Middle east eye (édition française), 9 décembre 2016
 
L’administration « antisémite » de Trump pourrait torpiller la solution à deux États
Nafeez Ahmed 
 
Si Trump tue toutes les perspectives d’État palestinien, comme le craignent des initiés de Washington, un soulèvement – et la fin de toute forme de sécurité pour Israël – pourrait se produire
 
 
Pancartes pro-Trump dans la ville côtière israélienne de Tel Aviv, le 3 novembre 2016 (AFP)
 
Selon une nouvelle note d’information politique publiée par un groupe d’initiés haut placés de Washington, le président élu Donald Trump pourrait être sur le point de tuer toutes les perspectives d’État palestinien indépendant et souverain – ironiquement, avec l’approbation des « éléments radicaux antisémites d’extrême droite » de sa base de soutien.
 
La note d’information, publiée ce lundi, a été rédigée par Lara Friedman, ancienne agente du Service extérieur des États-Unis qui a participé au deuxième volet des négociations en Israël et en Palestine. Selon cette note d’information, Trump est susceptible d’entériner la solution à « un seul État pour Israël » favorisée par l’administration de droite de Benyamin Netanyahou.
 
La radicalisation de l’establishment
 
La note d’information conclut que sous une administration Trump, « l’engagement des États-Unis, du moins rhétorique, vis-à-vis d’une solution négociée à deux États au conflit israélo-palestinien est désormais profondément incertain ».
 
La solution à deux États est inscrite dans le droit international depuis 1967 et la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette résolution exige qu’Israël évacue les territoires qu’il a pris à l’époque.
 
Toutefois, alors que le processus de paix au Moyen-Orient est entré dans une impasse, la note d’information indique qu’un nouveau « zeitgeist » est apparu parmi les lobbyistes de Washington, « favorisant un changement fondamental dans la politique américaine relative aux colonies ».
 
Ces derniers appellent en effet les États-Unis à soutenir la construction illégale de colonies israéliennes dans les territoires occupés :
 
« Ce zeitgeist sera probablement accueilli positivement et exploité par la nouvelle administration Trump qui, selon toute vraisemblance, fera preuve de plus de sympathie à l’égard des colonies israéliennes que n’importe quelle autre administration américaine au cours de l’histoire ».
 
L’occasion de modifier la donne sur le terrain
 
La note d’information, publiée par l’U.S./Middle East Project (USMEP), a été diffusée le même jour que celui où des députés israéliens ont décidé de soutenir un projet de loi controversé visant à légaliser près de 4 000 colonies non autorisées en Palestine.
 
« Les partisans de la ligne dure au sein du gouvernement israélien considèrent clairement l’arrivée de l’administration Trump comme une occasion d’adopter sur le terrain des changements dont ils ne pouvaient que rêver auparavant », souligne la note d’information.
 
L’USMEP a été fondé en 1994 par l’influent Council on Foreign Relations (CFR) avant de devenir un think tank indépendant en 2006. Le président émérite actuel du groupe est Brent Scowcroft, ancien conseiller en sécurité nationale de Bush père, et son conseil d’administration international est composé d’un large éventail d’anciens responsables gouvernementaux américains et israéliens. Scowcroft a également présidé le Foreign Intelligence Advisory Board de Bush fils et a aidé le président Obama à choisir son équipe de sécurité nationale.
 
Le fait qu’un réseau puissant d’initiés de Washington soit profondément préoccupé par la trajectoire de la politique de Trump au Moyen-Orient en dit long sur l’ampleur de la catastrophe que celle-ci pourrait être.
 
D’après la nouvelle note d’information de l’USMEP, « l’establishment politique de Washington pour le Moyen-Orient pourrait également voir une nouvelle administration Trump comme une occasion d’ajuster la politique américaine en l’éloignant d’une série de politiques de paix au Moyen-Orient auxquelles le gouvernement d’Israël s’oppose dans les faits ».
 
Il favorise plutôt des alternatives « à la solution à deux États en accord avec la pensée de certains éléments de la droite israélienne ».
 
Ce changement reviendrait à légitimer l’annexion israélienne de certaines parties de la Cisjordanie et à « normaliser » les relations entre Israël et le monde arabe sans résoudre le conflit israélo-palestinien.
 
Les antisémites et l’extrême droite israélienne s’unissent !
 
« De telles opinions pourraient être accueillies positivement par la nouvelle administration Trump si celle-ci est composée du genre d’individus qui ont été associés à la campagne de Trump, dont beaucoup s’opposent publiquement à la solution à deux États », écrit Friedman, l’auteure de la note d’information.
 
En effet, selon le document, une convergence bizarre d’intérêts s’est opérée entre la base de soutien nationaliste blanche de Trump et l’extrême droite israélienne, ce qui pourrait être catastrophique non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour les juifs américains.
 
La campagne de Trump a cyniquement exploité « une montée de l’antisémitisme aux États-Unis », a souligné la note d’information. Ce n’est donc pas une coïncidence si, à ce jour, Trump ne s’est pas « clairement distancié des éléments antisémites radicaux d’extrême droite faisant partie de ses plus fervents partisans ».
 
« L’illibéralisme qui a défini la campagne de Trump – et qui constitue une caractéristique déterminante de ceux qui ont été affectés tôt aux principaux postes de son administration – entre clairement en contradiction avec le libéralisme juif américain », avertit Friedman.
 
En conséquence, le programme républicain de 2016 a rejeté pour la première fois la description d’Israël comme un « occupant », omis toute mention d’une solution à deux États et fait l’amalgame entre les colonies et Israël même.
 
Cependant, l’extrême droite israélienne se trompe si elle pense que l’application d’une non-solution à « un seul État pour Israël » fonctionnera. Elle ne fonctionnera pas.
 
Au contraire, elle prouverait plutôt aux Palestiniens que le « processus de paix » a toujours été mort dans l’œuf et contribuerait très probablement à déclencher un soulèvement palestinien et à éteindre de façon permanente toute forme de sécurité dont Israël dispose aujourd’hui.
 
Il n’est pas étonnant de constater que le chef de l’opposition israélienne, Isaac Herzog, a décrit le nouveau projet de loi comme un acte de « suicide national ».
 
 
 
- Nafeez Ahmed est journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle la « crise de la civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The Independent, Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique et New Internationalist. Son travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.
 
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
 
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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