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Interview a M. Biram Dah Abeid



1. Voulez-vous parler de votre association au Public Italien ?
BDA: SOS-esclaves est une organisation généraliste des Droits de l’Homme qui met la lutte contre l,’esclavage en Mauritanie dans le coeur de ses activités. Elle a été créée en 1995 et a travaillé dans la clandestinité jusqu’à sa reconnaissance par le gouvernement en Mauritanie en 2005.
L’action de SOS-ésclaves a été émaillée par des tensions et bras de fer avec les différents gouvernements de la Mauritanie à propos surtout de l’esclavage domestique, agricole et sexuel qui continue a sévir et dont les victimes sont encore très nombreuses, se comptant par centaines de milliers et sont prédisposées à le subir par leur naissance selon la coutume et la religion dans ce pays.
SOS-esclave s’est aussi illustré par sa défense de toutes les victimes des violations des Droits humains, comme ceux de la torture, des arrestation arbitraires, de disparitions forcées, de jugements inéquitables, sans oublier son engagement a côté d’autres couches vulnérables de la société, comme les femmes, les mineurs, les handicapés et les victimes de la traite de personnes pour ne citer que ceux-là.


2. L’esclavage a été interdit en Mauritanie seulement en 1981. Pourquoi cette anomalie dans le cadre du Droit International?

BDA: L’historique du cadre juridique régissant l’esclavage dans la société maure n’a pas toujours été empreint d’un caractère abolitionniste, au contraire car bien avant l’Islam, l’esclavage a été déjà très ancré dans les sociétés des hommes de ces contrées saharo-sahéliens. Et après l’avènement de l’Islam, les groupes dominants dans nos différentes communautés arabes, berbères et noires réussirent à instrumentaliser les textes de la nouvelle religion pour légitimer et renforcer un système sociale esclavagiste. Ensuite pendants la pénétration coloniale, les arabo-berbères obtinrent du colonisateurs Français des traités contenant des clauses non écrites mais solides maintenant sous leur joug une main-d’oeuvre servile abondante. Et pendant l’indépendance la Mauritanie en 1960, ces mêmes arabo-berbères héritèrent l’Etat postcoloniale de la France cachant et maintenant l’esclavage malgré des constitutions et des lois égalitaires en théories et la ratification de beaucoup de conventions pour donner le change à la communauté internationale. En 1981 l’esclavage a été abolit sans toutefois être criminalisé ou pénalisé, et l’article 2 de cette abolition qui n’a jamais vu naître son décret d’application, disait: l’Etat va compenser les ayant droit qui ne sont que les maîtres détenteurs d’esclaves en contrepartie de cette abolition. Donc cet même abolition n’a été qu’une reconnaissance de facto comme de jure de la légitimité et de la sacralité de l’esclavage mauritanien. Ainsi les maîtres ont continué de plus belles la séquestration de nombreuses populations serviles en réclament des créances à l’Etat à la lumière de cet abolition qui s’est transformée en ordonnance de séquestration des esclaves.
En 2007 le premier président démocratiquement élu en Mauritanie fait voter une loi criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes et fort de cet loi, moi même, en tant que chargé de mission de SOS-esclaves et conseiller de la Commission Nationale de droit de l’Homme , j’ai pu libérer 43 victimes d’esclavage domestique en présentant tous ces cas devant les autorités administratives, judiciaires et sécuritaires, même aucune enquête ou poursuite en bonne et due forme n’a été engagé, ce qui veut dire que la loi est toujours lettre morte car ce sont les membres des groupes esclavagistes qui dominent la justice, l’administration, l’armée, la diplomatie, la presse et le gouvernement ..etc


3. L’esclavage a été interdit mais il n’est pas encore considéré comme un crime en Mauritanie. Qu’est ce que votre association propose à ce sujet ?
BDA: Dans notre société, l’esclavage au lieu d’être considéré comme un crime, il est considéré comme une valeur sociale, plus même il est considéré comme un dogme de la religion musulmane, un pilier inhérent à la croyance et à la fois en Dieu. D’autre part la société elle même est hiérarchisée, castifiée de telle manière que les groupes dominants arabo-berbères doivent continuer à s’assurer une main-d’oeuvre servile et gratuite à travers l’esclavage, car le mode de vie et le partage des rôles dans la société leurs imposent cette attitude de groupe qui est anachronique et lourde de conséquences sur la paix civile. A ce sujet notre association propose une campagne nationale systématique de dé légitimation de l’esclavage. Cette campagne doit être dirigée par des autorités supérieures de l’Etat à côté des chefs religieux, des élus du peuple et des membres de la société civile pour faire entendre à tous les citoyens que l’esclavage n’est non seulement une honte et un crime, mais aussi qu’il est contraire à la religion musulmane et qu’il représente un danger périlleux pour l’unité nationale en Mauritanie et la paix civile vue le nombre élevé des esclaves et anciens esclaves dans cet pays qui pâtissent d’une manière grave des séquelles de l’esclavage. Il faut encore l’application de la loi soit systématique et rigoureuse pour créer la dissuasion contre les pratiques esclavagistes. En fin, il faut que l’Etat se charge de l’émancipation économique, sociale et culturelle des esclaves en leur créant des conditions de vie économiques meilleures en les scolarisant en dotant leurs villages et bidonvilles d’infrastructures sanitaires et hydrauliques et en insérant ceux qui viennent de quitter leurs maîtres dans la société.


4. Quel est votre opinion à propos du putsh des militaires ?
BDA: Mon opinion concernant le putsh du 06 Août 2008 en Mauritanie et que c’est une réaction des groupes dominants des milieux arabo-berbères racistes, esclavagistes et corrompus contre la démocratie, l’Etat de Droit et la bonne gouvernance en Mauritanie. C’est aussi une remise en cause de la stabilité politique et de la démocratisation en Afrique et dans la sous région. C’est aussi un défi pour la diplomatie européenne et occidentale à quel point elle peut rester ferme sur les principes qui sont à la base de ces relations avec le reste du monde.


5. Quelle est la situation sociale en Mauritanie ?
BDA: La situation en Mauritanie est très critique: il y a une minorité ethnique et de classes: les arabo berbères qui détiennent les leviers de commande politiques, économiques, militaires du pays au détriment de citoyens classés de seconde zone, c’est à dire les ethnies noires (Pulaar, Soninke, Wolof, Bambara) et des sujets de dernière zone que sont les Haratins (esclaves et anciens esclaves). Les noirs sont victimes de racisme, de disparitions forcées, de déportations, d’exactions extrajudiciaires, d’expropriations et des radiations massives de secteurs publics et privés pendant les années de braises 1986 - 1992. Les orphelins, les veuves, les radiés, les déportés et les victimes d’expropriation ne voient encore aucune ombre de vérité, de justice ou de réparations se profiler à l’horizon car les instigateurs de ce génocide, hormis l’ancien dictateur Maawuya Ould Sidi Ahmed Taya sont encore aux commandes du pays. Quand à la large couche d’esclaves et d’anciens esclaves, pauvre et paupérisée, elle continue à subir impunément les pratiques esclavagistes ancestrales avec tous ce que cela comporte comme travail sans salaire, privation de scolarité, châtiment corporel, viol sexuel, expropriation foncière .. etc. Ceux parmi eux qui vivent dans le monde rural sont enclavés dans des sortes d’Homeland sans le minimum nécessaire à la vie décente; quand à ceux qui ont fuient vers les villes, ils s’entassent dans des ghettos autour de grandes villes dans des milieux de paupérisation, de précarité totale et de délinquance ..etc.




Cette interview a été divulgué par le site mauritanien
www.cridem.org  Lire le débat.