unitepopulaire-fr, 5 février 2016
 
Syriza et Israël – Chronique d’une satellisation annoncée
Arsi Chadjistefanou
 
Il a suffi de moins d’un an à Alexis Tsipras pour mener à son terme la tentative, inaugurée par le gouvernement Mitsotakis et poursuivie par ceux qui lui ont succédé, de transformer la Grèce en satellite d’Israël
 
 
Tsipras et Netanyhau
 
Au téléphone, une voix grave demanda : « Tu as lu les points de vue de l’opposition ? » « Je n’avais pas le temps et je n’avais pas la moindre intention de perdre ma matinée à ça », répondit son interlocuteur d’un ton sarcastique. « Aucun parti sérieux ne peut reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël », fit entendre à nouveau la voix grave qui continua à traiter ses adversaires avec les qualificatifs les plus dédaigneux : « C’est répugnant, c’est une honte, ces thèses sont écrites par un tas d’amateurs. » « Oui, vraiment, c’est totalement immoral », ajouta l’homme qui parlait à l’autre bout de la ligne téléphonique.
Cette discussion fut enregistrée par les services de renseignement de la Maison Blanche le 29 juin 1972. La voix grave appartenait au « magicien de la diplomatie américaine », d’origine juive, Henry Kissinger. Son interlocuteur, en accord total avec lui, était le Président des Etats-Unis Richard Nixon. Même ces deux politiciens républicains, responsables de la mort de millions de civils sur toute la planète, savaient qu’il existe des limites aux exigences de l’Etat israélien. Quant aux flatteries du parti démocrate envers Tel Aviv, elles leur provoquaient un dégoût sincère.
Comment réagiraient ces deux sommités de la diplomatie américaine si elles apprenaient que le Premier ministre de la Grèce, qui jusqu’à il y a quelque mois lançait le foulard palestinien comme symbole de la « révolution chic », reconnait indirectement Jérusalem comme capitale d’Israël ? « C’est un grand honneur pour moi de me trouver dans votre capitale historique et de vous rencontrer », a écrit Tsipras dans le livre des visiteurs du président israélien : les diplomates grecs chevronnés ont changé de couleur devant cette démonstration de soumission totale à Israël.
Les propagandistes du parti de gouvernement ont travaillé nuit et jour dans les semaines qui ont suivi pour camoufler cette déclaration inouïe, recourant même à l’argument mille fois rebattu… de l’amateurisme. Ce qu’ils ne voulaient révéler en aucun cas, c’est que Tsipras a préparé le terrain pour l’enrôlement aux côtés d’Israël plusieurs mois avant les élections de janvier dernier. Le choix délibéré de personnalités connues pour leur attachement au lobby d’Israël en Grèce et aux Etats-Unis, comme les visites fréquentes de cadres de SYRIZA à l’ambassade d’Israël, envoyaient un message clair que cependant personne n’a voulu entendre.
 
Un flirt qui vient de loin

 
Pour la plupart des gens le flirt de SYRIZA avec Israël commence en août 2012 , quand Tsipras rencontre Shimon Pérès (responsable, entre autres, du massacre de dizaines de civils dans les camps de l’ONU au Liban en 1996). Comme la base du parti réagit et que Tassos Kourakis demande des explications, l’appareil du parti fait diversion : avec Réna Dourou en première ligne, qui écrit deux articles pour blanchir Pérès, accusé de crimes de guerre, en le présentant comme la « dissidence de gauche » d’Israël et en insistant sur le fait que « Notre pays a tout à gagner de la coïncidence de nos intérêts géostratégiques avec Israël ».
Mais tous ceux qui suivaient de plus près les tendances de la politique extérieure de SYRIZA datent de 2009 les premiers « émois amoureux » avec Israël. Plus précisément : le 10 décembre 2009, des universitaires, des journalistes, des hommes politiques, dont certains joueront un rôle décisif dans la définition de la politique de SYRIZA en matière de défense, se rencontrent au cours d’une journée organisée par l’Institut des Relations internationales (IDIS). Au milieu de noms fameux comme ceux de Constantin Mitsotakis, de Théodore Pangalos, de Yérassimos Arsénis etc… se trouvait aussi celui de Sotiris Roussos, professeur suppléant de l’université du Péloponnèse, qui insistait sur la nécessité d’une collaboration Grèce-Israël en matière de sécurité et sur l’utilité de faire jouer le lobby israélien aux Etats-Unis en faveur de la Grèce. Bien que se soit écroulé très vite le mythe selon lequel ce lobby sauverait l’économie grecque grâce à son influence sur les centres financiers internationaux (n’était-ce pas d’ailleurs une instrumentalisation des stéréotypes antisémites ?), ces conceptions se glissent dans le noyau directeur de SYRIZA. Et cinq ans plus tard, Sotiris Roussos se trouve être le coordinateur de la section de politique extérieure et de défense du parti et en première ligne des tentatives de rapprochement avec ce que la plus grande partie de la Gauche appelle « Etat terroriste du Moyen Orient ».
Ce n’est pas un hasard si Roussos a coordonné aussi la présentation officielle du programme de SYRIZA pour la Défense, dont le deuxième rapporteur était Costas Grivas, « nationaliste » bien connu, boursier de la Fondation Fullbright – l’homme qui, comme le remarquait alors le Journal des rédacteurs, bénéficiait de « commentaires dithyrambiques » de la part des journaux de l’extrême droite et de l’organisation nazie Chryssi Avgi.
Ayant abandonné toute tentative même formelle de se présenter comme un ami des Palestiniens, Tsipras et ses proches commencent alors un combat pour gagner le cœur de Tel Aviv, tout en s’incrustant à l’ambassade d’Israël à Athènes. Le Premier ministre lui-même rend visite à l’ambassadrice Irit Ben Aba presque un mois avant les élections de janvier – suivi trois jours plus tard par Réna Dourou. Le mariage entre Syriza et Tel Aviv sera confirmé à peine 24 heures avant les élections, lorsque Nikos Pappas passera par la résidence d’Irit Ben Aba pour lui promettre une fois encore que le nouveau gouvernement maintiendra non seulement la coopération militaire, mais aussi l’échange d’informations entre les services secrets des deux pays.
Le rôle de coordinateur de ces contacts semble être assumé par le conseiller diplomatique de Tsipras, Vanguélis Kalpadakis, qui a provoqué beaucoup de remous au sein du Corps diplomatique pour avoir été nommé exceptionnellement jeune à l’ambassade d’Ankara – un poste que les autres diplomates ne peuvent atteindre qu’après des décennies de services ailleurs.
Coïncidence : le frère du conseiller diplomatique de Tsipras, Yorgos Kalpadakis ( ils sont tous les deux les neveux du président du Parlement Nikos Voutsis) se trouve à la tête du bureau d’un autre cadre pro-israélien de SYRIZA, Iannis Dragasakis. Le vice-président du gouvernement Tsipras ne rate pas une seule manifestation de l’ambassade d’Israël à Athènes, où on rencontre toujours un membre quelconque de la famille Mitsotakis, depuis le patriarche Constantinos jusqu’à Dora Bakoyanni. Des personnes connaissant depuis longtemps Dragasakis évoquent des liens particulièrement étroits de ce dernier avec la famille qui a ouvert la voie à la coopération diplomatique de la Grèce avec Israël (Jean Cohen, qui se présente dans sa biographie comme l’ « initiateur officieux de la communication entre les deux pays » fut pendant des années le conseiller de Constantin Mitsotakis). I. Dragasakis a eu l’occasion d’exprimer son admiration pour l’Etat d’Israël pendant la visite qu’il a faite de concert avec Dora Bakoyanni à Jérusalem en 2014.
 
 
 
Une totale satellisation

 
Tout cela est arrivé alors que Syriza détenait encore le pouvoir en promouvant un Tsipras coiffé d’un keffieh palestinien. On peut facilement imaginer ce qui s’est produit quand le nouveau Premier ministre a commencé à placer des « atlantistes » aux postes les plus importants de la politique extérieure, de la défense et des services de renseignement. Le choix de Nikos Kotzias et de Panos Kamménos comme ministres, ainsi que de Roumbati à la tête des services de renseignement (EYP), fut considéré comme une ouverture envers les Etats-Unis, ce qui par définition va de pair avec un renforcement des liens avec Israël. Le journal To Vima nous prévenait dès 2012 que « Kamménos a des contacts avec des cercles israéliens et au-delà de l’Atlantique ».
Dans ce contexte des diplomates arabes jugeaient presque certain que la Grèce s’abstiendrait lors du vote historique sur le lever du drapeau palestinien à l’extérieur du bâtiment de l’ONU – décision dont SYRIZA a tenté de faire porter la responsabilité au ministre de service des Affaires étrangères, Pétros Molyviatis. Les mêmes sources diplomatiques, dans des déclarations à UNF0LLOW, prétendaient qu’ensuite le gouvernement a refusé des propositions de pays arabes pour soutenir le système bancaire et plus généralement l’économie nationale.
Mais ce que même les critiques les plus acharnés de SYRIZA ne pouvaient imaginer, c’est que la Grèce deviendrait le deuxième pays au monde après les Etats-Unis à signer avec Israël l’accord « Status of Forces Agreement » qui prévoit la présence dans les deux pays de personnel militaire dans le cadre d’exercices et de coopération militaire. « La Grèce », dit alors l ‘analyste Ali Abounima, « offre son territoire pour entraîner les Israéliens à tuer des Palestiniens ».
Malheureusement les initiatives du gouvernement Tsipras ne s’arrêtent pas là. Le slogan « La Gauche pour la première fois » s’est transformé très vite en première fois … qu’une aviation de guerre étrangère – celle d’Israël – participe à l’exercice « Iniochos ». Répondant à ces mouvements de bonne volonté, l’Etat-major d’Israël a en effet invité la Grèce, aux côtés des Etats-Unis et de la Pologne, à participer au plus grand exercice aérien qui ait jamais été réalisé depuis la fondation de l’Etat d’Israël.
Ainsi il a suffi de moins d’un an à Tsipras pour finaliser la tentative inaugurée par le gouvernement Mitsotakis et ses successeurs de transformer la Grèce en satellite d’Israël. Il a même dépassé ses prédécesseurs en coupant définitivement la communication avec le monde arabe et en assurant un petite marque grecque aux prochains massacres à Gaza.
 
Article d’Aris Chadjistefanou dans la revue Unfollow 48, décembre 2015
 
Traduction Joelle Fontaine
 
http://unitepopulaire-fr.org/2016/02/05/syriza-israel-chronique-dune-amitie-annoncee-par-aris-chadjistefanou/

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