Le Grand Soir, 31 mars 2012



L’AFRICOM des Etats-Unis et la militarisation du continent africain : Le combat contre l’implantation économique chinoise- 1ère partie
Nile Bowie


Depuis l’époque de l’Empire Britannique et du manifeste de Cecil Rhodes, la chasse aux trésors de ce continent sacrifié a montré le peu de valeur qu’on attache à la vie humaine. Après des décennies d’indifférence de la part des consommateurs de matières premières, l’influence croissante de la propagande des médias sociaux a éveillé l’intérêt du public envers les problèmes sociaux longtemps ignorés de l’Afrique. Suite à des actions médiatiques de célébrités en faveur de l’intervention, l’opinion publique aux Etats-Unis est actuellement favorable à une plus grande présence militaire sur le continent africain. Après le déploiement d’une centaine de membres du personnel militaire de l’armée étasunienne en Ouganda en 2011, une nouvelle loi a été présentée au Congrès appelant à l’expansion des forces militaires régionales pour combattre l’Armée de Résistance du Seigneur, un groupe rebelle malingre soi-disant coupable de recruter des enfants soldats et de perpétrer des crimes contre l’humanité.


Bien que l’administration Obama affirme accueillir de bon coeur l’ascension pacifique de la Chine sur la scène mondiale, le récent tournant politique en faveur d’un Siècle Américain tourné vers le Pacifique (*) montre que les Etats-Unis veulent garder la capacité de contrôler militairement la puissance émergente. En plus du maintien d’une présence militaire permanente au nord de l’Australie, la construction d’une immense base militaire sur l’île coréenne de Jeju prouve leur antagonisme croissant contre Beijing. La base a la capacité d’accueillir 20 navires de guerre étasuniens et sud-coréens, y compris des sous-marins, des porte-avions, et des destroyers une fois qu’elle sera terminée en 2014 — en plus de la présence du bouclier anti-missiles Aegis. Les Chinois ont répondu en qualifiant la militarisation croissante de la région de provocation flagrante.


Sur le front de l’économie, la Chine a été exclue du Traité de Partenariat trans-Pacifique en élaboration ; c’est un accord commercial qui porte sur une réglementation du commerce international en Asie concoctée par les Etats-Unis au bénéfice des firmes étasuniennes. Comme de nouvelles divisions politiques fondamentales émergent suite aux veto chinois et russes contre l’intervention en Syrie au Conseil de Sécurité de l’ONU, l’administration Obama s’est mise à utiliser de nouveaux moyens de pression économique contre Beijing. Les Etats-Unis et le Japon ont demandé à l’Organisation du Commerce International de bloquer les projets d’extraction minière financés par Pékin aux Etats-Unis, une mesure qui s’ajoute au gel du financement des importants projets miniers chinois par la Banque Mondiale.


Afin de contrer l’ascension économique de la Chine, Washington a lancé une croisade contre les restrictions chinoises d’exportations de minéraux qui sont des composants essentiels de produits de consommation électroniques comme les écrans plats, les smart phones, les batteries d’ordinateurs portables et quantités d’autres produits. Dans un livre blanc de 2010, la Commission Européenne parle du besoin urgent de constituer des réserves de tantale, cobalt, niobium, et tungstène entre autres ; le livre blanc du département de l’Energie des Etats-Unis de 2010, "Stratégie pour les minéraux indispensables aux Etats-Unis", a aussi reconnu l’importance stratégique de ces composants clés. Comme par hasard, l’armée étasunienne essaie aujourd’hui d’augmenter sa présence dans le pays qui est considéré comme le plus riche en matières premières, la République Démocratique du Congo.


La RDC a énormément souffert au cours de son histoire du pillage étranger et de l’occupation coloniale ; elle a le deuxième plus bas revenu de PIB par personne malgré ses réserves de minéraux bruts estimées à 2400 milliards de dollars. Pendant les guerres du Congo de 1996 à 2003, les Etats-Unis ont fourni des armes et ont entraîné les milices du Rwanda et de l’Ouganda qui ont ensuite envahi les provinces orientales du Congo pour le compte des Etats-Unis. Les différentes multinationales n’ont pas été les seules à bénéficier du pillage, les régimes de Paul Kagamé au Rwanda et de Yoweri Museveni en Ouganda en ont tiré un immense profit ainsi que des guerres congolaises pour les minéraux comme le cassitérite, wolframite, coltan (dont le niobium et le tantale sont dérivés) et l’or. La RDC détient plus de 30% des réserves mondiales de diamants et 80% du coltan mondial dont la plus grande partie est exportée en Chine pour en faire des poudres et des fils de tantale pour la fabrication électronique.


La transformation économique sans précédent de la Chine ne repose pas seulement sur les marchés des Etats-Unis, de l’Australie et de l’Europe — mais aussi sur l’Afrique en tant que source d’une veste gamme de matières premières. Comme l’influence économique et culturelle chinoise s’étend exponentiellement avec la construction symbolique des nouveaux quartiers généraux de l’Union Africaine d’une valeur de 200 millions de dollars financés uniquement par Beijing, les Etats-Unis en perte de vitesse et ses dirigeants ont exprimé leur mécontentement de voir leur rôle dans la région diminuer. Au cours d’un déplacement diplomatique en Afrique en 2011, la secrétaire d’état étasunienne Hillary Clinton, elle-même, s’est laissée allée à insinuer que la Chine se rendait coupable d’un "nouveau colonialisme" rampant.


A un moment où la Chine détient 1500 milliards de dollars de dette étasunienne, le commentaire de Clinton a la résonance d’une dangereuse provocation. La Chine, qui possède les réserves de devises les plus élevées du monde, commence à proposer des prêts à ses homologues du BRIC en RMB (Renminbi ou Yuan) et l’éventualité d’une résistance des nations émergentes au Projet du Nouveau Siècle Américain (**) semble se préciser. Le succès de l’impérialisme anglo-saxon repose sur sa capacité militaire à soumettre les pays en ligne de mire, et les leaders africains d’aujourd’hui ne sont pas obligés de faire des affaires avec la Chine — bien qu’ils aient sûrement intérêt à le faire. La Chine investit annuellement environ 5,5 milliards de dollars en Afrique dont seulement 29% d’investissements directs dans le secteur minier en 2009 —et plus de la moitié dans les usines locales, la finance et la construction, ce qui est aussi très bénéfique aux Africains— en dépit de ce qu’on rapporte sur la maltraitance au travail.


De plus la Chine a consenti 10 milliards de prêts à des taux préférentiels à l’Afrique entre 2009 et 2012 et opéré des investissements significatifs dans les zones industrielles de pays pauvres en matières premières comme la Zambie et la Tanzanie. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique ; elle importe 1,5 million de tonneaux d’huile d’Afrique par jour, ce qui représente environ 30% du total de ses importations. Pendant les dernières décennies, 750 000 Chinois se sont installés en Afrique et des centre culturels financés par l’état chinois ont été créés dans les campagnes pour enseigner le Mandarin et le Cantonais. Selon les prévisions, la Chine sera la plus grande économie mondiale en 2016 et le récent projet de création d’une banque des BRIC pourrait restructurer la scène financière internationale et représenter une menace pour l’hégémonie du Fond Monétaire International sur les économies émergentes stratégiques d’Afrique.


L’implication économique de la Chine en Afrique s’accroît, et son rôle crucial dans le développement du secteur des minéraux, de l’industrie des télécommunications et des projets d’infrastructures indispensables, commence à susciter "beaucoup de nervosité" en Occident selon David Shinn, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis au Burkina Faso et en Ethiopie. Dans un livre blanc du Département de la Défense de 2011 intitulé "Les développements militaires et sécuritaires en relation avec le peuple de la république chinoise", les Etats-Unis reconnaissent que la technologie militaire et informatique chinoise est arrivée à maturité et qu’on peut s’attendre à ce que Beijing soit hostile à l’élargissement de l’alliance militaire des Etats-Unis avec Taiwan. Le document indique aussi que "L’ascension de la Chine sur la scène internationale sera un élément déterminant du paysage stratégique du début du 21ième siècle". De plus, le département de la Défense admet ne pas savoir comment la croissance de la Chine affectera la scène internationale.


Bien que la présence militaire des Etats-Unis en Afrique, (sous le prétexte de combattre le terrorisme et de protéger les Droits Humain) pour contrecarrer spécifiquement l’autorité économique de la Chine dans la région, ne soit pas à même de susciter les mêmes inquiétudes que la présence étasunienne en Corée du Nord ou à Taiwan, elle pourrait engendrer des tensions. La Chine a la plus grande armée du monde (2 285 000 personnes) et se prépare à défier l’hégémonie militaire sur la région du "Siècle Américain dans le Pacifique" avec ses capacités navales et conventionnelles, et en développant entre autres le premier missile balistique anti-navire. De plus la Chine a commencé à tester des systèmes de pointe anti-satellite (ASAT) et anti-missile balistique (ABM) afin d’amener la rivalité étasuno-chinoise sur le terrain de la Guerre Spatiale.


La raison invoquée par les Etats-Unis, à savoir désarmer l’Armée de Résistance du Seigneur (ARS), pour intervenir en République Démocratique du Congo, dans le Sud du Soudan, en République Centrafricaine et en Ouganda est une escroquerie. La ARS opère depuis plus de deux décennies mais demeure extrêmement faible et ne comporte que 400 soldats. Selon le site LRA Crisis Tracker (
http://www.lracrisistracker.com/) lancé par le groupe des Enfants Invisibles pour documenter la crise sur le terrain, la ARS n’a pas fait une seule action en Ouganda depuis 2006. La vaste majorité des attaques répertoriées ont actuellement lieu dans la région de Bangadi au nord-est de la République Démocratique du Congo, au pied d’une bande de terre qui a trois frontières entre la République Centrafricaine et le Soudan du Sud.


L’existence de l’Armée de Résistance du Seigneur doit être sérieusement remise en cause car les cas d’activité de l’ARS rapportés par le groupe des Enfants Invisibles soutenu par le Département d’Etat étasunien reposent sur des témoignages non vérifiés — il s’agit plutôt de présomptions et de soupçons que de certitudes. Etant donné l’extrême instabilité qui règne au nord de la RDC après des décennies d’invasion étrangère et d’innombrables insurrections rebelles, le pays n’a pas les moyens de mener une enquête qui permettrait de confirmer la présence de l’ARS. Joseph Kony mérite peut-être d’être traité en scélérat mais on ne dira jamais assez que la menace que représente l’ARS a été complètement déformée dans les derniers textes de lois étasuniens en faveur de l’intervention. L’augmentation de la présence étasunienne dans la région a pour but de contrecarrer l’expansion de la présence économique de la Chine dans un des secteurs les plus riches en minéraux et autres ressources.


L’Armée de Résistance du Seigneur a été créée en 1987, au nord-ouest de l’Ouganda, par des membres du groupe ethnique Acholi autrefois exploité par les colons britanniques pour du travail forcé et marginalisé après l’indépendance par le groupe national dominant des Bantous. L’Armée de Résistance du Seigneur avait au départ pour but de renverser le gouvernement du Président Ougandais actuel, Yoweri Museveni - -à cause d’une campagne de génocide menée contre le peuple Acholi. Les groupes Acholi et Langi du nord de l’Ouganda ont été historiquement maltraités et ostracisés par les administrations successives soutenues par les Anglo-Américains. En 1971, les agences de renseignement israéliennes et britanniques ont fomenté un coup d’état contre le président socialiste Milton Obote, qui a conduit au désastreux régime de Idi Amin.


Avant de déposer Obote et de se déclarer chef de l’état, Amin était un membre du régiment colonial britannique chargé d’administrer des camps de concentration au Kenya pendant la révolte Mau Mau qui s’est déclenchée en 1952. Amin a massacré le peuple Acholi parce qu’il le soupçonnait d’être loyal à l’ancien président Obote qui est d’ailleurs revenu au pouvoir en 1979, après qu’Amin ait essayé d’annexer la province de Kagera de la Tanzanie voisine. Museveni a fondé le Front du Salut National qui a contribué à renverser Obote avec le soutien étasunien en 1986, en dépit du fait que son armée utilisait des enfants soldats. Museveni a d’abord pris le pouvoir puis il a été accusé de génocide parce qu’il avait enfermé le peuple Acholi dans des camps pour s’approprier la terre fertile du nord de l’Ouganda.


Le régime de Museveni a déplacé environ 1,5 million d’Acholis et tué au moins 300 000 personnes en prenant le pouvoir en 1986 selon la Croix Rouge. En plus d’être accusé d’utiliser le viol comme arme de guerre et d’avoir laissé mourir des milliers de personnes dans des camps d’internements insalubres, Museveni a été accusé de terrorisme d’état à l’encontre du peuple Acholi dans un rapport d’Amnisty International de 1992. Au cours d’une interview en 2006, Joseph Kony a nié avoir mutilé et torturé qui que ce soit et a, au contraire, accusé les forces de Museveni d’avoir commis de tels actes pour s’en servir comme propagande contre l’Armée de la Résistance du Seigneur.


Dans un rapport détaillé sur les atrocités commises par Museveni, l’écrivain ougandais, Herrn Edward Mulindwa écrit : "En 22 années de guerre, l’armée de Museveni a tué, estropié et mutilé des milliers de civils tout en accusant les rebelles de ces crimes. Dans le nord de l’Ouganda, au lieu de défendre et de protéger les civils contre les rebelles, les soldats de Museveni estropiaient, mutilaient et commettaient les pires atrocités en se faisant passer pour des rebelles, puis revenaient et prétendaient que les gens leur devaient leur salut." Malgré tant de preuves de brutalité, Museveni est un fidèle allié des Etats-Unis depuis l’administration Reagan et il a reçu 45 millions de dollars en aide militaire de la part de l’administration Obama pour la participation de l’Ouganda dans la guerre contre la milice somalienne al Shabaab. Depuis le terrible échec de l’intervention étasunienne de 1993 en Somalie, les Etats-Unis y défendent leurs intérêts par l’intermédiaire des armées du Rwanda, de l’Ouganda et de l’Ethiopie.



Note :

* http://euro-synergies.hautetfort.com/tag/oc%C3%A9an%20pacifi...


**
http://onegus.blogspot.fr/2007/07/pnac-mein-kempf-neoconserv...

 

2ème partie

 

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