Le Grand Soir, 31 mars 2012



L’AFRICOM des Etats-Unis et la militarisation du continent africain : Le combat contre l’implantation économique chinoise- 2ère partie
Nile Bowie


1ère partie


Depuis l’époque coloniale, l’Occident à l’habitude d’exploiter les différences ethniques d’Afrique pour faire avancer ses intérêts. Au Rwanda, l’administration coloniale belge a exacerbé les tensions entre les Hutus, réduits à une sorte de servage, et les Tutsis qui étaient considérés comme le prolongement du pouvoir belge. Dès le début de la guerre civile au Rwanda en 1990, les Etats-Unis ont essayé de renverser Juvénal Habyarimana, le président Hutu en place depuis 20 ans, pour mettre en place un gouvernement tutsi à leurs ordres au Rwanda, une région historiquement sous l’influence de la France et de la Belgique. A cette époque antérieure à la guerre civile rwandaise, le Front Patriotique des Tutsis du Rwanda (FPR) dirigé par l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame, faisait partie des Forces de Défense du Peuple Uni de Museveni (FDPU).


L’armée ougandaise a envahi le Rwanda en 1990 sous prétexte de libérer les Tutsis malgré le fait que Museveni ait refusé d’accorder la nationalité aux réfugiés tutsis-rwandais qui vivaient en Ouganda à ce moment-là, une décision qui a contribué au déclenchement du génocide rwandais de 1994. Kagame lui- même avait été entraîné au U.S. Army Command and Staff College (CGSC) de Leavenworth au Kansas avant de revenir dans la région pour diriger l’invasion de 1990 du Rwanda comme commandant du FPR (l’armée d’opposition au gouvernement rwandais de Habyarimana ndt) qui était approvisionné à partir de bases militaires des FDPU (l’armée ougandaise ndt) financées par les Etats-Unis en Ouganda. L’invasion du Rwanda était soutenue sans réserve par les Etats-Unis et l’Angleterre, et les Forces Spéciales étasuniennes assuraient l’entraînement des soldats avec le concours de la firme de mercenaires étasunienne, Military Professional Resources Incorporated (MPRI).


Une étude publiée en 2000 par le Professeur canadien Michel Chossudovsky et l’économiste belge, Pierre Galand, montre que les institutions financières occidentales comme le FMI et la Banque Mondiale ont procuré des fonds aux deux camps de la guerre civile rwandaise grâce à un système de financement des dépenses militaires par la dette extérieure des régimes de Habyarimana et de Museveni. En Ouganda, la Banque Mondiale a imposé, dans l’intérêt de Washington, des mesures d’austérité seulement sur les dépenses civiles tout en veillant à ce que les revenus de l’état soient consacrés à l’armée ougandaise (FDPU). Au Rwanda, les nombreux prêts de développement consentis par des filiales de la Banque Mondiale comme l’Association de Développement International, le Fond de Développement Africain et le Fond de Développement Européen ont été détournés au profit de la milice Hutu extrémiste Interhamwe, principal acteur du génocide rwandais.


Plus troublant encore peut-être, la Banque Mondiale a supervisé d’énormes achats d’armes qui ont été enregistrés comme des dépenses gouvernementales bona fide en violation flagrante des accords signés entre le gouvernement rwandais et les institutions donatrices. Sous le contrôle de la Banque Mondiale le régime de Habyarimana a importé environ un million de machettes par l’intermédiaire de diverses organisations reliées à Interhamwe sous prétexte d’importer des marchandises civiles. Pour assurer leur règlement, un fond de placement multilatéral de 55,2 millions de dollars a été assigné aux efforts de la reconstruction d’après guerre mais l’argent, au lieu d’être envoyé au Rwanda, a été remis à la Banque Mondiale pour rembourser les dettes créées par le financement des massacres.


De plus, quand Paul Kagame est arrivé au pouvoir, Washington a fait pression sur lui pour qu’il reconnaisse comme légitime les dettes contractées par l’ancien régime génocidaire de Habyarimana. L’échange d’anciens prêts contre de nouvelles dettes (sous l’égide de la reconstruction d’après guerre) a été conditionné à l’acceptation d’une nouvelle vague de réformes dictées par le couple FMI/Banque Mondiale, et des fonds extérieurs ont été détournés de la même manière au profit des dépenses militaires qui ont précédé l’invasion du Congo (alors appelé Zaïre) dirigée par Kagame. Au moment où les législateurs actuels de Washington tentent d’intensifier la présence militaire étasunienne dans la RDC sous des prétextes humanitaires, le comportement ignoble -et amplement documenté- des services secrets et des paramilitaires occidentaux au Congo depuis son indépendance, prouve s’il en était besoin que le but de l’intervention occidentale est l’exploitation pure et simple et rien d’autre.


En 1961, Patrice Lumumba, le premier Premier Ministre du Congo à être élu légalement, a été assassiné avec l’appui des services secrets belges et de la CIA, pavant le chemin au règne de 32 ans de Mobutu Sese Seko. Pour essayer de purger le Congo de l’influence culturelle coloniale, Mobutu a renommé le pays Zaïre et a instauré un régime autoritaire étroitement allié à la France, la Belgique et les Etats-Unis. Mobutu était considéré comme un allié fidèle des Etats-Unis pendant la Guerre Froide à cause de son positionnement anti-communiste ; le régime a reçu des milliards d’aide internationale, notamment étasunienne. Sous son administration les infrastructures se sont détériorées et la kleptocratie zaïroise a détourné les aides et les prêts internationaux ; Mobutu lui-même aurait 4 milliards de dollars sur un compte suisse.


Les relations entre les Etats-Unis et le Zaïre se sont réchauffées à la fin de la Guerre Froide quand ils n’ont plus eu besoin de Mobutu comme allié ; Washington a plus tard utilisé le Rwanda et l’Ouganda pour envahir le Congo, renverser Mobutu et installer à sa place un régime complaisant. Suite au conflit du Rwanda, 1,2 millions de civils hutus (dont beaucoup avaient pris part au génocide) sont passés dans la province Kivu de l’est du Zaïre pour échapper aux poursuites de l’Armée Patriotique du Rwanda (APR) tutsi de Paul Kagame. Les forces spéciales étasuniennes ont entraîné les troupes rwandaises et ougandaises à Fort Bragg aux Etats-Unis et ont soutenu les rebelles congolais du futur président Laurent Kabila. Sous prétexte de sauvegarder la sécurité nationale au Rwanda contre la menace des milices hutus, des troupes du Rwanda, d’Ouganda et du Burundi ont envahi le Congo et se sont déchaînées dans les camps de réfugiés hutus, massacrant des milliers de civils hutus rwandais et congolais dont beaucoup de femmes et d’enfants.


Les rapports de brutalité et de meurtres de masse au Congo ont rarement été pris en compte par l’Occident parce que la communauté internationale appréciait Kagame et avait pitié des victimes tutsis rwandaises du génocide. Halliburton et Bechtel (des firmes militaires privées qui ont tiré un énorme profit de la guerre d’Irak) ont participé aux opérations d’entraînement et de reconnaissance destinées à renverser Mobutu et mettre Kabila à sa place. Après avoir déposé Mobutu et pris le contrôle de Kinshasa, Laurent Kabila a éradiqué toute opposition et est devenu un leader tout aussi despotique ; il s’est détourné de ses alliés rwandais et a appelé les civils congolais à purger par la violence la nation des Rwandais, en conséquence de quoi les forces rwandaises se sont regroupées à Goma pour tenter de conquérir les terres riches en ressources du Congo oriental.


Avant de devenir président en 1997, Kabila a envoyé des représentants à Toronto pour discuter de projets miniers avec American Mineral Fields (AMF) et la multinationale canadienne Barrick Gold Corporation ; il a octroyé à AMF, qui avait des liens directs avec le président étasunien Bill Clinton, un permis d’exploitation exclusif pour le zinc, le cobalt et le cuivre de la région. Les Guerres Congolaises menées par le Rwanda et l’Ouganda ont fait 6 millions de victimes, le plus grand génocide depuis l’holocauste juif. L’occident a soigneusement entretenu le conflit par de l’aide financière et militaire pour s’approprier les énormes ressources minières de l’est et du sud du Congo ; l’industrie de la Défense étasunienne a besoin d’alliages de métaux de haute qualité de cette région pour la construction de moteurs de jets de haute technicité.


En 1980 des documents de Pentagone signalaient le manque de cobalt, titane, chrome, tantale, béryllium et nickel ; c’est principalement pour s’en procurer que les Etats-Unis ont participé au conflit congolais. La seule loi que le président barak Obama a initiée quand il était sénateur est S.B. 2125, l’Acte sur la libération, la sécurité et la promotion démocratique de la République Démocratique du Congo, en 2006. Dans cet acte Obama dit que le Congo représente un intérêt à long terme pour les Etats-Unis et il fait référence à la menace des milices hutus comme le meilleur prétexte à l’ingérence continuelle dans la région ; La section 201(6) de l’acte appelle spécifiquement à la protection des ressources naturelles de la RDC orientale.


Le rapport "Cobalt : les options politiques pour la stratégie minérale" du Bureau du Budget du Congrès publié en 1982 indique que les alliages à base de cobalt sont absolument indispensables aux industries de l’armement et aérospatiales et que 64% des réserves de cobalt se trouvent dans la Copperbelt (ceinture de cuivre) katangaise, qui va du sud-est du Congo au Nord de la Zambie. Pour cette raison, l’avenir du complexe militaro-industriel étasunien dépend largement du contrôle des ressources stratégiques de la RDC orientale. En 2001, Laurent Kabila a été assassiné par un membre de la sécurité, et son fils Joseph Kabila a usurpé la présidence. La légitimité du jeune Kabila repose uniquement sur le soutien de chefs d’état étrangers et de la communauté d’affaires internationale en échange de sa complaisance à les laisser piller son pays.


Pendant les élections générales du Congo de novembre 2011, la communauté internationale et
l’ONU n’ont évidemment pas fait état des irrégularités massives observées par le comité électoral. La Mission de l’ONU pour la stabilisation et l’organisation de la République Démocratique du Congo (MONUSCO) a été si tellement soupçonnée de corruption que le leader de l’opposition Étienne Tshisikedi lui a demandé d’arrêter de couvrir le système international de pillage et de nommer quelqu’un "de moins corrompu et de plus crédible" à la tête de la mission. MONUSCO a été salie par le fait que beaucoup de soldats de l’ONU faisaient la contrebande de minéraux comme la cassitérite et vendaient des armes aux groupes de miliciens.


Sous le jeune Joseph Kabila, les activités commerciales entre la Chine et la RDC ont augmenté de manière significative, non seulement dans le secteur minier mais aussi énormément dans le domaine des télécommunications. En 2000, la firme chinoise ZTE a finalisé un contrat de 12,6 millions de dollars avec le gouvernement congolais pour mettre en place la première entreprise de télécommunications sino-congolaise ; de plus, la RDC a exporté du cobalt pour une valeur de 1,4 milliards de dollars en 2007-2008. La plus grande partie des matières premières, comme le cobalt, le cuivre et différents bois durs, sont exportées en Chine pour y être traitées et 90% des usines de traitement du sud-est de la province Katanga appartiennent à des Chinois. En 2008, un consortium d’entreprises chinoises a obtenu des permis d’extraction minière dans la province Katanga en échange d’un investissement de 6 milliards de dollars pour la construction de deux hôpitaux, quatre universités et un projet d’énergie hydraulique.


Dans le cadre du contrat, 3 millions supplémentaires étaient alloués au développement de l’extraction du cobalt et du cuivre dans la province Katanga. En 2009, le FMI a exigé la renégociation du contrat sous prétexte que l’accord entre la Chine et la RDC violait la programme d’aide pour la dette étrangère des pays qualifiés de PPTE (pays pauvres très endettés). La vaste majorité des 11 milliards de dollars de la dette étrangère que la RDC doit au Club de Paris a été détournée par le précédent régime de Mobuto Sesi Seko. Le FMI a réussi à bloquer l’accord en mai 2009 et a demandé que soit réalisée une meilleure étude des concessions de minerais de la RDC.


Les Etats-Unis sont en train de mobiliser l’opinion publique en faveur d’une plus grande présence étasunienne en Afrique, sous prétexte de capturer Joseph Kony, de mettre fin au terrorisme islamique et de régler des problèmes humanitaires anciens. Les campagnes émotionnelles des médias sociaux réussissent à convaincre les Américains qu’il faut empêcher ces atrocités mais peu d’entre eux se rendent compte du vrai rôle que jouent les Etats-Unis et les institutions financières occidentales dans le déclenchement des tragédies qu’ils prétendent maintenant solutionner. Beaucoup de personnes sincèrement inquiètes s’engagent naïvement dans des organisations qui militent pour la guerre, en oubliant que l’armée qui sera installée au coeur de l’Afrique utilisera des drones Predator et tirera des missiles qui, on le sait, font énormément de victimes civiles.


La consolidation de la présence étasunienne dans la région fait partie d’un programme plus large qui a pour but d’étendre le pouvoir d’AFRICOM, le commandement militaires des Etats-Unis pour l’Afrique, à travers un archipel de bases militaires dans la région. En 2007, le conseiller du Département d’Etat, J. Peter Pham, a défini ainsi l’objectif stratégique d’AFRICOM : "Protéger l’accès aux hydrocarbures et autres ressources stratégiques que l’Afrique possède en abondance, ce qui signifie d’une part protéger ces richesses naturelles fragiles et d’autre part s’assurer qu’aucune autre nation telle que la Chine, l’Inde, le Japon ou la Russie n’obtienne de monopole ou de traitement de faveur." De plus, pendant une conférence d’AFRICOM à Fort McNair le 18 février 2008, le vice-amiral Robert T. Moeller a ouvertement déclaré que le principe directeur d’AFRICOM était d’assurer "la libre circulation des ressources naturelles africaines sur le marché mondial" avant d’ajouter que la montée en puissance de la Chine représentait une menace majeure pour les intérêts étasuniens dans la région.


L’intensification de la présence étasunienne en Afrique centrale, n’est pas seulement destinée à s’assurer des monopoles sur les réserves de pétrole nouvellement découvertes en Ouganda ; la légitimité de Museveni repose sur le soutien de l’étranger et son aide militaire massive — les forces étasuniennes au sol n’ont pas pour mission d’obtenir de juteux contrats de pétrole de Kampala. La pénétration dans le coeur de l’Afrique a pour but de déstabiliser la République Démocratique du Congo et de mettre la main sur des réserves de cobalt, tantale, or et diamants. Plus précisément, les Etats-Unis se proposent d’utiliser la politique de la terre brûlée en créant une situation de guerre au Congo qui chassera tous les investisseurs chinois. A l’image du conflit libyen, où les Chinois, quand ils sont revenus après la chute de Kadhafi, ont trouvé un gouvernement fantoche qui ne voulait faire des affaires qu’avec les pays occidentaux qui les avaient portés au pouvoir.


D’une part les Etats-Unis usent de leur influence pour favoriser l’émergence d’états séparatistes comme le Soudan du Sud et d’autre part, les activités de al Shabaab en Somalie, de Boko Haram au Niger et de plus grands groupes de AQMI en Afrique du nord offrent aux Etats-Unis un bon prétexte pour s’ingérer davantage dans les affaires de la région. La mission dévolue au premier président noir des Etats-Unis est d’exporter ostensiblement la guerre théâtrale contre le terrorisme sur le continent africain pour exploiter les tensions tribales, ethniques et religieuses existantes. Comme les théoriciens de la politique étasunienne tels que Henry Kissinger le proclament volontiers, "La dépopulation du tiers-monde devrait être la priorité essentielle de la politique étrangère étasunienne" ; les vastes espaces de désert et de jungle du nord et du centre de l’Afrique serviront sans nul doute de scène de théâtre aux guerres pour les ressources naturelles de la prochaine décennie.

 

Nile Bowie est journaliste, photographe et écrivain indépendant. Il est basé à Kuala Lumpuren Malaysie.


Pour consulter l’original :
http://nilebowie.blogspot.fr/2012/03/africom-report-combatin...


Traduction : Dominique Muselet pour LGS

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