Hebdo Al-Ahram, 14/20 avril 2010 n. 814


Des mouvements en évolution


Le rassemblement  organisé par les jeunes  du 6 Avril a été mis en échec par la Sécurité. L’avenir de ces  mouvements formés  hors de la sphère légitime  est au centre du  débat


Depuis la Révolution  de Juillet 1952, la peur  d’une résurrection politique dirigée  par une organisation  secrète ou un parti politique a toujours  plané sur l’Egypte. L’omniprésence de ce danger, qui a été d’une importance limitée sous  le président Nasser, a gagné en gravité  sous Sadate avant de s’effacer ou presque durant ces dernières années. En fait, le « danger politique » qui menace un régime en place est un phénomène plausible, sauf que  sous un régime démocratique, ce danger se transforme  en concurrence pacifique entre les divers partis et forces politiques pour accéder au pouvoir. En revanche, sous les régimes non démocratiques, cette concurrence donne lieu à des résurrections et soulèvements populaires, voire  à des révolutions  et affrontements destinés  à renverser le régime contesté.
Depuis quelques années, l’Egypte témoigne d’une activité politique raisonnable, mais qui n’a pas réussi à imposer au régime quelque réforme que ce soit. Lorsqu’on parle de politique, on évoque désormais des partis fantômes ou peu sérieux ou un courant islamiste doublement affaibli par son statut illégal et les frappes sécuritaires. C’est dans ce contexte que s’est présentée le 6 avril dernier, la manifestation organisée par les jeunes du 6 Avril.
Cette formation fait partie de jeunes mouvements de protestation qui se sont dressés à la fois contre le gouvernement et les partis politiques, des mouvements dépourvus de légitimité comme Kéfaya et le mouvement formé autour de l’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique Mohamad ElBaradei, et qui a pu réunir 200 000 partisans sur les divers sites Internet.
La plupart de ces mouvements n’ont pas réussi pour le moment à gagner la rue à leur côté : Kéfaya, fondé en 2004, a presque disparu de la scène, les jeunes du 6 Avril sont restés une voix protestataire qui résonne à travers le web et qui essaye d’avoir un écho sur le terrain. Quant au courant formé autour d’ElBaradei, il n’a pas encore été testé, même si ElBaradei a fait bouger beaucoup d’eaux stagnantes et a réussi à bénéficier, grâce à son expérience professionnelle, d’une large crédibilité qui dépasse souvent celle de beaucoup de son entourage.

Affaiblissement de la vie politique
Parallèlement à cette vitalité politique, beaucoup de protestations apolitiques ont eu lieu sur fond de revendications économiques et sociales. Ces protestations ont fleuri loin des partis politiques et des syndicats et en dehors des cadres légitimes, acquérant leur propre légitimité à travers le mouvement dans la rue et l’organisation des manifestations et sit-in.
Il semble que les activistes dans les sphères politiques et sociales ont préféré se mouvoir en dehors de l’espace légitime, et ce, malgré la présence sur la scène de 24 partis politiques dont au moins 6 peuvent être considérés comme « sérieux », indépendamment de leur influence. Il s’agit du Parti National Démocrate (PND, au pouvoir), des partis d’opposition Al-Wafd, le Front démocratique, Al-Ghad, le Rassemblement, le Nassérien et le parti suspendu du Travail. Cette dichotomie « légal versus illégal » est due aux procédures de création des partis politiques et des restrictions qui leur sont imposées une fois autorisés à exister.
Le comité des partis s’est avéré être une instance gouvernementale par excellence. Par sa partialité, ce comité a contribué à l’affaiblissement de la vie politique en Egypte où les partis autorisés ne sont pas ceux qui obéissent aux critères de laïcité, de respect de la Constitution et du régime républicain, mais ceux qui sont les plus faibles, les plus effacés, et — pourquoi pas — les plus corrompus.
Cela aurait été logique de refuser la création de partis qui prônent la discrimination sur des bases religieuses ou sectaires comme c’est le cas, par exemple, des Frères musulmans qui, dans leur programme, ont nié le droit des femmes et des coptes à se présenter aux élections présidentielles. Encore une fois, cela aurait été logique de refuser des courants qui prônent l’instauration d’une dynastie héréditaire ou religieuse sur les ruines du régime républicain, ou encore d’un courant qui cherche à réduire l’Egypte à son histoire copte aux dépens de son histoire et sa culture arabe ... Dans de tels cas, le refus du comité des partis serait justifiable. Ce qui ne l’est pas, c’est le refus d’autoriser des partis respectables qui présentent des programmes sérieux (comme ce fut le cas des partis Al-Wassat et Al-Karama), pour autoriser la création de partis fantômes. Le gouvernement qui a emprisonné la vie politique dans un champ parsemé de mines vient aujourd’hui se plaindre parce que les gens ont tourné leur dos aux partis politiques. Il continue à refuser la formation de mouvements en dehors des cadres légitimes. Mais si les permis sont délivrés aux hommes les plus dépolitisés pour créer les partis les plus effacés, on devra s’attendre à plus de bouillonnement à l’intérieur de cet espace dit illégitime, au risque d’une explosion imminente.

Amr Al-Chobaky

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