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Source: Blog Le Monde.fr



Un chercheur inquiété pour islamophilie


Au moins, l’affaire Geisser aura-t-elle eu la vertu de révéler la présence d’un type de fonctionnaire inconnu dans le monde de l’Université et de la Recherche : le fonctionnaire de sécurité de défense dit FSD. Il en est un, effectivement préposé au CNRS, du nom de Joseph Illand. Que fait-il ? Il surveille les travaux des chercheurs afin d’y relever tout ce qui pourrait nuire à la sécurité et à la défense de la France, ainsi qu’il s’en expliquait ici. Ce qui n’est pas inutile en temps de terrorisme. Seulement voilà, il semble que M. Illand ait été tellement zélé que son rapport sur Vincent Geisser, politologue à
l’Irenam (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman) d’Aix-en-Provence, ait conduit à une possible sanction contre celui-ci. Motif : islamophilie. Pièce à charge : son livre La Nouvelle islamophobie (La Découverte, 2003). Vincent Geisser sera fixé le 29 juin; ce jour-là, il
comparaîtra devant une commission du CNRS pour “manquement grave” à l’obligation de réserve à laquelle sont tenus les fonctionnaires. Voilà une conception du métier qui ne manquera pas d’enrichir le débat ouvert depuis plusieurs mois par le gouvernement sur les conditions et la finalité du métier
de chercheur.

Ce M. Illand est doté d’un réel pouvoir
si l’on en croit ce qu’a confié le chercheuse Françoise Lorcerie
à Libération :”Quand on part en mission à l’étranger dans des pays sensibles, on est obligés de lui
communiquer nos plans de mission: qui on va rencontrer, où on va loger.
Et on doit avoir son autorisation pour partir». Or il se trouve que Vincent Geisser travaillait depuis quelques temps avec son laboratoire sur une vaste enquête consacrée à l’apport des universitaires maghrébins au rayonnement de la recherche française dans le monde, notamment dans les sciences
fondamentales. Il se plaint d’être l’objet d’un véritable harcèlement moral depuis cinq ans de la part de ce surveillant au nom de l’impératif sécuritaire.

C’est pourquoi ceux nombreux qui le défendent, à commencer par sa collègue l’historienne Esther Benbassa, estiment que cette affaire va au-delà du cas  Geisser :”Elle traduit l’intrusion inquiétante de logiques policières et sécuritaires au sein même des milieux scientifiques et universitaires, dont la finalité est de contrôler la production et la diffusion du savoir”. Le politologue Olivier Roy, également spécialisé sur le monde arabo-musulman, va plus loin encore puisqu’il évoque une attaque systématique envers les chercheurs qui refusent les clichés sur l’Islam :”En 2007-2008, j’ai reçu un mail signé du haut-fonctionnaire de défense me reprochant de mieux traiter l’islam
que le christianisme. Estimant que cette personne n’avait pas à faire état de ses fonctions en exprimant ses opinions personnelles à l’encontre d’une fonctionnaire sur qui il pouvait avoir autorité, et en accord avec mon directeur de laboratoire, j’ai ignoré ce message et je l’ai mis en spam. Il apparaît maintenant qu’il s’agissait d’une sorte de provocation et je regrette d’avoir
traité cette affaire simplement par le mépris”.

Que Vincent Geisser, chargé de recherche au CNRS et président du Centre d’information et d’études sur les migrations internationales (CIEMI), spécialisé depuis des années sur les migrations intellectuelles entre l’Europe et le Maghreb, soit un chercheur engagé, voire même “exalté” dans ses engagements selon un ancien élève admiratif, que sa proximité avec son sujet lui ait conféré une
réputation d’islamophile, qu’il ait exprimé à plusieurs reprises sa défiance dans des courriers ou des prises de parole sur l’ingérence de ce fonctionnaire “Sécurité et Défense” dans ses travaux et ceux de ses collègues, tout cela ne fait guère de doute. Mais si un tel comportement devait justifier une
quelconque sanction à son endroit, alors on peut prédire de “beaux jours” à un certain nombre de chercheurs français dans leur vie quotidienne. Ce qui n’a pas échappé à nombre de collègues de Vincent Geisser qui se sont immédiatement mobilisés (lettre ouverte à la ministre et pétition) pour le
soutenir. Toutes sensibilités confondues, cela va de soi.