Ruanda, 27 février 2007 - Cri d'alarme d'Amnesty International pour la liberté de presse au Ruanda

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Harcèlements contre les journalistes au Ruanda


Amnesty International s’inquiète des persécutions en cours et des attaques violentes qui se sont produites contre des journalistes et des membres de la société civile au Rwanda. Les journalistes travaillant pour des médias indépendants sont particulièrement visés ; fréquemment menacés, ils sont aussi victimes d’agressions physiques


 

Particulièrement préoccupant est aussi le recours de plus en plus fréquent au Code pénal et à des sanctions pénales pour étouffer la liberté d’expression. Amnesty International demande instamment aux autorités rwandaises de protéger et respecter les droits des journalistes et des membres de la société civile.
Dans la soirée du vendredi 9 février, Jean Bosco Gasasira,directeur du journal Umuvigizi, a été brutalement agressé à coups de barre de fer par trois hommes non identifiés. L’agression a eu lieu dans la capitale Kigali. Jean Bosco Gasasira a été immédiatement transporté à l’hôpital où il se trouve toujours en soins intensifs. Plusieurs jours avant cette agression, Jean Bosco Gasasira avait publié dans son journal plusieurs articles très critiques à l’égard du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir. Dans un de ces articles il était question du népotisme au sein du FPR.
Cette nouvelle agression s’inscrit dans une campagne systématique de harcèlement et d’intimidation orchestrée contre Jean Bosco Gasasira. En août 2006, il avait déclaré à des agences de presse internationales qu’il recevait des menaces par téléphone et craignait d’être sous la surveillance d’agents de la Direction des renseignements militaires.
Sont également visés les journaux qui se montrent critiques à l’égard du gouvernement ; ils sont souvent accusés d’incitation à la haine ethnique. Le jour même où Jean Bosco était agressé, Radio Rwanda, la station de radio contrôlée par le gouvernement, aurait diffusé des propos, menaçants pour le bimensuel indépendant Umuco, du directeur de Radio Rwanda et du président du Haut Conseil de la presse. Accusant le journal d’inciter à la haine entre ethnies, ils le comparaient à Kangura, journal aujourd’hui disparu qui avait publié des articles au discours haineux et poussé au massacre des Tutsis avant et pendant le génocide de 1994.
Bonaventure Bizumureymi, le directeur de Umuco, dit recevoir des menaces téléphoniques depuis le 9 février, date à laquelle l’émission a été diffusée. Interrogé par Amnesty International le 14 février, le secrétaire exécutif du Haut Conseil de la presse a nié que de telles accusations ou références à Kangura aient été faites. Toutefois, il a déclaré que selon lui, l’article paru dans Umuco incitait à la haine ethnique.
Amnesty International a analysé l’article en question et n’a rien trouvé qui puisse raisonnablement être qualifié d’incitation à la haine ethnique ou à la violence. Cet article, écrit en kinyarwanda, traite de l’origine des différentes ethnies dans la région des Grands Lacs avant la période coloniale. L’article analyse et conteste les affirmations d’ethnologues et de linguistes sur cette question controversée. Dans le contexte actuel, où les attaques de journalistes se généralisent au Rwanda, l’organisation craint que de telles accusations ne mettent en danger la vie des journalistes. En outre, ces agressions créent un climat de peur, qui a des répercussions sur la liberté d’expression.
Idesbald Byabuze Katabaruka, ressortissant congolais, professeur d’université, a été arrêté et placé en détention arbitrairement le 16 février. Il se trouvait au Rwanda pour des raisons professionnelles. Les autorités rwandaises l’ont inculpé de « mise en danger de la sécurité de l’ةtat » et « infractions de discrimination et sectarisme ». Ces accusations se basaient semble-t-il sur un article publié en juin 2005 par Idesbald Byabuze Katabaruka. Dans cet article intitulé « Alerte Rwanda », il critiquait le haut niveau de répression politique au Rwanda. L’article développait également l’idée selon laquelle les autorités rwandaises exploitaient le génocide de 1994 pour réprimer la population rwandaise et justifier leur action militaire en République démocratique du Congo, où de graves atteintes aux droits humains se sont produites. Idesbald Byabuze Katabaruka a écrit d’autres articles et lettres critiquant les autorités rwandaises dans le passé. Pour Amnesty International, les accusations portées contre Idesbald Byabuze Katabaruka constituent une restriction injustifiée à sa liberté d’expression.
Amnesty International reconnaît le rôle négatif joué par les médias qui ont incité à la haine ethnique et poussé au génocide au Rwanda en 1994 ; l’organisation reconnaît également que le droit international relatif aux droits humains autorise certaines restrictions à la liberté d’expression, notamment en interdisant l’apologie de la haine nationale, raciale ou religieuse comme incitation à la discrimination et à des actes d’hostilité ou de violence. Toutefois, le droit international relatif aux droits humains exige aussi que ces restrictions soient appliquées ou invoquées d’une manière qui ne nuise en aucun cas à l’essence du droit en question. Le gouvernement rwandais bafoue ses obligations internationales de promouvoir et respecter le droit à la liberté de parole inscrite dans la Charte africaine et les Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Amnesty International appelle les autorités rwandaises à :
  respecter et protéger le droit à la liberté d’expression conformément à ses obligations au regard des traités internationaux relatifs aux droits humains ;
  mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur toute agression ou acte d’intimidation contre des journalistes et juger les auteurs présumés de tels actes lors de procès conformes aux normes internationales ;
  inviter la représentante spéciale du secrétaire général sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, le rapporteur spécial sur la liberté d’expression et le rapporteur spécial de la commission africaine sur la liberté d’expression à se rendre au Rwanda.
Amnesty International demande également instamment à l’Union européenne et à tous ses ةtats membres d’aborder avec le gouvernement rwandais la question des attaques visant des journalistes, des organisations de presse et autres défenseurs des droits humains ; de demander que leurs droits soient respectés conformément à l’engagement pris par l’Union européenne de protéger les défenseurs des droits humains, engagement qui figure dans les Orientations de l’Union européenne concernant les défenseurs des droits de l’homme, texte adopté par le Conseil de l’Union européenne en juin 2004.


Complément d’information
Jean Bosco Gasasira est le frère de Chris Bunyenyenzi, décédé. Chris Bunyenyenzi était l’un des membres dirigeants du RPF à la fin des années 80 ; il a été tué en 1990 dans des circonstances troubles.
La Charte africaine établit que : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. » Le Rwanda est ةtat partie à ce traité et a donc l’obligation explicite de prendre toute mesure raisonnable pour protéger les personnes d’atteintes aux droits humains commises par des acteurs autres que des agents de l’ةtat et, si cela se produit, de traduire en justice les auteurs de tels actes et de veiller à ce que les victimes obtiennent réparation, y compris sous forme d’indemnisation. Ce principe figure explicitement dans la Déclaration des principes sur la liberté d’expression en Afrique, adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2002. Concernant les attaques telles que le meurtre, l’intimidation et la menace, elle établit que « les ةtats sont dans l’obligation de prendre des mesures efficaces en vue de prévenir de telles attaques et, lorsqu’elles sont perpétrées, mener une enquête à cet effet, punir les auteurs et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours efficaces. »
Le droit à la liberté d’expression et le droit de rechercher, recevoir et répandre des informations de toute espèce sont inscrits dans les traités internationaux tels que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Selon le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, arrestations et mises en détention sont considérées comme arbitraires lorsque les faits à leur origine concernent l’exercice de la liberté d’opinion ou d’expression.

 

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