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Hebdo Al-Ahram, juin 2010


Blocus de Gaza. C’est sous la pression internationale qu’Israël s’est résolu à desserrer l’étau imposé depuis quatre ans. Il autorise désormais les biens à usage civil, mais interdit dans les faits la plupart des produits

Un relâchement de pure forme
C’est pour retoucher un visage si laid, fait de blocus illégal et d’attaques militaires contre des humanitaires, qu’Israël a été obligé de lâcher du lest. La coriandre, le cumin, les matelas et serviettes qui étaient bannis d’accès à Gaza depuis 4 ans, pour « protéger la sécurité d’Israël », seront désormais accessibles aux Palestiniens de cette bande encerclée de tous les côtés, y compris mer et air. Selon les médias israéliens, les nouvelles règles devraient prévoir l’établissement d’une « liste noire » d’environ 120 produits ou matériaux interdits, comme les matériaux de construction, dont les tuyaux, le ciment et le gravier, tandis que le reste serait libre d’entrer à Gaza. Le ciment et l’acier étaient, jusqu’à présent, totalement interdits, entravant la reconstruction de la bande de Gaza depuis la dernière guerre israélienne. Une centaine de produits sont actuellement autorisés contre 4 000 avant 2007, d’après l’organisation israélienne des droits de l’homme Gisha. Ce blocus a empêché les Nations-Unies d’acheminer les matériaux de construction nécessaires pour « la réalisation du plan accepté internationalement et visant à reconstruire des milliers de logements et d’autres bâtiments endommagés ou détruits lors de l’offensive israélienne », d’après Chris Gunness, porte-parole de l’Onu. Le blocus a également entraîné la fermeture de nombreuses usines, a privé de travail des milliers de personnes et a provoqué la paralysie de la fragile économie du territoire.
Sous pression internationale après son attaque sanglante contre la flottille humanitaire au mois de juin dernier, Tel-Aviv a opté pour la levée partielle. Un soupçon d’assouplissement dont les modalités restent très floues. Comment cette décision sera-t-elle mise en œuvre ? Nul ne le sait. Même l’Union Européenne (UE), qui a poussé dans cette direction dépêchant l’envoyé spécial du Quartette sur place, l’ignore. « C’est un pas dans la bonne direction. Ce sont les détails qui comptent », a néanmoins déclaré Cristina Galach, porte-parole de la présidence espagnole de l’UE.

Restaurer sa réputation
L’Europe juge pourtant insuffisante cette mesure. Elle veut en effet avoir une présence aux points de passage pour surveiller le transit des biens vers Gaza. La Suisse aurait présenté un mécanisme « pour assurer Tel-Aviv qu’il n’y a pas de contrebande d’armes ». Il apparaît que l’essentiel est la sécurité d’Israël et non le sort des 1,5 million de Palestiniens, dont plus de 80 % de la population dépendent de l’aide étrangère. Le quotidien de la majorité des Gazaouis est loin d’être facile. (lire reportage pages 4 et 5). Le constat est dramatique.
Concrètement, l’allégement du blocus ne concerne pas la mer de Gaza. Mais les voies maritimes du territoire resteront complètement closes, entravant, sous les yeux de la communauté internationale, la pêche des Gazaouis et paralysant un secteur assez florissant par le passé. Les postes-frontières entre Israël et Gaza seront également fermés et ne rouvriront qu’à certains moments pour les marchandises non cataloguées « soutien à la guerre ». C’est pourquoi l’Autorité palestinienne, tout comme le Hamas, a jugé cette déclaration de principe israélienne insuffisante, exigeant la levée totale du blocus imposé à l’enclave pauvre, d’autant plus qu’il reste illégal du point de vue juridique (lire page 6).
Mais Israël paie en partie le prix nécessaire pour restaurer sa réputation internationale après la désastreuse attaque de la flottille. A chaque fois que les pressions diplomatiques deviennent trop fortes, Israël lâche du lest sur le plan humanitaire, simplement pour ne rien céder au niveau politique. Cette fois, les Israéliens voulaient échapper aux pressions pour la création d’une commission d’enquête « internationale » sur l’attaque militaire contre le bateau humanitaire Marmara, où 9 Turcs ont été tués par des dizaines de balles israéliennes dans les eaux internationales. Tel-Aviv, qui veut mener l’enquête par ses propres moyens, a rejeté cette proposition et a annoncé la création d’une « commission publique » avec deux observateurs internationaux, sans droit de vote. Cette commission israélienne aura pour mission d’« enquêter sur les aspects relatifs à l’action entreprise par l’Etat d’Israël pour empêcher des navires d’atteindre les côtes de Gaza », selon un communiqué du bureau du premier ministre israélien.
Un moyen d’éviter une enquête « crédible ». Ankara, la plus concernée, a dénoncé par avance une « enquête impartiale », insistant sur la création d’une commission d’enquête « sous le contrôle direct des Nations-Unies », qui inclurait des représentants turcs et israéliens. C’est sans doute à cette fin que le premier ministre israélien Netanyahu doit se rendre le 6 juillet à Washington, pour rencontrer le président Barack Obama.
Samar Al-Gamal




Blocus de Gaza. Alléger le blocus ou pas, là n’est pas la question essentielle. Car le siège imposé à Gaza s’inscrit en lui-même à l’encontre des textes juridiques internationaux

Le droit international piétiné
« L’attaque contre la flottille de la Liberté est une attaque contre le droit international ». Cette déclaration du premier ministre turc Recep Erdogan a mis en valeur l’aspect hors la loi de l’acte de piratage israélien, mais a rappelé aussi que dans le fond, c’est aussi le blocus en tant que tel imposé à Gaza qui est lui-même contraire au droit international. Tout d’abord, Israël, comme puissance occupante, a des responsabilités et même des devoirs à l’égard du peuple palestinien dont la terre est occupée. C’est ce que font valoir de nombreux experts juridiques. Certains, il est vrai, estiment qu’Israël n’a plus d’obligation dans ce sens depuis son retrait de Gaza en 2005, mais sur ce point précis, le Dr Abdallah Al-Achaal, professeur de droit international à l’Université américaine du Caire et ex-assistant du ministre des Affaires étrangères, répond : « L’occupation ne signifie pas la seule présence militaire, c’est aussi le contrôle réel du territoire ». Israël contrôle la terre, la mer, l’espace aérien et les points de passage de Gaza. Donc, il reste obligé, selon le droit international et les Traités de Genève et de La Haye, d’assurer aux habitants de Gaza les moyens de vivre. Il ne doit pas, en outre, porter atteinte aux civils. Or, l’Etat hébreu non seulement n’accomplit pas ces tâches, mais en plus il empêche toute autre partie de le faire. « C’est un double crime », explique Al-Achaal. Israël empêche l’entrée des aides humanitaires, ce qui contredit le droit international. L’article 2/1/54 du protocole additionnel I de 1977 interdit le fait de réduire les civils à la faim, même dans le contexte de la guerre. En plus, cela est considéré comme crime de guerre, selon le statut fondamental de la Cour Pénale Internationale (CPI). Depuis 2007, Gaza est sous embargo, les avions sont interdits de franchir l’espace aérien, les navires de s’approcher des côtes et les convois terrestres de traverser les frontières. Par la suite, le secteur souffre de l’isolement et de l’absence des moyens fondamentaux de vie. La situation a été aggravée avec l’offensive israélienne en décembre 2008. « C’est un nouvel holocauste », souligne Al-Achaal, pour décrire l’attitude israélienne. Selon le texte de la pénalisation des génocides datant de 1951, on peut considérer cet embargo comme un génocide. L’argument israélien, lui, est bien connu : « Il est nécessaire d’assurer l’embargo sur Gaza pour empêcher l’entrée des armes dans cette bande contrôlée par le Hamas », a tenté de répondre le ministre israélien de la Défense, Ehud Barak. Mais la protection contre le « terrorisme » du Hamas n’est pas une excuse valable, selon le droit international. La réalité concrète sur le terrain la dément.

Ressource salutaire
Un million et demi d’habitants enfermés dans un espace de 363 km2. Une économie anéantie par l’embargo. Le taux de chômage se chiffre à 38,6 % de la population active en 2009, selon le Bureau palestinien des statistiques. L’UNRWA (Office des Nations-Unies pour les réfugiés) a estimé que le nombre de réfugiés vivant dans une pauvreté extrême dans la bande de Gaza avait triplé depuis le début du blocus en 2007, passant d’environ 100 000 à quelque 300 000. D’autre part, l’insécurité alimentaire touche 60,5 % des foyers, selon les chiffres de 2009, contre 56 % en 2008, selon la FAO. La mer devient alors un recours, la seule ressource salutaire pour se nourrir et travailler. Israël a pris des mesures pour bouleverser cet état de choses si simple. Fermer les plages, ne pas fournir les autorisations nécessaires, arrestation et brutalité à leur égard, démantèlement des filets de pêche, limitation des zones de pêche autorisées ... en violation du droit international. L’article 2 du traité international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 indique que tout peuple est libre d’utiliser ses ressources, si cela n’influence pas ses responsabilités concernant la coopération internationale économique. Il est interdit, dans tous les cas, de priver un peuple de ses moyens de vie.
Certes, il y a eu des cas de blocus tout aussi injustes, concernant l’Iraq et l’Iran par exemple, mais au moins, ces mesures avaient été décidées par le Conseil de sécurité : La résolution 661 imposée à l’Iraq et les résolutions 1737, 1747, 1803 à l’Iran. Elles ont imposé en Iraq un embargo qui a duré plus de 10 ans et à l’Iran des sanctions économiques. Dans ces deux exemples, la mise en place d’embargo a exigé des résolutions de l’Onu, tandis que pour Gaza, l’embargo n’est pas autorisé par le Conseil de sécurité. Alors, selon les déclarations même de Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations-Unies, « il faut mettre fin à cet embargo inacceptable ».
Mavie Maher




Blocus de Gaza. Le mouvement qui contrôle Gaza a gagné en prestige suite à l’allégement du blocus, mais reste en situation difficile face aux Gazaouis

Les yeux tournés vers le Hamas

Les dirigeants du Hamas n’ont pas manqué l’occasion pour hausser leur voix : « Nous rejetons la décision sioniste qui constitue une tentative de contourner la décision internationale d’une levée complète du blocus de la bande de Gaza ». Ismaïl Radwane, un dirigeant du Hamas, a ainsi répondu à la décision israélienne sur l’allégement du blocus. Une réponse forte à ce qui a paru être un acte de charité ni plus ni moins. « Nous demandons l’ouverture permanente des points de passage terrestres et maritimes, sur la base de nouveaux arrangements qui garantiraient la libre circulation des individus et des marchandises de et vers Gaza », précise le Hamas. Ce mouvement palestinien, qui contrôle la bande de Gaza, a ainsi insisté à mettre en relief son rejet pour l’annonce israélienne, tout en exigeant la levée totale du blocus imposé à l’enclave palestinienne pauvre et surpeuplée, dont plus de 80 % de la population dépend de l’aide étrangère. Il s’agit en fait d’une manière de se replacer sur la scène politique, surtout que beaucoup d’interrogations se posent autour du statut de ce mouvement de résistance islamique sous le blocus.
Cette situation met-elle en valeur le Hamas ou pas ? Pour Emad Gad, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, il s’agit d’« une occasion dont le Hamas a pu bénéficier en profitant de l’énorme concentration médiatique sur l’affaire de la flottille. Le monde entier a tourné les yeux vers Gaza, donc il était temps pour le Hamas d’essayer de s’imposer sur la scène, surtout que l’image d’Israël est en effet ternie depuis un certain temps », explique Gad.

Affaibli ou renforcé ?
Il est vrai que dès le départ sous le blocus israélien, le statut du Hamas a connu des hauts et des bas. Ce mouvement de résistance a-t-il vraiment été affaibli sous le blocus ou au contraire a-t-il été renforcé en gagnant du prestige ? Une question posée de plus en plus par les politologues. C’est peut-être parce que dès le départ, la raison invoquée publiquement pour l’imposition du blocus était liée à un but précis, à savoir l’affaiblissement du Hamas. Si pour certains le blocus a échoué, c’est que le Hamas ne s’est pas affaibli.
C’est d’ailleurs sur quoi Israël a tenu à insister, prévoyant que l’allégement du blocus va renforcer l’emprise des islamistes du Hamas. Le vice-ministre israélien de la Défense, Matan Vilnaï, a ainsi affirmé : « Il ne fait pas de doute que la décision de permettre l’entrée de davantage de marchandises à Gaza va aider indirectement le Hamas à renforcer son pouvoir ». Et d’ajouter : « Il ne faut pas se voiler la face, tout ce qui rentre à Gaza passe sous le contrôle du Hamas qui effectue ensuite comme bon lui semble la répartition des marchandises ».
Mais les choses ne sont pas aussi faciles qu’elles ne peuvent en l’être en apparence.
Pour certains politologues, il n’est actuellement pas facile de juger si le Hamas est affaibli ou renforcé. C’est ce qu’affirme Gad qui explique que « pour le savoir, il faudrait peut-être faire un référendum ».
A certains égards, on ne peut pas nier que le blocus a pu renforcer ce mouvement de résistance islamiste. Le Hamas n’est pas une force que l’on peut prendre à la légère. Il s’agit d’un mouvement qui a pu, et à travers le blocus, maintenir un large réseau de liens régionaux avec l’Iran ou le Hezbollah, explique Gad qui ajoute : « Ce mouvement est très fort à Gaza et a sa propre dominance. Il possède son propre appareil sécuritaire qui est pris en considération. La preuve en est que lorsqu’ils ont décidé de faire une trêve par exemple, pas une seule fusée n’a été lancée  ».
Mais cette force domine un territoire qui souffre de la pauvreté dans presque toutes les ressources de la vie sans qu’il ne puisse y faire face. D’ici vient sa faiblesse.

Une question de popularité
Au départ, les Palestiniens voyaient dans ce mouvement un remplaçant du Fatah jugé passif. Mais avec le temps et une fois le pouvoir en main, la popularité du Hamas ne fait que diminuer. Le politologue Saïd Okacha affirme que le Hamas a commencé sa réputation avec ce qu’on appelle « la popularité de l’opposé ». Il explique : « Le peuple a au départ voté pour le Hamas pour voter contre le Fatah ». Et d’ajouter : « Aujourd’hui, si des élections ont lieu, c’est sûr que le Hamas perdra une large tranche des voix qu’il avait obtenues au départ. C’est justement d’ici que l’on peut parler de la faiblesse du Hamas ». Trois ans se sont écoulés depuis l’arrivée du Hamas au pouvoir. Pour les Palestiniens, rien n’a concrètement changé, au contraire ce peuple ressent de plus en plus l’effet du blocus qui l’enferme de plus en plus. Il souffre d’un manque dans tous les domaines : santé, éducation et même en liberté de déplacement. « La crise des Palestiniens n’est pas la nourriture comme le pensent beaucoup de gens. Leur vrai problème c’est l’absence de la liberté de déplacement. Et malgré toutes les pressions sur le Hamas, la situation n’a jamais changé. Avec le temps, les Palestiniens ont découvert que le Hamas ne leur a rien présenté », explique Okacha.
Un paradoxe : le Hamas, renforcé par l’injustice israélienne, est miné en même temps par le pouvoir qu’il exerce sur les Gazaouis.
Chaïmaa Abdel-Hamid