Cf2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement), 9 août 2016
 
Daech est loin d'être vaincu !
Alain Rodier 
 
De nombreux communiqués de victoires sur le groupe Etat islamique sont régulièrement diffusés par les porte-paroles américains, irakiens, syriens et libyens. Les derniers en date concernent la libération de la ville de Falloudja, située à l'ouest de Bagdad, l'encerclement de Manbij, en Syrie du Nord, et la libération progressive de Syrte, en Libye. Si l'on en croit les déclarations officielles, Raqqa et Mossoul devraient également être reconquises dans les mois à venir, le président irakien prédisant même la victoire totale sur Daech en 2017 !
 
 
La presse relaie également cette propagande. Ainsi, le 31 juillet, il était annoncé que « des responsables de Daech et leur familles ont fuit Mossoul », précisant « ils ont vendu leur maison » sans se rendre compte que les chefs de Daech n'ont pas besoin d'acheter leur domicile et que, si tel était le cas, ils auraient bien du mal à le revendre faute d'acheteurs.
 
Par ailleurs, les productions médiatiques de l'Etat islamique sont analysées à la recherche d'un changement de ton qui indiquerait un début de découragement. Enfin, les estimations les plus fantaisistes concernant le terrain « perdu » par Daech circulent, cartes à l'appui. Or, il s'agit la plupart du temps de zones désertiques qui n'étaient vraiment contrôlées par personne. Cette propagande participe à la guerre psychologique menée contre Daech. Elle a pour but de démoraliser l'adversaire, de galvaniser les troupes luttant contre l'organisation terroriste, tout en convainquant les populations locales et internationales que le « vent de victoire » a enfin changé de camp.
 
Pour tenter de faire la part du vrai et du faux, il convient d'analyser la situation telle qu'elle est vue par les deux camps. Il est par exemple intéressant de voir certains officiers irakiens affichant un embonpoint assez curieux pour des militaires présentés comme "surentraînés" par des instructeurs étrangers, ainsi que d'observer les nombreuses vidéos de tirs d'appui (artillerie, chars, mortiers, canons mitrailleurs, etc.). La question qui se pose est : sur quoi les Irakiens tirent-ils ? En effet, il est extrêmement rare qu'un assaut suive ces matraquages et qu'il permette de montrer ce que sont les pertes réelles de l'adversaire. Il est par contre vrai qu'une vidéo a montré une importante colonne de véhicules fuyant Falloudja frappée par l'aviation irakienne, fin juin[1].
 
Par contre, les films produits par les rebelles sont beaucoup plus parlants, même s'il faut les examiner avec toutes les précautions d'usage. En Syrie, ils montrent des combats rapprochés mettant en oeuvre des blindés, des véhicules lourds et légers, des armements de toute nature, tout cela en plein jour malgré la menace aérienne. Et l'organisation n'hésite pas à montrer les pertes ennemies, voire parfois, un peu les siennes.
 
Daech a le souci de ses effectifs et ne les engage qu'au minimum dans des combats défensifs frontaux. Très manoeuvrant, il n'hésite pas à abandonner du terrain si la balance des forces lui est défavorable et si la position n'est pas jugée comme importante tactiquement ou symboliquement. En Irak, il semble que l'organisation terroriste ne mène plus d'attaques d'envergure, s'étant résigné à conduire une guerre asymétrique engageant moins d'hommes et de matériels.
 
Sa stratégie peut s'apparenter à l'opposition que les troupes napoléoniennes ont rencontré en Espagne (1810) ou les Allemands en URSS (1941) : recul face à des troupes supérieures en nombre, tout en ralentissant la progression ennemie par des tireurs embusqués et pièges laissés sur le terrain, suivi du harcèlement des lignes logistiques adverses qui s'étendent démesurément. Cette guerre d'usure est ponctuée de puissantes contre-attaques - comme dans la région de Homs cet été - qui démoralisent l'adversaire.
 
En dehors du fanatisme de ses combattants - particulièrement de ses troupes de choc, les Inghimasiyyin - les spécificités tactiques de Daech sont l'emploi généralisé de véhicules-suicide lancés par des kamikazes sur les positions ennemies, les actions terroristes sur les arrières, l'assassinat systématique des prisonniers et l'utilisation des populations comme boucliers humains. Et sur les deux fronts syrien et irakien, Daech fait un usage intense de missiles antichars souvent employés en simple arme d'appui. Aussi la question centrale qui se pose est : où l'organisation a-t-elle obtenu ces armes et leurs nombreuses munitions, puisque théoriquement, plus personne ne la soutient depuis l'extérieur ?
 
Ces succès qui n'en sont pas vraiment...
 
Sur le front syrien, la ville de Palmyre a été évacuée en mars 2016 par Daech, quasiment sans combats, mais l'organisation s'est ensuite attaqué à la base aérienne de Shayrat, située entre Homs et Palmyre[2], mi-mai, puis aux lignes logistiques à l'ouest de la ville. La garnison russo-syrienne implantée à Palmyre se retrouve en position difficile et surtout, incapable de pousser vers l'est , le long de l'autoroute M-20, à travers le désert syrien.
 
A Deir ez-Zor - le « petit Dien Bien Phu » syrien - la garnison commandée par le général druze Issam Zahreddine - composée de la 104e brigade de la Garde républicaine, de la 137e brigade mécanisée, de milices, de membres du Hezbollah libanais et de la tribu sunnite Shaitat[3] est soumise depuis des mois à une intense pression de la part de Daech qui est aux portes de la base aérienne. Si cette dernière tombe, il lui sera difficile de résister encore longtemps et il est facile d'imaginer le sort réservé aux défenseurs. Début juillet, des civils fidèles au régime étaient en cours d'évacuation par hélicoptères, ce qui laissait mal augurer de la suite.
 
L'offensive lancée le 3 juin vers Raqqa par la 555e brigade d'infanterie de la 4e division mécanisée et diverses milices - dont Liwaa Suqour Al-Sahra (Les Faucons du désert) - depuis Hama s'est heurtée à une contre-attaque menée depuis la base aérienne de Tabqa sur l'Euphrate, au sud du lac Assad, laquelle était l'un objectifd de Damas. La propagande officielle tait le fait que nombre d'unités se sont débandées piteusement et que Daech en a profité pour repousser les attaquants au-delà de leurs positions de départ et lancer une offensive vers le sud d'Alep, afin de tenter de couper les lignes de communication de la garnison locale.
 
Après des succès importants qui ont suivi l'intervention aérienne russe à l'automne 2015, les forces syriennes se retrouvent empêtrées dans des combats de rues à Alep. Si elles sont parvenues à assiéger les quartiers est de la ville tenus par les rebelles, elles sont elles-mêmes menacées d'un encerclement plus vaste. En effet, elles ne sont ravitaillées depuis Hama que par un étroit couloir passant du nord au sud par Khanaser, Ithriya, Sheikh Hilal et As San. A plusieurs reprises, les forces de Daech, parfois en liaison avec Jund Al-Aqsa et le Harakat Ahrar Al-Sham, sont parvenues à couper cet axe soit au niveau de Khanaser, soit à celui de Sheikh Hilal, à une soixantaine de kilomètres à l'est de Hama. De son côté, la coalition Jaysh al-Fateh en liaison avec le Front Fateh al-Cham (ex-Front al-Nosra), le Ahrar al-Cham, le Jaïch al-Sunna, le Faïlak al Cham et le Parti islamique du Turkestan (PIT) gagnent du terrain au sud d'Alep, dans le quartier de Ramoussa ou l'école d'artillerie serait tombée le 6 août. La base aérienne de Kuweires, située à l'est d'Alep, qui avait été reprise en novembre 2015 sur Daech, est de nouveau menacée.
 
Les forces syriennes auraient reçu en mars le renfort d'éléments de la 65e brigade aéroportée des forces spéciales iraniennes (Nohed). C'est la première fois qu'une unité de l'armée régulière iranienne est engagée en Syrie, seuls les pasdarans étant intervenus jusqu'à présent. A noter que les pertes au sein des unités étrangères (Iraniens, Irakiens, Afghans, Pakistanais, Hezbollah libanais) sont sévères.
 
Du côté des rebelles, s'il y a une certaine unité d'action au sud d'Alep, ce n'est pas le cas au nord où ils se disputent l'accès à la frontière turque, notamment par le corridor d'Azaz tout en maintenant la pression exercées par les forces kurdes du PYD[4] en provenance d'Afrin, à l'ouest.
 
Au nord-est, l'attaque par les Forces démocratiques syriennes (FDS[5]) a permis l'encerclement de la ville de Manbij tourne au cauchemar pour les assaillants soumis à de violentes contre-attaques de Daech. Cela dit, ce carrefour logistique est solidement encerclé et il n'y a plus d'intérêt majeur à le défendre pour l'instant.
 
Enfin, la brigade des martyrs de Yarmouk, qui dépend de Daech, aurait renforcé ses positions au sud-ouest de la province de Deraa (jouxtant la partie du Golan contrôlé par Israël) en en chassant les rebelles du Front Al-Nosra et d'Ahrar Al-Sham.
 
Sur le front irakien, la bataille de reconquête de Falloudja qui devait être réglée en quelques jours tant la disproportion des forces était grande a été conclue le 26 juin 2016 après plusieurs semaines de manoeuvres. Pour Daech, peu importe que des bâtiments, même gouvernementaux, tombent aux mains de ses adversaires dans la mesure où ils ne pourront être réutilisés rapidement car en grande partie détruits par les bombardements.
 
Concernant Mossoul, les déclarations guerrières des uns (le régime en place à Bagdad) et des autres (les Peshmergas) sont à prendre avec la plus grande circonspection. Si les uns et les autres se livrent à des effets de manches, personne n'a l'intention d'y aller sachant que Daech a préparé la bataille de rues dans cette localité de deux millions d'âmes. Si la comparaison avec Stalingrad est inappropriée, celle de Beyrouth des années 1980 semble bien adaptée. Par ailleurs, de manière à monopoliser une partie des forces irakiennes, Daech se livre à une intense campagne terroriste qui a connu un point culminant à Bagdad, le 2 juillet, avec la mort de plus de 300 chiites.
 
Les effets de l'engagement russe
 
Depuis quelques temps, Moscou se fait plus disert dans ses déclarations préférant agir que discourir. Toutefois, le bilan des forces russes en Syrie reste mitigé. Les bombardements sont souvent imprécis car les munitions air-sol guidées sont rares et provoquent d'importants dommages collatéraux qui alimentent la vindicte des populations sunnites contre le régime de Damas, les confortant dans les rangs des rebelles. Les aéronefs russes et syriens n'ont pas la capacité d'assurer la couverture permanente du territoire, ce qui permet aux rebelles d'engager des armements lourds. La coordination des forces entre Syriens, Russes, Iraniens, Hezbollah libanais et autres milices chiites et Russes laisse tellement à désirer que le ministre de la Défense, le général d'armée Sergey Choïgou, a dû effectuer en juin un déplacement à Damas puis à Téhéran pour réclamer une « haute coordination dans la guerre contre les terroristes takfiris en Syrie ». Depuis juillet, les forces russes déployées en Syrie - à Hmeimim, à Tartous et sur les bases aériennes de Palmyre et d'Al-Shayrat, dans la province de Homs - sont commandées par le général Alexander Zhuravlev[6]. Il a remplacé le général Alexander Dvornikov, promu à un plus haut poste opérationnel en Russie[7].
 
Plus discrets, les conseillers militaires et les Spetsnaz russes accompagnent au sol les forces syriennes. Leur mission est l'instruction de l'armée de Damas au maniement des derniers matériels livrés (chars T90, lance-roquettes multiples à munitions thermobariques TOS-1, etc.), mais aussi le guidage des tirs air-sol. A l'instar de leurs homologues occidentaux, les Russes se rendent compte que les personnels locaux ont du mal à se former au maniement de matériels modernes. C'est pour cette raison que ces équipements se retrouvent transférés, en Syrie, dans les mains plus expertes des hezbollahis et des pasdarans iraniens.
 
Sur le plan des personnels, le ministère de la Défense russe a commandé en mars 10 300 médailles[8] ce qui donne une idée du nombre de militaires qui ont été engagés en Syrie depuis le 30 septembre 2015. Il a aussi déclaré que 25 000 militaires pourraient bénéficier du statu de « vétéran », lequel ouvre de nombreux droits en Russie. Comme d'habitude, le Kremlin ne communique pas sur ses pertes exactes mais n'hésite pas à mettre en avant quelques héros tombés au champ d'honneur, comme le lieutenant Alexander Prokhorenko tué en mars 2016 durant la reconquête de Palmyre. Plutôt que d'être pris vivant par Daech, cet officier spetsnaz aurait désigné sa propre position aux frappes aériennes russes qu'il était chargé de guider. Un hélicoptère Mi-8 a par ailleurs été abattu au dessus de la province d'Idlib, le 1er août, tuant ses cinq occupants dont une pilote femme. Moscou a affirmé que l'appareil - équipés de pods de roquettes - rentrait à la base d'Hmeimim après une « opération humanitaire » à Alep... Les rebelles de la coalition Jaish al-Fateh (l'armée de la conquête) qui ont revendiqué cette action ont regretté ne pas avoir pris l'équipage vivant, surtout la femme-pilote...
 
L'engagement russe est également à l'origine du durcissement des relations entre Moscou et Washington. Ainsi, John Kerry, a formulé des menaces à peine voilées à l'encontre du Kremlin : « la Russie doit comprendre que notre patience n'est pas infinie. En fait, elle est très limitée au sujet de oui ou non Assad va être jugé responsable de ses actes ». Ce à quoi le ministre de la Défense Russe Serguaï Choïgou a répondu « nos partenaires US ne sont toujours pas décidés à nous dire où sont les forces d'opposition et où sont les renégats des organisations terroristes internationales. (...) Comme résultat, les terroristes en Syrie se regroupent activement et les tensions s'étendent de nouveau. Cela ne peut continuer ainsi indéfiniment ». Il a ajouté d'ajouter que son ministère à fourni aux Américains une liste des ses cibles terroristes pour les trois mois à venir. La position officielle de Moscou est claire : la résolution du problème syrien passe par le rétablissement de la paix et de l'ordre sous l'égide de Bachar el-Assad. Ensuite, seulement, des élections pourront se tenir et Bachar partir... éventuellement.
 
Face à la volonté de neocons américains - et de certains Européens - de frapper le régime de Damas, le président Poutine a été limpide : « toute attaque militaire contre la Syrie sera considérée comme un acte d'agression contre le pays », sous-entendant qu'il existait un accord de défense entre Moscou et Damas. D'ailleurs, il faut savoir que, la partie de la base aérienne de Hmeimim (Lattaquié) utilisée par les Russes est bornée de poteaux frontaliers russes. Tout bombardement dirigé contre cette base pourrait alors être considéré comme une agression directe contre le territoire russe, avec les risques incontrôlables d'escalade que cela implique.
 
Toutefois, à l'été 2016, un accord américano-russe aurait été discuté secrètement. Il prévoirait une coopération dans la lutte contre le Front al-Nosra, lequel a officiellement rompu ses liens avec Al-Qaïda le 28 juillet et a changé de dénomination pour devenir le Fatah el-Sham (La Conquête du Levant). Cette manœuvre grossière ne lui permettra pas d'éviter les foudres de Washington, car l'élimination de ce groupe s'inscrit dans le cadre de sa politique globale de lutte contre le terrorisme islamique ; l'objectif est d'éviter que ce mouvement ne vienne combler le vide laissé par Daech une fois que ce dernier sera vaincu militairement. Mais le problème est lié au fait que le Front al-Nosra et les groupes rebelles « modérés » présents dans l'ouest de la Syrie - et soutenus par l'Occident - sont étroitement mêlés. Washington aurait donc obtenu de Moscou la permission de créer une « zone protégée » dans le sud-est de la Syrie, à la frontière jordanienne. Il est difficile de prévoir quelles seront les suites de cet accord et même s'il sera respecté après la mise en place d'une nouvelle administration américaine en 2017. Les deux candidats en lice ne semblent pas partager la mansuétude du président Obama vis-à-vis de la Russie ni surtout à l'égard de Bachar el-Assad. Il convient de rappeler qu'Hillary Clinton fait partie des neocon et reste une partisane convaincue de la manière forte.
 
Sur le terrain, les états-majors russe et américain communiquent pour éviter tout incident. Il est vrai que la situation a failli dégénérer à plusieurs reprises. Mi-juin, deux F/A-18 américains se sont retrouvés au contact de deux Su-34 a proximité de la frontière jordanienne. L'incident a été évité de peu. Puis des bombardiers russes ont pris pour cible un camp de la Jaych Suriya al-Jadid (Nouvelle armée syrienne) à proximité de la frontière jordanienne en juillet 2016. Des membres des forces spéciales américaines et britanniques qui entraînent ce mouvement créé fin 2015 venaient  juste de quitter les lieux. Signe plus positif, quelques jours plus tard, des chasseurs américains ont détruit un véhicule suicide de Daech en pointe d'un assaut mené par Daech contre la garnison gouvernementale de Deir ez-Zor. Les Russes ne pouvaient intervenir, n'ayant pas d'appareil sur zone à ce moment là, les forces légalistes syriennes ont du leur salut à une intervention américaine !
 
Les wilayas extérieures de Daech
 
Si Daech se targue d'avoir établi un « Etat » situé à cheval sur une partie de la Syrie et de l'Irak, il a aussi développé des wilayas (provinces) ailleurs dans le monde. Elles font partie du « califat » dont Abou Bakr Al-Baghdadi est le chef religieux, politique et militaire. C'est une des différences fondamentales avec Al-Qaida « canal historique » dont les chefs successifs (Ben Laden puis Al-Zawahiri) ont reconnu comme autorité morale et religieuse l'émir des taliban afghans.
 
Toutes ces provinces extérieures sont des « terres de conquête », Daech acceptant l'allégeance de groupes islamiques locaux attirés par la dynamique de victoires de l'organisation, malgré les « succès » rencontrés par ses adversaire au Moyen-Orient. A de rares exceptions près, ces wilayas ne gèrent pas les populations locales comme c'est le cas sur le théâtre syro-irakien[9]. De plus ces provinces ne reçoivent pas - pour le moment - de renforts importants provenant de cette zone, tout au plus quelques personnels d'encadrement). En effet, Daech appelle les volontaires étrangers à le rejoindre en Syrie ou en Irak, car il a besoin de compléter ses effectifs pour y continuer la guerre jugée comme centrale. Si ces volontaires ne peuvent pas effectuer rejoindre le califat, ils sont alors encouragés à rejoindre le wilayas extérieures ou, dernière possibilité, à conduire des actions terroristes là où ils se trouvent.
 
Les wilayas extérieures sont nombreuses mais d'importance inégale. Celle du Sinaï[10] bâtie autour de l'ex-mouvement Ansar Bayt Al-Maqdis (Les partisans de Jérusalem) est forte de plus d'un millier d'activistes dont le rêve suprême est d'attaquer un jour Israël[11]. Le 4 août, l'armée égyptienne a annoncé avoir tué son chef, Abou Douaa al-Ansari et une quarantaine de ses hommes. Si cela est confirmé, ce serait un coup important porté à cette branche de Daech.
 
La wilaya Khorasan, regroupant l'Afghanistan, le Pakistan et le Bangladesh, est farouchement combattue à la fois par les autorités locales, Al-Qaida « canal historique[12] » et les taliban. Cela n'a pas empêché des terroristes se revendiquant de Daech de mener des attentats meurtriers à Kaboul et à Dacca fin juin-début juillet.
 
En Extrême-orient, le groupe Abou Sayyaf (ou Haraka al-Islmaiya, Mouvement islamique des Philippines) est revenu sur le devant de la scène en juin 2016 en assassinant deux otages canadiens, John Ridsdel en avril et Robert Hall.
 
Son chef Isnilon Hapilon - alias Abou Abdallah al-Filippini - a étendu la lutte aux pays voisins où il coopérerait avec une partie du Jemaah Islamiyah[13] (JI) et le Darul al-Islam, en Indonésie. D'autres groupes comme le Katibah Nusantara, la brigade Abou Abu Dujana Brigade, le Jund Allah et les groupes Abi Khabib et Abi Sadr ont aussi prêté allégeance à l'Etat islamique En conséquence, pour la première fois en juin 2016, Daech a publié une brochure en malais, Al-Fathihin, à destination des habitants de la région. Il semble que l'Extrême-Orient soit en train de devenir une terre de djihad prioritaire pour Daech qui aurait même tenté de lancer cet été des opérations terroristes à Singapour.
 
La wilaya du Caucase est en opposition directe avec Al-Qaida « canal historique » connu sur zone comme le « califat du Caucase ». Daech y demande à ses « djihadistes solitaires » de passer à l'action terroriste en Russie.
 
Au Nigeria et dans la région du lac Tchad, Boko Haram - devenue la wilaya pour l'Afrique de l'Ouest - résiste à la pression des forces de sécurité de la région qui se sont enfin décidées à agir de conserve. Par contre, une guerre des chefs a lieu cet été au sein du groupe djihadiste nigérian, Abubakar Shekau ne semblant plus rencontrer les faveurs d'Abou Bakr al Baghdadi qui lui préférerait le porte-parole du mouvement, Abou Moussab al-Barnaoui. Il faut dire que Shekau était très éloigné de la ligne idéologique prônée par Daech mélangeant allégrement islamisme radical à syncrétisme forcené.
 
En Afrique de l'Est, le Jabha East Africa (Le Front de l'Afrique de l'Est) serait une dissidence des Shebabs somaliens. Ces derniers sont accusés par Daech être une « prison psychologique et physique » pour les jeunes Somaliens. Abdiqadir Mumin, un ancien émir des shebabs qui a rejoint l'Etat islamique aurait trouvé refuge au Puntland avec quelques dizaines de militants. Il y aurait établi le premier camp d'entraînement de Daech en Somalie[14].
 
Par contre, Daech ne mentionne pas le Jund al-Khalifa en Algérie, qui a assassiné Hervé Gourdel en septembre 2014. Les autorités algériennes ont fait ce qu'il faut pour éradiquer ce groupuscule.
 
L'organisation semble également vouloir développer ses activités en Arabie saoudite, en appelant au meurtre des religieux et des membres des forces de sécurité du royaume. Riyad a réagi énergiquement, à son habitude, en  arrêtant plus de 1 600 suspects en un an, empêchant la réalisation de nombreux attentat dont l'un aux abords du consulat américain de Jeddah, le 4 juillet.
 
Enfin, Daech profite du chaos ambiant pour s'implanter solidement au Yémen. Il y combat les rebelles chiites houthis, le gouvernement légal du président Abd Rabbo Mansour Hadi, les Saoudiens et les membres de la coalition qu'ils ont créé pour lutter contre les houthis et Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA).
 
En Libye, l'Etat islamique a institué trois wilayas : Barqa[15], Tripolitaine et Fezzan. Mais Daech a du mal à y désigner un ennemi précis, ce pays n'ayant pas, à la différence du Moyen-Orient, des chiites ou des Kurdes à se mettre sous la dent. Il a donc plus de difficultés à emporter l'adhésion populaire qui est indispensable pour que ses 5 000 à 6 000 combattants trouvent aide et soutien. Toutefois fin 2015/début 2016, l'organisation est parvenue à s'emparer de Syrte, puis de 250 kilomètres de côtes. Cela a été jugé inacceptable par les milices de Misrata - liées aux Frères musulmans -, qui considèrent que Daech représente désormais une menace pour elles. Même chose à l'ouest, où les hommes de la Petroleum Facilities Guard (PFG) craignent la conquête des gisements d'hydrocarbures par Daech. Ces deux entités ont donc décidé de contre-attaquer, le Gouvernement d'union nationale, soutenu par la communauté internationale, a pris le train en marche en prétendant chapeauter les opérations. A l'ouest de Syrte, un état-major conjoint nommé « Chambre de coordination » gère l'offensive Al-Bunyan Al-Marsus (Mur impénétrable). Elle serait dirigée en sous-main par le commandant militaire de Tripoli, Abdelhakim Belhadj. Fin juin, après de nombreux communiqués de victoire, il semble que la situation se soit stabilisée, Daech parvenant à bloquer l'avance de ses adversaires dont le nombre est estimé à 4 000 combattants et, même, à mener de vigoureuses contre-offensives. Au centre, Ibrahim Jadhrane, le responsable des PFG - et également chef de ce que l'on qualifie de « fédéralistes » - mène une offensive en partenariat avec les combattants des tribus Awlad Suleiman. Ses forces seraient parvenues à 50 kilomètres de Syrte.
 
Ces wilayas extérieures représentent un réel danger d'exportation du terrorisme - cf. La Tunisie frappée à plusieurs reprises depuis la Libye voisine -, elles ne semblent pas être en mesure, du moins pour l'instant, à déclencher des actions de guérilla généralisées, à l'exception de la région de Syrte, du nord-est du Sinaï et du nord-est du Nigeria.
 
En général, Daech a des difficultés à progresser là où Al-Qaida « canal historique » est solidement implanté : Sahel, Somalie, Yémen, zone afghano-pakistanaise, Caucase, etc. Pourtant, l'idéologie salafiste-djihadiste de l'Etat islamique est presque la même que celle d'Al-Qaida « canal historique ». C'est sur la méthode que les deux mouvements divergent. En particulier, si la volonté de création d'un califat mondial est identique, Daech a voulu en poser les bases dès sa fondation en 2014. Al-Qaida « canal historique », échaudé par l'effondrement du califat d'Afghanistan en 2001, après l'intervention américaine, prône une guerre asymétrique plus diffuse.
 
Ce clivage se retrouve même dans les actions terroristes ponctuelles. Par exemple, si Daech a revendiqué la tuerie du 12 juin dans une boîte de nuit gay d'Orlando, Al-Qaida « canal historique », via AQMI, en a félicité le tireur. AQMI en profite pour donner ses conseils pour les actions futures de type "djihad solitaire[16]".
 
Si les deux organisations terroristes appellent les membres de l'oumma (la communauté des croyants) à passer à l'action, Al-Qaida demande de bien cibler les objectifs en évitant les minorités qui détournent l'attention générale du « vrai message » que porte leur action : la défense de l'islam. Tout civil qui élit, « supporte et paye des impôts à un gouvernement criminel (particulièrement américain) maltraitant l'oumma » est considéré comme un « civil combattant » qu'il est légitime de frapper. Les deux derniers numéros d'Inspire  expliquent d'ailleurs comment se livrer à des assassinats ciblés, y compris à leur domicile[17].
 
Conclusions
 
Si l'on en croit les estimations, l'Etat islamique aurait été déjà été détruit puisque les chiffres de ses pertes avancés par la coalition antiterroriste dépassent largement ses effectifs. Par exemple, la CIA affirmait en juin 2016 que le nombre de combattants de Daech présents sur le front syro-irakien était de 22 000 à 28 000, alors qu'au début de l'année, il était estimé à 35 000. Il convient donc de reconnaître que toutes ces évaluations chiffrées sont sujettes à caution.
 
La guerre contre Daech va perdurer pendant de longues années. En Syrie, les batailles d'Alep et de Manbij s'éternisent au rythme des contre-attaques lancées par les rebelles dont Daech. Même si des victoires sont remportées contre l'organisation terroriste, celle-ci est capable de se régénérer car son combat s'inscrit dans la longue durée. Il convient tout de même de relever le fait que Daech se comporte un peu comme le régime nazi sur sa fin. Il voit partout des traîtres et des lâches qu'il exécute publiquement pour l'exemple. Subsister par la terreur exercée dans ses propres rangs n'est pas un signal positif pour l'avenir de l'organisation.
 
 
Notes:
 
    [1] Toutefois, il ne s'agissait vraisemblablement pas que de combattants.
    [2] La base aérienne de Shayrat, située  entre Homs et Palmyre, a été attaquée à plusieurs reprises. Les Russes démentent la perte, mi-mai, de quatre MI-24, d'un Mi-8, d'un Su-25 et d'une dizaine de camions de ravitaillement.
    [3] Elle haït Daech qui a massacré 900 de ses membres depuis 2014.
    [4] Unités de protection du peuple kurde bras armé du Parti de l'Union démocratique (PYD), proche du PKK.
    [5] Composée de l'YPG kurde, du Jaysh al-Thuwar, des forces Al-Sanadid, de la brigade des groupes d'Al-Jazira et de l'état-major Bourkan al-Firat.
    [6] Diplômé en 1996 de l'Académie militaire des troupes blindées.
    [7] Le commandement du district militaire Sud : en plus de coiffer les opérations en Syrie, il a en charge la gestion de la situation militaire dans le Caucase et en mer Noire.
    [8] Pour un coût de 2,2 millions de roubles, soit 30 600 euros.
    [9] Là sont établies 18 provinces placées sous l'autorité de gouverneurs qui sont dotés d'une très large autonomie. Ils bénéficient de différents bureaux qui assurent l'administration de la province : enseignement, santé, agriculture, finances, biens fonciers, affaires tribales, circulation, travail, police, justice, etc.
    [10] Il reçoit un appui du Jaych al-Islam, installé dans la bande de Gaza. Il semble qu'il y ait une liaison logistique entre la Libye, le Sinaï et la bande de Gaza.
    [11] En dehors des actions de guérilla menées dans le nord-est du Sinaï, la wilaya Sinaï mène de nombreuses actions terroristes dans toute la région. La plus célèbre fut celle du 31 octobre 2015 contre l'avion commercial russe Metrojet 9268, qui a fait 224 victimes.
    [12] Il a créé en 2015 un nouveau commandement pour couvrir la zone : Al-Qaida pour le sous-continent Indien.
    [13] Abou Bakar Bachir, son leader spirituel, vient d'être transféré sur l'île prison de Nusakambangan. En effet, il bénéficiait d'une grande liberté d'action dans son dernier lieu de détention, parvenant à faire passer des messages audio et vidéo à l'extérieur !
    [14] Le camp Abou Numan du nom d'un martyr tué par les shebabs.
    [15] Cyrénaïque.
    [16] Formulation nouvelle et un peu différente du « loup solitaire », donnant la motivation de l'agresseur : la guerre sainte (djihad).
    [17] N°14 en septembre 2015 et n°15 en mai 2016. Il est possible que Larossi Aballa, le meurtrier du couple de policiers à Magnanville, le 13 juin, ait lu le n°15 de cette publication, même si elle est éditée par AQMI et non par Daech, dont il s'est revendiqué.
 
 
 
 
 

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