la Commission mette en œuvre des politiques basées sur la volonté des peuples. Tout doit reposer sur les résultats électoraux de partis européens nouveaux et véritablement transnationaux.
Il faut relever quelques problèmes. Pour commencer, la proposition suppose, bizarrement, qu’il y a un lien de causalité entre les pouvoirs du Parlement et un changement politique et idéologique. Mais pourquoi cela devrait-il être le cas ? Les Européens éliront-ils un Parlement plus orienté à gauche une fois que les pouvoirs de cette institution augmenteront ? Comment ce pouvoir du Parlement européen lui arrivera-t-il ? Le Parlement européen ne peut le faire lui-même, il en faut beaucoup plus. Pourquoi se concentrer sur le Parlement européen pour commencer ? Un tel changement ne peut intervenir que lorsque les relations de pouvoir au sein de la Commission et des deux Conseils changent. En effet, ce qui est nécessaire est une refonte presque complète des institutions européennes dans leur totalité. Et cela ne peut se passer que comme un résultat de changements au niveau national. Pourquoi alors se concentrer sur le niveau supra-national pour commencer ?
DiEM2025 a une stratégie (si vous voulez) pour parvenir à un changement politique. La nouvelle démocratie européenne supra-nationale a besoin d’aller de pair avec la création d’un « électorat post-national ou supranational ». Mais comment cela fonctionnerait-il ? Comme Thomas Fazi le relève à juste titre, il est évident que pour la grande majorité des citoyens européens ordinaires, les barrières linguistiques et les différences culturelles nuisent à la possibilité de participation politique à un niveau supranational. C’est peut-être évident, mais c’est un souci réel. Pourquoi avons-nous besoin de tels partis ? Que peuvent-il atteindre que d’autres ne peuvent pas ?
C’est le contraire qui est vrai. Une plus grande intégration, même si elle est accompagnée par un renforcement du Parlement, n’est pas équivalente à plus de contrôle populaire. Varoufakis suppose naïvement qu’une version améliorée du Parlement européen suffirait à un contrôle démocratique approprié sur les décisions de l’Union. Comme Fazi argumente correctement, cela ignore totalement la question de la capture oligarchique. La recherche montre systématiquement que les problèmes relatifs au lobbying sont exacerbés au niveau supranational. Les transferts de souveraineté à des centres internationaux contribuent à affaiblir le contrôle populaire. Ces centres sont en général physiquement, culturellement et linguistiquement plus éloignés du grand public que les centres nationaux. Et cela conduit à davantage de capture oligarchique.
Dans l’Union européenne, il y a deux sources de légitimité démocratique : le Parlement européen, directement élu par les peuples de l’UE, et le Conseil de l’Union européenne (le Conseil des ministres), ainsi que le Conseil européen (les chefs de gouvernements nationaux). La Commission européenne est nommée par les deux instances. On peut dire beaucoup de choses négatives sur la Commission européenne et avec de bonnes raisons, mais la vérité est que le Parlement européen est peu différent des parlements nationaux. En théorie, les membres des parlements nationaux ont le pouvoir de proposer des lois. Ce n’est pas le cas dans le Parlement européen, il peut seulement faire des amendements que la Commission peut accepter ou refuser ensuite. Cependant, dans les parlements nationaux, en moyenne moins de 15% des initiatives législatives déposées par des membres individuels du Parlement deviennent des lois. Très peu de parlementaires (ou pas du tout) proposeront un projet de loi qui n’a pas été approuvé auparavant par leur parti et/ou qui n’est pas le produit de négociations avec des partenaires de coalition. Certes, le Parlement européen ne travaille pas comme un parlement entier devrait fonctionner, mais la plupart des parlements nationaux ne le font pas non plus. Cela signifie aussi que la bataille pour la Démocratie en Europe doit être menée au niveau national. Ce n’est pas seulement un malaise au niveau des institutions européennes, mais partout en Europe.
Les institutions européennes sont une coquille vide si les gouvernements nationaux ne soutiennent pas la politique européenne. Le vote au sein du Conseil se passe soit avec une majorité qualifiée soit à l’unanimité. Toutes ces décisions sont prises par des politiciens nationaux ou des représentants nationaux. C’est vrai aussi pour le conseil d’administration de la Banque centrale européenne. Il y a un président, un vice-président et quatre autres membres. Tous ces membres sont nommés par le Conseil européen. Les décisions de la BCE sont prises par ces six membres plus les gouverneurs des banques nationales des 19 pays de la zone euro. Le lien avec le niveau national est toujours clair.
La situation au sein de la Commission est pire. Elle a un président élu par le Parlement européen. Cela signifie très peu, parce que la dernière (et la première) fois que c’est arrivé, le nom de Juncker était le seul sur le bulletin de vote. Les 27 autres commissaires sont non élus, ce qui signifie que leur position résulte de négociations entre gouvernements nationaux. Au fil des années, c’est devenu la coutume d’adopter une loi en une simple lecture. Des paquets de nouvelle gouvernance économique essentielle, comme le Traité fiscal, le six-pack, le two-pack et le Semestre européen ont été adoptés avec des méthodes fondamentalement non démocratiques. C’est en effet très mal et doit certainement changer, mais dans quelle mesure est-ce différent de la législation dans la plupart des parlements nationaux en Europe ? L’austérité et les réformes ont été débattues dans les parlements jusqu’à ce qu’une minorité vote contre eux et que la majorité les approuve, peut-être avec un déserteur isolé ici ou là. Aucun gouvernement national en Europe n’est tombé suite à l’introduction de mesures d’austérité. Cela montre que le problème ne se situe pas exclusivement au niveau européen. En effet, sans l’obsession macabre de l’ordolibéralisme, du monétarisme, de la compétitivité, du mercantilisme et des réformes structurelles au niveau national, l’Union européenne serait impuissante à faire avancer cet agenda.
En même temps, comme l’écrit Wolfgang Kowalsky, les ambitions en termes de politique sociale ont été considérablement abaissées au standards de l’OIT, qui sont bien en deçà des normes européennes minimum actuelles. De nouveau, c’est très mal. Mais regardez ce qui se passe au niveau national. Ce n’est pas différent de ce qui se passe en France, au Royaume-Uni ou en Belgique ou dans de nombreux pays où des gouvernements conservateurs (peu importe leur couleur politique) appliquent (ou tentent d’appliquer) une pléthore de lois anti-sociales.
Au lieu de ces mesures de façade, comme l’appelle Kowalsky (organiser une année européenne des citoyens, etc.), il y a un grand nombre d’initiatives que l’UE pourrait promouvoir si elle s’intéressait à la démocratie. Elle pourrait, par exemple, rendre la démocratie de l’UE réelle sur la place de travail et travailler à faire avancer la démocratie industrielle – des termes qu’on ne peut jamais trouver dans aucun document politique européen (y compris le Parlement européen). Au lieu de quoi, les institutions (y compris le Parlement européen) essaient maintenant d’empiéter sur le territoire national de la négociation collective en fixant des limites à l’évolution des salaires – une stratégie claire pour détruire l’autonomie des partenaires sociaux. Mais cela, de nouveau, se met aussi en place, sous une forme ou une autre, dans la plupart des pays européens et donc, de nouveau, c’est une lutte qui doit être menée au niveau national, non par des partis transnationaux mais pas des partis sociaux-démocrates et démocrates de gauche.
Le TINA (There is no alternative) de la gauche
Le TINA du DiEM est bien pire que son analyse fallacieuse des institutions européennes et de leurs négligences des rapports de force nationaux. Il n’y a là rien d’accidentel. C’est le résultat logique de leur diagnostic sous-jacent de ce qui ne va pas dans le monde : si les pays sont devenue impuissants face à la mondialisation, alors il est en effet absurde de lancer un combat politique au niveau de l’État-nation. C’est la thèse de DiEM. Mais l’État-nation n’est pas devenu impuissant face à la mondialisation.
L’idée que DiEM2025 et beaucoup d’autres promeuvent est que le modèle politique basé sur l’État-nation est « fini » (Varoufakis). En Europe les États-nation ont gagné la « responsabilité sans pouvoir » tandis que le niveau supranational a gagné « le pouvoir sans responsabilité ». La souveraineté des parlements nationaux a été dissoute. Aujourd’hui, les mandats électoraux nationaux sont par nature impossibles à remplir. Par conséquent, réformer les institutions européennes (ou plus précisément le Parlement européen) est la seule option qui reste. Varoufakis est loin d’être le seul à voir les choses de cette manière. Selon Slavoj Zizek, la leçon que la gauche doit apprendre de l’épisode Syriza est qu’il est impossible de combattre le capitalisme mondial dans un seul pays. Selon Zizek « la nouvelle tentation sociale-démocrate néo-keynésienne momentanément en vogue dans certains milieux et qui vise à développer une lutte au niveau de l’État-nation n’est qu’un écran de fumée devant la confusion de la pseudo-gauche qui tombe dans le nationalisme et le populisme, divertissant la population avec l’illusion qu’ils peuvent faire la différence ». C’est bien dit, mais ce n’est pas vrai.
Comment le savent-ils et pourquoi sont-ils si sûrs ? Il y a quelques années, Dani Rodrik a introduit ce qu’il appelle « le trilemme politique de l’économie mondiale ». Dans les conditions d’une véritable intégration économique internationale, la démocratie, la souveraineté nationale et l’intégration économique mondiale deviennent mutuellement incompatibles. Il est possible de combiner deux des trois, mais jamais les trois simultanément et totalement. Si vous voulez plus de mondialisation, vous devez renoncer à un peu de démocratie ou de souveraineté nationale. Par exemple, si un pays choisit de rattacher sa monnaie à une devise et permet à des flux de capitaux d’entrer et de sortir sans restriction, il ne peut pas également, fixer de manière indépendante son propre taux d’intérêt. Dans ce contexte, la dimension politique de l’État-nation diminue.
Le trilemme de Rodrik est évidemment célèbre. Comme l’écrit justement Bill Mitchell, il a été habilement vendu par toutes les forces politiques partout. La doctrine est incroyablement pratique. Dites à la population que l’État-nation est fini, qu’il n’est pas en mesure de garantir le plein emploi (ou de travailler en ce sens) et vous vous libérez de la responsabilité de même essayer. La même chose vaut pour l’austérité ou toute autre chose. Si l’État-nation est fini, il est futile de s’y opposer. La question de savoir si c’est vrai n’est bien sûr jamais posée – tout le monde semble connaître la réponse. Mais ce n’est pas ce que Rodrik voulait dire. Le titre de son article How far will economic integration go ? [Jusqu’où ira l’intégration économique ?] pourrait fournir un indice (voir ici). Contrairement à la sagesse conventionnelle, Rodrik a écrit que l’intégration économique internationale n’est pas véritable, c’est-à-dire qu’elle reste remarquablement limitée, même si notre monde est prétendument globalisé.
C’est vrai que l’article de Rodrik date de 2000, mais le monde n’a pas terriblement changé depuis lors. Comme le note Mitchell, il y a encore des frontières nationales. Il y a une incertitude sur les taux de change malgré une dérégulation croissante. Il y a des différences culturelles et linguistiques majeures qui font obstacle à une pleine mobilisation des ressources par-dessus les frontières nationales. Il y a des biais domestiques dans les portefeuilles d’investissement. Il y a une forte corrélation entre les taux d’investissement nationaux et les taux d’épargne nationale. Les flux de capitaux entre les riches et les pauvres à l’échelle nationale sont considérablement en deçà de ce que prévoient les modèles théoriques. Il y a encore de sévères restrictions à la mobilité internationale de la main d’œuvre.
La vérité est que nous ne vivons pas dans un monde totalement globalisé, loin de là. Ergo, les États-nations peuvent poursuivre leurs propres politiques. Cette conclusion est atteinte par tous ceux qui étudient la question.
Il n’y a aucune preuve pour le TINA de DiEM. Leur thèse que le capital est devenu totalement supranational et que nous, afin de le combattre et d’avoir une chance, devons suivre et mener le combat au même niveau supranational est incorrect. Le caractère sans attache du capital sera combattu au niveau national ce qui à son tour conduira à la coopération internationale – sinon il ne sera pas combattu. Si le capital est devenu totalement sans attache et si l’État-nation est fini, pourquoi Goldman-Sachs et autres paient-ils Hillary Clinton des millions de dollars pour des discours qui doivent rester secrets ? Pourquoi le lobby des grandes entreprises injecte-t-il des milliards dans les institutions régulatrices des pays, pourquoi les think tanks et les agences de marketing qui n’ont pas d’autre but que de fausser l’opinion des votants fleurissent-ils partout, pourquoi le secteur des entreprises est-il si désireux d’acheter des médias de manière à ce que leur cadre idéologique puisse être étroitement protégé ? Est-ce parce que l’État-nation est fini ?
Comme Bill Mitchell l’a écrit sur son blog il y a quelques temps, la « réalité actuelle [est] que les politiciens ont encore la capacité législative de restreindre l’activité économique par dessus les frontières […] Le défi actuel est de ne pas céder sa souveraineté national à quelque État mythique de l’intégration économique internationale, mais de résister à la corruption du processus d’élaboration politique nationale par des changements de technocraties et de s’assurer que les systèmes de votes ne sont pas corrompus par des lobbyistes travaillant dans l’intérêt d’élites capitalistes spécifiques ».
Et pourquoi n’est-ce pas le cas ? On peut accuser la droite de beaucoup de choses, mais pas d’être de droite. Elles sont ce qu’elles sont. Mais la même chose n’est pas vraie pour la gauche. Comme l’écrit Bill Mitchell :
« Le problème est que la stupidité des politiciens de gauche leur a fait gober le mythe que l’intégration économique internationale est si avancée et inévitable qu’ils doivent abandonner les buts progressistes traditionnels et, à leur place, servir les intérêts du capital. Leur récit différencié est l’affirmation invraisemblable qu’ils maintiendront d’une manière ou d’une autre leur position politique pour obtenir des résultats plus justes. »
C’est, en un mot, ce qui est arrivé pendant les trente dernières années ou à peu près. Ce n’est pas la financiarisation qui a brisé le dos de la démocratie (ainsi que Varoufakis l’a récemment déclaré à la télévision hollandaise), mais l’idéologie fallacieuse qu’absolument rien de plus ne peut être fait, qu’un changement structurel est impossible, que la lutte politique au niveau de l’État-nation est dépassée et que la seule chose à faire pour la gauche est de gérer l’État dans le sens néolibéral, avec quelques corrections sociales ici ou là. Des corrections qui se révèlent totalement insuffisantes, c’est vrai, dans la mesure où la démocratie sociale, comme le New Labour sous Blair au Royaume-Uni, n’a pas complètement accepté l’idéologie néolibérale sur les profiteurs des prestations sociales, etc., et a tout rendu encore pire pour les chômeurs et pour les pauvres que ce n’était déjà le cas.
Il n’en reste pas moins qu’il est possible pour les pays qui émettent de la monnaie de suivre leurs propres politiques économiques – des politiques qui ont, parmi d’autres buts, celui du plein emploi. C’est la vraie question. Il ne s’agit pas de démocratisation des institutions. Il ne s’agit pas du besoin de politique européenne transnationale. Il ne s’agit pas de quelque chose qui flotte dans les airs, comme un modèle sociétal qui, comme Varoufakis l’explique, est « en même temps libertaire, marxiste et keynésien ». Ce dont nous avons besoin, ce sont des partis de gauche capables de gagner les élections nationales.
Pourquoi donner la priorité au niveau national ?
Si DiEM2025 veut lutter pour « des institutions européennes plus démocratiques », laissons le faire. Mais le combat le plus important se déroulera à l’échelle nationale. Rien ne peut atteindre davantage l’oligarchie européenne que des pays sortant de l’union monétaire européenne (ou menaçant de le faire), se rééquilibrant, retournant à la croissance et faisant mieux que l’eurozone dysfonctionnelle et ultra-néolibérale. Partout en Europe, le capital instaure des divisions entre des lignes de faille ethniques et culturelles fictives dans le but de mener une stratégie du diviser pour régner contre le travail. La gauche doit mener cette bataille à tous les échelons possibles. L’internationalisme n’a jamais signifié renoncer à la lutte nationale. C’est le contraire qui est vrai. Cela n’a absolument rien à voir avec le nationalisme. Il ne s’agit pas de ce que les Anglais ou les Allemands peuvent faire parce qu’ils sont anglais ou allemands, mais parce que les plus grands progrès peuvent être atteints à ces niveaux. Les Irlandais ont vaincu la privatisation de l’eau. Il n’ont a pas eu besoin d’un combat au niveau européen pour y arriver. La privatisation de l’eau est probablement impossible à vaincre à ce niveau. Mais les Irlandais l’ont fait dans leur pays. C’est simplement une stratégie pour progresser là où le plus de progrès peut être atteint. Cela n’exclut pas la solidarité internationale. Au contraire, c’est une condition pour qu’une telle solidarité existe. Nous avons besoin de partis sociaux-démocrates authentiques qui gagnent nationalement des élections, envoient des représentants de gauche au Parlement européen, des représentants de gauche au Conseil et à la Commission et des keynésiens à la BCE. La lutte pour l’investissement, la reprise et contre l’austérité et le lobbying des entreprises doit être menée à l’intérieur de ces institutions. Comment des partis politiques transnationaux y parviendront-ils ? C’est au niveau national (et local) que les gens sont concernés par la politique. C’est là que se trouvent les forces principales.
Ce n’est bien sûr pas la manière de voir de Varoufakis. Comme il l’a expliqué à The Independent, presque huit ans après le déclenchement de la crise financière, le chômage dans l’Union européenne atteint déjà des niveaux de crise, il est deux fois plus haut qu’aux États-Unis et dans le Royaume Uni – qui atteignent maintenant ce que les économistes considèrent comme le plein emploi. Pour commencer, personne ne croit ces statistiques. Il y a des millions de personnes sans emploi dans ces pays. « Si le chômage était encore à 10% ou 11% au Royaume-Uni ou aux États-Unis, leurs administrations se seraient effondrées », dit Varoufakis à The Independent. Comment le sait-il ? Est-ce que le gouvernement en Espagne, où le chômage dépasse pourtant 20%, s’est effondré ? Est-ce que le gouvernement irlandais s’est effondré ? Le principal parti pro-austérité d’Irlande a été réélu et l’ancien Premier ministre est revenu au pouvoir. Aucun parti transnational ne changera cela. Mais des partis sociaux-démocrates honnêtes, authentiques et fondés sur des principes le peuvent, s’ils se lèvent.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone